<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le renseignement au sein des entreprises

14 mars 2020

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Le renseignement au sein des entreprises

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Malgré les dépossessions successives de souveraineté, le renseignement reste et demeure d’essence strictement régalienne. En ces temps incertains de « démondialisation » et de guerre froide économique, il se voit largement sollicité par les gouvernants afin d’anticiper les risques et grandes évolutions de ce monde. Ce faisant, les services de renseignements concourent à réduire l’incertitude.

Une évidence s’impose toutefois : tandis que les Anglo-Saxons ont une approche offensive en matière de renseignement économique, la France a davantage de pudeur sur le sujet. Bien qu’ayant adopté une stratégie de sécurité nationale depuis dix ans, le renseignement économique en est quasiment absent.

2015 : une réforme inachevée

 Après avoir été profondément remaniés entre 2005 et 2015, les services français forment ce qu’il convient de nommer désormais « la communauté du renseignement ». Cependant, cette évolution reste encore insuffisante en regard des besoins accrus et face aux nouvelles vulnérabilités, non seulement terroristes et politiques – qui ont largement mobilisé ces derniers temps – mais encore économiques. L’incapacité des pouvoirs politiques et administratifs dans le cadre des cas Alstom, BNP Paribas, et maintenant Airbus, illustrent notamment cette grave carence systémique.

 Pourtant, avec la réforme du droit du renseignement, opérée par la loi du 24 juillet 2015, le législateur avait pris soin d’étendre l’utilisation des moyens de renseignement aux domaines suivants [simple_tooltip content=’Article L. 811-3 du Code de la sécurité intérieure.’][1][/simple_tooltip] :

  • L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale.
  • Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère.
  • Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France.
  • La prévention du terrorisme.
  • La prévention :
  1. des atteintes à la forme républicaine des institutions ;
  2. des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous en application de l’article L. 212-1 ;
  3. des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique.
  • La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées.
  • La prévention de la prolifération des armes de destruction massive.

Le lecteur de cette litanie retiendra que sous l’alinéa n3 figurent les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France. Cependant, cette pétition de principe reste relativement évanescente, faute d’avoir su cibler les secteurs stratégiques relevant des intérêts fondamentaux de la nation.

Le renseignement économique : une activité étrangère aux services

En effet, malgré cette avancée législative manifeste, il faut regretter qu’aucun service du premier cercle n’a pour vocation à traiter en particulier du renseignement économique. Si chacun peut être en mesure de connaître des informations relevant de la sphère économique, ils n’ont pas toujours ni toute la compétence appropriée ni la raison d’être à part entière.

Le service Tracfin et la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) contribuent au contrôle des montages financiers frauduleux et participent à la lutte contre la contrefaçon commerciale.

La Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) dispose d’une division de la contre-ingérence économique et emploie un bureau de la sécurité économique en lien avec la Direction générale de l’armement (DGA) et la Direction générale du Trésor, dans le cadre de la procédure de contrôle des investissements étrangers en France, lorsqu’il s’agit d’entreprises relevant du secteur de la défense. Par ailleurs, elle contribue à la protection des sites industriels de défense, visant à détecter et à évaluer les vulnérabilités existantes et à faire des recommandations pour y remédier.

La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) opère au titre de son activité de surveillance à l’étranger, en révélant opérations d’espionnage susceptibles de capter tout ou partie du patrimoine économique et scientifique des entreprises.

Enfin, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dispose d’une sous-direction K qui veille à la protection du patrimoine économique de la nation contre toute forme d’ingérence et de déstabilisation. Elle surveille aussi, en lien avec la DRSD, les salons d’armement qui sont des lieux privilégiés pour l’espionnage industriel.

Dès lors, la sphère économique est une activité qui en réalité n’échappe pas tant au monde du renseignement. Cela reste néanmoins insuffisant en période de guerre économique.

Vers une véritable politique publique d’intelligence économique ?

Tel que cela se traduit notamment par le décret du 29 janvier 2016 [simple_tooltip content=’D. n2016-66 du 29 janv. 2016, art. 2 chargeant le Cisse, en lien avec le SGDSN, d’élaborer « la politique publique en matière de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels, et scientifiques de la nation ».’][2][/simple_tooltip], il semble désormais se dessiner une volonté de promouvoir l’action du renseignement économique d’État, sous couvert de « sécurité économique ». Dans le prolongement, le décret no 2019-206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique a créé un comité de liaison de sécurité économique (Colisé), lointain cousin de l’Advocacy Center [simple_tooltip content=’Institué en 1993 aux États-Unis, l’Advocacy Center (AC) est la partie émergée de l’aide au déploiement international et à l’export des entreprises américaines. Dépendant du département du commerce, l’AC participe à la doctrine de sécurité nationale et « nourrit » les entreprises exportatrices de renseignements économiques.’][3][/simple_tooltip].

Le texte formalise ainsi le nouveau dispositif de gouvernance interministérielle de la sécurité économique en renforçant le pilotage stratégique de cette politique sous la responsabilité du commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économiques (Cisse) et qui dispose à cette fin du service à compétence nationale dénommé « service de l’information stratégique et à la sécurité économique » (Sisse).

Au titre de ses missions le Sisse se voit chargé :

– d’identifier les secteurs, les technologies et les entités relevant des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la nation, de rassembler les informations stratégiques les concernant avec le concours des ministères concernés, d’en assurer la synthèse et d’en favoriser la capitalisation et le partage au profit de ces mêmes ministères ;

– de contribuer à la diffusion auprès des acteurs économiques des informations stratégiques utiles dans le cadre de leur développement international ;

– d’informer les autorités de l’État sur les personnes, les entités, les standards de conformité, et toute réglementation, ainsi que les pratiques d’affaires, représentant une menace pour les intérêts susmentionnés et de proposer, le cas échéant, les mesures pour y remédier ;

– de contribuer à la détection et à l’identification, des opérations d’investissement étranger relevant du régime contrôlé ;

– de veiller à l’application des dispositions de la loi de blocage (destinée à filtrer la communication d’informations sensibles) par les personnes qui y sont assujetties ;

– de formuler toute proposition destinée à renforcer l’efficacité des outils de politique publique concourant à la défense des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la nation. »

Sans être à proprement parler un service actif de renseignement économique, opportunément placé à Bercy, le Sisse se voit néanmoins doté d’attributs, de missions et fonctions qui assurent la coordination et la diffusion d’éléments de connaissance économiques et stratégiques. Il faut d’ores et déjà saluer à ce stade cette affirmation de principe qui reste encore à traduire en actes.

À propos de l’auteur
Olivier de Maison Rouge

Olivier de Maison Rouge

Avocat – Docteur en droit Auteur du « Droit de l’intelligence économique –  Patrimoine informationnel et secrets d’affaires (Lamy, 2012) et du "Droit du renseignement-Renseignement d’État, renseignement économique" (LexisNexis, 2016).

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