En septembre 2024, l’Armée de Terre française a réactivé la brigade du génie (BGEN) lors d’une cérémonie aux Invalides, en présence de hautes autorités civiles et militaires. Son commandement a été confié au général Christophe Bizien. Loin d’être une simple restauration, elle est une étape clé de la restructuration profonde des forces terrestres.
Cette réactivation marque le retour d’une unité clé dissoute en 2010 dans un contexte de rationalisation budgétaire. La renaissance de la BGEN est un signal fort : une armée qui investit dans son génie se prépare à une guerre de terrain, où la maîtrise du milieu d’engagement et la neutralisation des menaces sont déterminantes.
Combler un vide stratégique
Créée en 1993, la brigade du génie avait pour vocation de centraliser des capacités rares et stratégiques : franchissement d’obstacles, neutralisation des menaces NRBC (nucléaire, radiologique, biologique, chimique), déminage et cartographie avancée. Ces missions, essentielles à la mobilité et à la sécurité des forces armées, répondaient aux besoins des brigades interarmes dans des environnements complexes. Inspirée des modèles britannique et allemand, la BGEN combinait des expertises techniques variées, allant des unités cynotechniques à la cartographie, tout en offrant une structure de coordination réactive.
Cependant, la dissolution de cette brigade en 2010, dans le cadre de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), a fragmenté ces capacités. L’absence d’une structure centralisée a réduit l’efficacité des forces terrestres, notamment dans des domaines critiques comme le franchissement. L’éclatement des unités a également affecté la rapidité d’intervention dans des contextes tactiques où chaque minute compte, comme en Afghanistan ou au Sahel. La vulnérabilité des zones arrière, souvent négligées, s’est également accrue, exposant des faiblesses stratégiques que la BGEN aurait pu combler. C’est sur ces retours d’expérience et sur l’étude prospective des conflits de demain que se fonde la réactivation de la BGEN.
Centraliser pour mieux servir
Le 11 septembre 2024, la réactivation officielle de la BGEN a marqué un tournant stratégique pour l’armée de Terre. Cette brigade, désormais basée à Angers dans le quartier Berthezène, regroupe des régiments spécialisés dans des missions complémentaires. Cette nouvelle organisation reflète une volonté de centralisation des capacités rares pour répondre aux menaces modernes.
La BGEN inclut des unités emblématiques : le 2e régiment de dragons, expert en défense NRBC, capable de neutraliser les menaces chimiques, biologiques et radiologiques ; le 19e régiment du génie, pilier des capacités de franchissement et des infrastructures lourdes ; le 28e groupe géographique, garant du renseignement topographique et de la cartographie avancée ; le 31e régiment du génie, spécialisé dans l’appui direct et la mobilité des forces ; et le 132e régiment d’infanterie cynotechnique.
Ces régiments permettent à la BGEN de couvrir tout le spectre des opérations militaires, qu’il s’agisse de la sécurisation des zones arrière, de l’appui direct au combat ou de la préparation des terrains pour des manœuvres stratégiques. Intégrée au Commandement de l’Appui et de la Logistique de Théâtre (CALT), la BGEN collabore étroitement avec la brigade de maintenance et la brigade logistique pour garantir une continuité opérationnelle optimale.
Maîtriser le milieu d’engagement
La réactivation de la BGEN repose sur une ambition centrale : garantir la maîtrise du terrain dans toutes les phases des opérations. Dans les conflits modernes, la mobilité des forces, la sécurisation des infrastructures et la neutralisation des menaces adverses sont des enjeux cruciaux. Comme le dit le ministère des armées, « cette unité spécialisée se révèle essentielle pour maîtriser le milieu d’engagement dans le domaine du combat de haute intensité comme en gestion de crise, en s’appuyant notamment sur des capacités de géographie, de défense NRBC, de contre-mobilité, de combat cynotechnique, de franchissement, d’appui au déploiement lourd et d’aide au déploiement. Désormais réunies, ces capacités pourront mieux conjuguer leurs effets. »
Dans les régions traversées par des cours d’eau, comme en Europe de l’Est, des ponts flottants motorisés (PFM), capables de supporter des véhicules lourds comme les chars Leclerc, permettent de franchir rapidement des obstacles naturels. Ces équipements, combinés aux engins de franchissement de l’avant (EFA), assurent une progression continue des forces en première ligne. En parallèle, les capacités de déminage et de contre-mobilité permettent de ralentir les forces adverses tout en protégeant les forces alliées.
La sécurisation des zones arrière, souvent perçue à tort comme secondaire, est un autre domaine d’excellence du génie. Les enseignements de l’histoire, notamment la défaite de Sedan en 1870, montrent que des zones arrière mal protégées peuvent compromettre une campagne entière. En garantissant la continuité logistique et stratégique, la BGEN joue un rôle clé dans la préservation des forces.
Enfin, les capacités du 28e groupe géographique renforcent la planification stratégique. En fournissant des données topographiques précises et en anticipant les obstacles naturels ou artificiels, le génie contribue directement à optimiser les manœuvres militaires. Cette combinaison d’expertise tactique et stratégique fait de la BGEN une arme essentielle dans les conflits modernes.
Moderniser le génie
La réactivation de la BGEN s’accompagne d’un investissement massif dans les technologies de pointe. Les drones, utilisés pour la reconnaissance et le déminage, permettent de réduire les risques pour les sapeurs tout en augmentant l’efficacité des interventions. Ces outils offrent une cartographie en temps réel et une capacité d’intervention à distance, vitales dans les environnements à haut risque.
L’arrivée de l’Engin du Génie de Combat (EGC), prévu pour 2029, symbolise cette modernisation. Successeur de l’EBG Vulcain, l’EGC combinera des capacités de creusement, de destruction et de franchissement, tout en offrant une protection renforcée pour ses équipages grâce à des systèmes téléopérés. Conçu pour répondre aux exigences des conflits de haute intensité, cet engin est l’illustration d’un génie militaire en phase avec les défis technologiques du XXIe siècle.
Par ailleurs, la formation continue des sapeurs est au cœur des priorités. En combinant des entraînements individuels, des exercices collectifs et une maîtrise des nouvelles technologies, la BGEN prépare ses membres à opérer dans des environnements variés, qu’il s’agisse de zones urbaines, montagneuses ou de plaines traversées par des obstacles naturels.
Achever la réforme
Malgré ses avancées, la réactivation de la BGEN reste incomplète. Certaines capacités critiques, comme le franchissement assuré par le 6e régiment du génie, ne sont toujours pas intégrées dans la brigade, limitant une centralisation pourtant revendiquée comme essentielle. Par ailleurs, les contraintes budgétaires et les coûts liés à la modernisation des équipements représentent des obstacles importants dans un contexte où les ressources militaires sont déjà sous tension.
Cependant, ces défis n’entament pas l’ambition portée par cette brigade réactivée. Avec sa devise, « Ils marcheront en tête », la BGEN incarne une armée française qui allie tradition et innovation pour répondre aux besoins des conflits modernes. En plaçant la maîtrise du terrain au centre de sa stratégie, l’Armée de Terre réaffirme que le génie n’est pas qu’un soutien, mais une arme décisive. La réactivation de la BGEN, ancrée dans une vision stratégique et technologique, représente une étape clé dans la transformation des forces terrestres françaises, prêtes à relever les défis d’un monde en mutation. Si vis pacem, para bellum.