Regards sur la guerre

22 septembre 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Le Siège de Paris par Ernest Meissonier (c) Wikipédia

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Regards sur la guerre

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Ce numéro spécial propose un regard pluriel sur la guerre. Il convient de regarder la guerre comme pour la première fois afin de l’analyser de façon novatrice, originale et personnelle.

Tel est le but de ce numéro, une étude sur la guerre fruit d’une fertilisation croisée et d’un dialogue entre les militaires, qui la pratiquent, et les disciplines universitaires, qui la théorisent. Dans un souci méthodologique et épistémologique, la guerre est ainsi abordée sous un triple aspect – théorique, thématique et géographique – afin de mieux la comprendre comme un phénomène global et total.

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L’unité de la guerre est ainsi posée. En effet, comme le rappelle l’amiral Raoult Castex dans ses Théories stratégiques, « On se bat en temps de guerre dans les champs les plus divers : politique, terrestre, aérien, naval, économique, financier, moral, etc. » Les différents aspects d’un conflit, aussi variés soient-ils, ne sont pas compartimentés. D’un point de vue autonome, il n’y pas une guerre diplomatique, une guerre terrestre, aérienne, navale ou cyber, ou économique, culturelle, clandestine, voire psychologique. Il y a la guerre, tout court, et chacun de ses champs ou domaines ne devient qu’une représentation, voire une forme dans laquelle se développe la guerre. Quand bien même l’objet étudié devient un tout unique, il est nécessaire de la conduire simultanément. Cependant il est important de rappeler ici que la dominante fondamentale de la guerre repose sur son substrat. Ce dernier doit être défini par son caractère intrinsèquement humain et tellurique. L’Homme vient de la terre… et y retournera, selon la Bible[1]. Détruire la terre revient à détruire l’unique habitat de l’homme, source d’identité, de repères et de fruits.

Fort de ces constats, le phénomène guerre devient alors une temporalité singulière que le général Thierry Burkhard, Chef d’État-Major des Armées (CEMA) inscrit dans trois phases qui déterminent la dynamique des relations entre les états, les groupes sociaux et les hommes : « la concurrence, la compétition et l’affrontement. » De plus, pour le CEMA qui s’exprime dans le cadre d’un nouveau Concept d’Emploi des Forces Terrestres (CEFT), la représentation de la conflictualité se caractérise par deux traits dominants : « un changement d’échelle » et « un retour à la haute intensité ».

Soudain, une difficulté apparait. Comment rester en phase avec l’évolution de la guerre ? En effet, le fait guerre est toujours en avance sur sa théorisation. Cet obstacle conditionne un biais permanent de toute théorisation de la guerre. La pratique de la guerre n’est pas synchrone avec sa théorisation. Il existe donc un décalage constant entre les doctrines militaires et la guerre ! Ce fait souligne ainsi la difficulté de rester en phase avec son évolution ; il définit le décalage polémologique qui est l’expression de l’a-synchronicité permanente existant entre l’action, expérience pratique, et la théorisation, expérience théorique. Ce décalage souligne la relativité des connaissances de la guerre. C’est donc à partir du champ théorique que l’on peut construire des structures épistémiques de la guerre en plaçant la notion de défaite militaire au centre des études sur la guerre. La défaite, réelle ou virtuelle, apparait comme un critère épistémologique qui discrimine le vainqueur du vaincu.

La défaite devient souvent l’expression de l’erreur intellectuelle d’officiers « qui n’ont pas su penser cette guerre »[2]. Ensuite, la défaite aide à épouser l’idée maîtresse de l’historien Koselleck, pour qui l’histoire des vainqueurs est une historiographie des vaincus. Il écrit ainsi « À court terme, il se peut que l’histoire soit faite par les vainqueurs, mais, à long terme, les gains historiques de connaissances proviennent des vaincus »[3]. L’aiguillon de la défaite doit faire prendre conscience aux étudiants de la guerre que le logiciel de leurs connaissances nécessite d’être mis à jour. C’est l’attitude scientifique de Karl Popper, la réfutation par la défaite étant synonyme d’échec et d’erreur. « Et nous ne faisons de progrès que parce que, et, si nous sommes prêts à apprendre de nos erreurs, c’est-à-dire à reconnaître nos erreurs et les utiliser en les critiquant au lieu d’y persévérer avec dogmatisme ».  Cette tâche qui découvre les erreurs, les met à nu et s’instruit auprès d’elles apporte l’inspiration scientifique, dont le corpus de connaissances sur l’objet guerre s’agrandit. Bien que la connaissance académique de la guerre ne constitue pas la dimension exclusive sur laquelle reposent les succès futurs, la notion de défaite permet a minima d’y apporter une analyse critique en sondant notre degré d’ignorance de la guerre.

Ces Regards sur la guerre proposent, in fine, de naviguer dans le savoir de la guerre en épousant le paradoxe cusain de la docte ignorance : « savoir c’est ignorer »[4]. En paraphrasant Nicolas de Cues, on pourrait alors affirmer que la structure épistémique que l’on cherche à définir est à la guerre ce que le polygone est au cercle dans lequel il s’inscrit. On peut toujours concevoir un polygone à n+1 côtés sans jamais épouser le périmètre du cercle. C’est pourquoi la structure épistémique est un outil euristique qui permet de mesurer notre degré d’ignorance sur la guerre, objet historique.

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La guerre à ciel ouvert. Irak 1991, la victoire rêvée. Valéry Rousset

[1] Genèse, 3,19

[2] Marc Bloch, L’étrange défaite, Témoignage écrit en 1940, Société des Éditions Franc-Tireur, Paris, page 55 ;

[3] Reinhardt Kosseleck, Mutation de l’expérience et changement de méthode, in L’expérience de l’histoire, Gallimard, Paris, 1997, page 265 ;

[4] Nicolas de Cusa, De la docte ignorance, Éditions de la Maisnie, PUF, Paris, 1930, 229 pages ;

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À propos de l’auteur
Olivier Entraygues

Olivier Entraygues

Docteur en histoire, HDR, officier de l'infanterie et breveté de l’École de guerre. Olivier Entraygues travaille sur l'histoire militaire et l'histoire des conflits. Il intervient à l'Irsem, au Cnam et à l'université Panthéon-Sorbonne.
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