Depuis la première semaine du mois d’avril 2019, date du déclenchement de l’opération « Volcan de la dignité », les troupes de l’Armée Arabe Libyenne, parties des localités de Joffra dans la région des oasis centrales, sont parvenues aux abords de la banlieue proche du centre de la capitale. Cette avancée, bien que lente et souvent marquée par des retraits localisés, a connu de multiples retournements des allégeances au sein de certaines milices des quartiers de Tripoli.
Sur un plan tactique, les actions militaires se déroulent sur trois axes majeurs :
L’Axe de Gheryan : C’est à partir de cette ville stratégique, pourtant considérée auparavant, comme une place forte de l’islam politique, que la percée la plus spectaculaire de l’Armée ( Armée nationale libyenne du maréchal Haftar) fut la plus rapide. En effet, c’est à partir de cette ville du Jebel Neffoussa que les unités sont entrées dans les banlieues populaires de Gasr Bani Ghechir et Aïn Zarah.
L’Axe de l’Aéroport international – Souany : La prise de l’aéroport par l’Armée et la sécurisation de ses abords constitua un tournant important dans la bataille de Tripoli. Une brigade entière a été mobilisée par l’Armée afin d’avancer dans les zones semi-rurales de Souany en direction du siège de la quatrième garnison. Cette dernière représente le dernier maillon vers Janzour (banlieue cossue de Tripoli et siège des représentations diplomatiques ainsi que du commandement de l’Africom – Libye).
L’Axe Sormane – Aziziyah : Les deux localités de Sormane – Sabratha ont été le point de départ des unités armées qui se sont orientées vers les voies de contournement de Zaouïa en direction des terres de Werchaffana.
Une avancée progressive de l’armée par mitage et retournements des allégeances
Lors des opérations de mitage progressif, il a été remarqué que les commandants dépêchés par K. Haftar sur le terrain ont entamé des pourparlers avec des groupes locaux non affiliés à des factions islamistes afin de tenter de les retourner. Cette pratique a été porteuse et de manière décisive, à Tarhounah. Cette tribu est considérée comme la plus nombreuse dans le bassin tripolitain et ses combattants ont rejoint en masse les troupes de l’Armée. Leur apport a été décisif.
De même, il est attesté que des pourparlers sont en cours entre d’un côté les commandants de l’Armée et des représentants du courant piétiste salafiste dit « madkhaliste » (du prédicateur saoudien Rabiî Al Madkhaly) de la Force Radaâ ainsi que des Nawassi. L’assassinat des membres de toute une unité des Nawassi à Aïn Zarah, par des miliciens fidèles à Sarraj, alors qu’ils s’apprêtaient à remettre leurs armes et leur siège à l’Armée, atteste du probable retournement des allégeances, ou du moins, des engagements des factions salafistes dans la bataille. Ces dernières voient d’un très mauvais œil, l’ascension du nouvel homme fort de la Lybie, le ministre de l’Intérieur et de la Défense, F. Bachagha, originaire de Misratha et premier soutien des factions proches des jihadistes, leurs pires ennemis.
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La « tribalisation » de la bataille : face à Misratha, tous les vaincus d’hier
En impliquant massivement les milices issues de Misratha, F. Bachagha a suscité non seulement de vives craintes au sein des factions tripolitaines, mais il a surtout participé à une forte mobilisation dans les tribus ennemies de sa ville. En effet, le retournement spectaculaire des factions de Tarhouna et surtout le ralliement des unités armées à Bani Walid, la place forte de la puissante tribu de Werfella, ont annoncé une nouvelle configuration des acteurs locaux en conflit. La tentative de F. Sarraj de ramener Werfella dans son giron en rencontrant des représentants de son élite, fut un échec. Le lendemain de cette rencontre, la garnison de l’aéroport militaire de Bani Walid déclara son allégeance à l’Armée.
Dans le Fezzan où la position de Haftar jouit du soutien d’une partie importante de la population, des colonnes sont remontées vers Tripoli à partir des fiefs de Koufra, Sebha et Oubari afin de jouer le rôle d’appui contre les ennemis d’hier, dont une grande partie était issue de Misratha.
Les anciens alignements tribaux semblent se reconstituer à la faveur de l’Armée, puisque la traditionnelle alliance dite des Khoutt El Jedd, jadis formée autour des Werfella, se trouve désormais aux côtés de l’autre puissante confédération tribale de la Cyrénaïque les Haraba face à Misratha et quelques rares villes encore fidèles à F. Sarraj ou aux islamistes.
Les appuis populaires de l’Armée à Tripoli : le pari incertain de Haftar
Les stratèges de l’Armée estiment que la capitale Tripoli regorge de soutiens et n’attend que l’arrivée des troupes pour se soulever contre les milices. Cette conviction n’a été que très partiellement vérifiée dans les faits à Aïn Zarah. Il a été donné à observer aux responsables de l’Armée que la configuration tribale de la capitale qui regroupe le tiers de la population libyenne et qui compte une grande présence de la tribu de Tarhouna en son sein, principalement dans les banlieues d’Aïn Zarah, Gasr Bani Ghechir et Fernaj, gardent jusque-là une attitude très réservée vis-à-vis des belligérants. Cependant, force est de constater que les axes d’avancée de l’Armée, sont toujours orientés vers les fiefs considérés comme loyalistes et principalement, Fashloum, Bab Laâziziyah, Sidi Khlifa, Gharghour, Dhahra et Zaouïet Dahmani.
L’arrêt des combats annoncerait-il la relance du processus politique ?
L’arrêt des combats avec un gel des positions et des fronts serait une nette victoire pour l’Armée qui contrôle désormais toutes les entrées de la capitale, à l’exception de celle menant vers Misratha. Ce scénario ouvrirait la voie à des dissensions au sein du camp regroupé autour de F. Sarraj et pourrait même le conduire vers une cuisante défaite aux prochaines élections, lesquelles ne pourraient plus être reportées, comme par le passé. Les puissances internationales, engagées dans la résolution du conflit qui déchire la Libye, sont de plus en plus conscientes que le chaos et l’erratisme institutionnel ont consolidé la domination des factions terroristes, les réseaux de trafic et les migrations clandestines dans le pays. Aussi est-il impératif, pour la sécurité du bassin méditerranéen, de briser le cycle de la violence en Libye et de prendre en compte la configuration des rapports de force à la lumière des résultats de la bataille de Tripoli, pour imposer à tous les belligérants, un accord politique définitif.
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