Les rencontres napoléoniennes de Sartène : rétrospective

20 août 2020

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Le Sacre de Napoléon, David, 1805 (c) Wikimédia Commons

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Les rencontres napoléoniennes de Sartène : rétrospective

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Les sixièmes Rencontres napoléoniennes de Sartène se sont tenues du 1er au 3 août 2020 avec pour thème « Napoléon, le politique, la puissance, la grandeur ». Elles ont réuni un public nombreux autour de neuf interventions de spécialistes.

Ces rencontres sont organisées par la mairie de Sartène, et portées par le maire Paul Quilichini et son premier adjoint, Bertrand d’Ortoli. Le thème choisi par Antoine-Baptiste Filippi était, cette année, « Napoléon, le politique, la puissance, la grandeur ».

Les conférences se sont organisées selon le rythme ternaire suivant : la géopolitique de la puissance, la volonté de puissance et la grandeur.

Mais tout d’abord, un mot sur ces Rencontres qui se tiennent, en été, au Théâtre de verdure de Sartène, depuis août 2015.

Le dessein des initiateurs de ces cycles de conférences, de conversations et d’échanges était d’approcher Napoléon, son histoire et son mythe, par des thèmes liés les uns aux autres et qui se suivent logiquement et d’une manière métapolitique de Rencontres en Rencontres.

Ainsi, les trois premières éditions – 2015, 2016 et 2017 – pensées par Olivier Battistini, spécialiste de la philosophie politique en Grèce ancienne, de Thucydide et d’Alexandre le Grand en particulier. Les thèmes étaient respectivement D’Alexandre le Grand à Napoléon : la dialectique terre-mer et les enjeux contemporains, ensuite D’Alexandre le Grand à Napoléon : l’idée d’empire et, enfin, D’Alexandre le Grand à Napoléon : la Guerre.

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Cette trilogie – Alexandre le Grand/Napoléon Bonaparte – a atteint son but : en s’intéressant à des faits ou des concepts, comprendre l’Empereur à partir d’une mise en parallèle avec le Conquérant macédonien, sur le plan du politique, de la guerre et de la pensée, l’un « philosophe en armes » et l’autre maître de la parole et de l’écriture à la hauteur d’un Chateaubriand, dieu de la guerre et concepteur du Code civil. Dans la pensée de la guerre et de l’Empire, par la fulgurance des décisions au combat, par l’organisation de l’armée, par la question du devenir des peuples vaincus, par la grandeur et une esthétique tragique, Napoléon et Alexandre le Grand, nous fascinent…

Les deux Rencontres suivantes se sont intéressées à Napoléon et l’Italie et à Napoléon, les origines.

Cette fois-ci, le thème, en harmonie avec les précédents, a été tout aussi ambitieux.

Les conférenciers, les voici :

Anna Moretti, chargée de cours à Paris IV Sorbonne et écrivain ; François Costantini, membre du Centre de géostratégie de l’école normale supérieure (rue d’Ulm), écrivain ; Stéphane Pérez-Giudicelli, doctorant en histoire grecque sous la direction d’Olivier Battistini ; David Chanteranne, historien, rédacteur en chef du magazine Napoléon Ier — revue du Souvenir napoléonien ; Olivier Battistini, historien et écrivain, Maître de conférences HDR en histoire grecque, à l’université de Corse ; Antoine-Baptiste Filippi, étudiant en droit et écrivain ; Jacques-Olivier Boudon, historien et écrivain, Professeur à Paris IV Sorbonne ; François Santoni, doctorant en histoire ancienne sous la direction d’Olivier Battistini ; Jean-Baptiste Noé, docteur en histoire économique et rédacteur en chef de la revue Conflits.

 

Tout d’abord, la géopolitique de la puissance

Anna Moretti nous a entretenu du « Rêve de l’alliance franco-russe ». Le professeur d’origine russe a introduit son propos en rappelant la relation particulière qui existait entre Catherine II et Pasquale Paoli, ce dernier ayant accepté l’idée d’une Corse, port d’attache pour la flotte de la Sainte-Russie. Mais la vraie question fut d’expliciter les relations franco-russes au moment de la puissance de Bonaparte. Le Czar Paul 1er, considérant que la Russie est la grande perdante de l’alliance avec l’Angleterre, décide de se rapprocher de Napoléon et envisage une véritable alliance avec ce dernier. Contrariant par cette position de puissants intérêts, Paul 1er fut assassiné. Pour Louis XVIII, « Paul 1er avait été victime d’une conspiration de palais où se trouvèrent l’or et la main du gouvernement britannique ». Si la guerre reprend avec la Russie d’Alexandre 1er, la paix de Tilsit en 1807, qui marque l’apogée du règne de Napoléon, semble faire revivre cet espoir. Mais sous la pression du cabinet de Londres, la Russie réintègre la Coalition forçant ainsi l’Empereur à la guerre.

François Costantini a évoqué « Le Rêve oriental ». Ce rêve, chez Bonaparte, a pour origine un projet propre au Directoire, celui de couper la Route des Indes aux Britanniques. Mais il est aussi, chez le jeune général, l’occasion de mettre sur pied un projet certes militaire, mais aussi politique, économique, social, voire religieux. Bonaparte va apporter la modernité en Orient. On peut même dire que c’est l’expédition d’Égypte, suivie de celles de Palestine et de Syrie, qui pose ce qui va devenir, par la suite, la Question d’Orient. Question qui, deux siècles plus tard, est loin d’être résolue…

Stéphane Pérez-Giudicelli, « Les Modèles héroïques de Napoléon ». Expliquer les origines de la pensée stratégique de Napoléon relève d’une connaissance de ses premiers modèles. Alexandre le Grand, avec en toile de fond la puissance du héros homérique, sont aux fondements d’un art de la guerre éminemment grec chez le jeune général corse. Sa stratégie durant la campagne d’Italie se retrouve ainsi dans la géniale idée de Blocus continental contre l’Angleterre. Point de perfidie dans les ruses de Napoléon, mais la plus belle expression de l’audace héroïque, celle qui confère la victoire et la gloire. Des enseignements de Platon sur la bravoure, à ceux de Thucydide et de Xénophon, il démontre des qualités philosophiques et héroïques, une expérience profondément ancrée en lui, lesquels l’accompagnent au combat, le soutiennent à chaque instant.

 

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Ensuite, la volonté de puissance.

David Chanteranne, « La Volonté de puissance de Bonaparte à Napoléon ». L’historien, habitué des Rencontres napoléoniennes, a évoqué une étape fondamentale : le passage de Bonaparte à Napoléon, en 1804, et la « volonté de puissance ». Mais pour ce faire, le général corse doit d’abord faire l’unité autour de lui, dans une France déchirée entre monarchistes et jacobins. Pour y parvenir, il n’hésite pas à révolutionner les pratiques, l’économie en premier lieu, par le franc-germinal, la banque de France, la stimulation de l’industrie, etc. La stabilité de l’économie du pays étant un préalable à toute chose. Sur le plan social et juridique, la méritocratie. Mais, surtout, la puissance du Beau.

Olivier Battistini, « Penser l’Empire, penser la guerre… Une esthétique de la grandeur ». Dans la pensée de la guerre et de l’Empire, par la fulgurance des décisions au combat, par l’organisation de l’armée, par la question du devenir des peuples vaincus, par la grandeur et une esthétique tragique, Napoléon, comme Alexandre le Grand, nous fascine. À partir des principes du Palais de la mémoire, le conférencier a proposé quelques « lieux de mémoire », des « loci », pour évoquer la puissance et la grandeur : Waterloo, bataille catastrophique au sens mathématique du terme, signifie le triomphe des commerçants ; Austerlitz où Napoléon se révèle comme le dieu de la guerre ; l’idée d’un pouvoir partagé avec un peuple en armes ; Tilsit et le Blocus continental : « conquérir la mer par la puissance de la terre » ; la mélancolie, la nuit et le génie…

Antoine-Baptiste Filippi, « Le Libéralisme latin au service de l’Empereur ». Pour conclure cette deuxième soirée, l’étudiant en droit a indiqué le thème de son futur ouvrage : le libéralisme latin. Plus précisément, il démontre que Napoléon est, car héritier de Pasquale Paoli – lui-même héritier de Théodore de Neuhoff. Napoléon, dont il rappelle qu’il se définit comme paoliste pendant presque la moitié de sa vie, aurait ainsi une conception corse du pouvoir et de son exercice. Un pouvoir où le chef détient une autorité redoutable, mais qui dirige des hommes libres, c’est-à-dire des citoyens et non des sujets, avec pour souverain implacable, la Loi, qui exige une sujétion totale de tous, même de l’Empereur.

Enfin, la grandeur.

Jacques-Olivier Boudon, « Napoléon le Grand : un souverain en majesté ». Le successeur de Jean Tulard a parlé d’un aspect premier du pouvoir de Napoléon : l’esthétique de la puissance. Napoléon montre très tôt sa volonté de s’inscrire dans une tradition monarchique française, et ce, bien avant son couronnement : Cérémonial, octroi du droit de grâce, consulat à vie… Mais il faut attendre 1804, avec la cérémonie du Sacre, pour qu’une véritable monarchie soit restaurée, avec le principe dynastique. Certes, mais une monarchie républicaine. Napoléon est fait « Empereur des Français ». C’est pour cette raison que le palais des Tuileries est préféré à celui de Versailles.

François Santoni, « L’Esthétique de la puissance ». Le doctorant en histoire ancienne a mis en lumière une esthétique de la puissance, liée non pas à des éléments visuels, mais au concept d’empire. Il a donc examiné le sacre de Napoléon empereur de la république comme un événement développant une puissance symbolique renvoyant à l’Antiquité romaine. Pour cela, il a utilisé les notions d’aemulatio, d’imitatio et de compartio qu’il emploie dans sa thèse, afin de démontrer que Napoléon était, en la matière, imitator et aemulato de César et d’Auguste, et qu’il était, pour cela, l’objet d’une comparatio.

Jean-Baptiste Noé, « Napoléon III et Tocqueville, une nouvelle vision pour la France ». Tocqueville fut le ministre des Affaires étrangères de Louis-Napoléon Bonaparte, bien que les deux hommes ne partagent pas les mêmes convictions politiques. Dans ses Souvenirs¸ Tocqueville a laissé un portrait en nuance du président dont il a compris qu’il n’était pas le crétin que pensaient manipuler ses amis, dont Thiers en premier lieu. Le regard croisé de Louis-Napoléon Bonaparte et d’Alexis de Tocqueville permet de comprendre les complexités de la seconde république et du XIXe siècle français.

Les débats qui ont suivi ont été riches et animés faisant des ces Rencontres un moment rare d’échanges et de conversations au cœur de la ville de Sartène et surtout un rendez-vous estival incontournable dorénavant.

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Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.

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