Pendant longtemps, l’humanité vivait à l’heure solaire. L’insuffisante précision des horloges rendait vaine la standardisation de l’heure, et la lenteur des communications la rendait inutile. Si l’horlogerie et les transports firent des progrès significatifs à partir de la Renaissance, c’est l’apparition du transport ferroviaire et du télégraphe qui changèrent la donne en conduisant à uniformiser les heures à l’échelle des pays.
En 1868, la Nouvelle-Zélande est ainsi le premier pays au monde à adopter une heure unique, alignée sur celle de sa capitale, Wellington. Il faut attendre 1884 pour que soient mis en place, à la conférence de Washington, les fuseaux horaires tels que nous les connaissons, même si leur mise en œuvre effective fut progressive[1].
Les guerres font changer d’heure
La Première Guerre mondiale donne lieu à une innovation majeure en matière de temps : en 1916, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France instaurent un système de changement d’heure afin d’économiser l’éclairage. Ce système sera également adopté par les États-Unis à la fin du conflit.
Quant à la Seconde Guerre mondiale, elle conduit une partie de l’Europe à passer à l’heure allemande. Parmi les exemples significatifs, on peut citer la France, qui a avancé d’une heure, les Pays-Bas, qui sont passés sur le fuseau de Berlin en lieu et place de l’heure locale, ou encore l’Espagne, où Franco choisit l’heure de Berlin pour sceller l’amitié entre les deux régimes.
En 1973, le choc pétrolier remet le changement d’heure au gout du jour. Ainsi, la France rétablit celui-ci, alors qu’elle l’avait abandonné en 1945[2]. En 1980, il est généralisé à l’ensemble de l’Union européenne[3], et ses modalités sont pleinement harmonisées au tournant des années 2000.
Mais le changement d’heure, qui présente de nombreux inconvénients par la perturbation du rythme des personnes et des organisations, est abandonné par un nombre croissant d’États : la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie n’y ont ainsi plus recours. En 2018, l’Union européenne s’est également engagée sur cette voie, même si les États membres peinent pour l’instant à s’accorder sur les modalités.
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Le fuseau horaire, un choix politique et économique
Mais un pays ne choisit pas seulement son heure pour aligner son rythme de vie avec les heures d’ensoleillement. Il le fait aussi en fonction des États environnants, comme le montre l’exemple de l’Union européenne. D’autres cas sont significatifs à cet égard, comme celui des Kiribati et des Samoa occidentales, qui sont passés de l’autre côté de la ligne de changement de date, afin de ne plus avoir une journée de décalage avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, leurs principaux partenaires économiques. Les îles Marshall ont fait la démarche inverse lors de l’accession à l’indépendance vis-à-vis des États-Unis, ne souhaitant plus être du même côté de la ligne que leur ancien pays de tutelle.
Car changer d’heure peut être une façon de matérialiser l’accession à l’indépendance. Ainsi, les États baltes, l’Ukraine et la Moldavie changèrent de fuseau horaire en se séparant de l’URSS, tandis que la Biélorussie est restée à l’heure de Moscou, comme un symbole de ce qui s’est produit sur le plan politique. Inversement, lorsque la Crimée a été de nouveau rattachée à la Russie en 2014, elle a repris son fuseau initial.
En effet, un changement d’heure peut aussi signifier une mise au pas sur le plan politique. La Chine a ainsi aligné les anciennes régions autonomes du Tibet et du Xinjiang sur l’heure de Pékin en 1949, l’Empire du Milieu n’ayant depuis qu’un seul fuseau horaire, symbolisant sa forte centralisation politique. Il s’agit d’ailleurs d’un cas unique pour un pays aussi étendu, les États-Unis, le Canada et la Russie vivant sur plusieurs fuseaux. Le record étant détenu par la France[4], grâce à ses nombreux territoires d’outremer.
Le changement de fuseau peut également matérialiser un conflit. Ainsi, la Corée du Nord[5] a décalé son heure officielle de 30 minutes, afin de se démarquer de son voisin du sud. Finalement, elle est revenue sur cette décision 3 ans plus tard, en 2018, dans le cadre du réchauffement de relations entre les deux États.
Mais à l’inverse certains pays restent à l’heure solaire sans se soucier de leurs voisins. Par exemple, le Népal est longtemps resté sur le fuseau UTC + 5h40, avant de mettre un peu d’eau dans son vin en passant à UTC + 5h45.
Un mode de fixation du temps qui fait de la résistance
Les unités de temps, reposant sur une base duodécimale, semblent du reste archaïques. Elles n’en ont pas moins été standardisées par la norme ISO 8601, créée en 1988. Dix ans plus tard, c’est l’horloger suisse Swatch qui tente de créer le « temps Internet », reposant sur une base décimale[6]. Mais elle n’est pas allée plus loin que l’effet de mode, le système existant étant manifestement adapté aux besoins à défaut d’avoir l’air rationnel.
Quant à la référence, il s’agit toujours du méridien de Greenwich, adopté en 1884, en même temps que le système des fuseaux horaires. Il ne s’agissait à l’époque que d’une confirmation d’une pratique dominante, du fait de l’importance de la marine marchande britannique qui y avait recours[7]. Toutefois, ce temps européanocentré peut être vu comme un héritage du passé, d’autant que son corollaire, la ligne de changement de date, coupe en deux le Pacifique, nouvel épicentre géopolitique du monde. Il est donc possible que ces lignes soient appelées à bouger dans les décennies à venir.
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Notes
[1] http://histoiredechiffres.free.fr/calendrier/fuseauxhoraires.htm
[2] Il avait cependant été mis en place en 1966 par l’Irlande et l’Italie
[3] https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20190304IPR30073/vers-la-fin-du-changement-d-heure-en-2021
[4] On en compte 12
[5] https://www.europe1.fr/international/la-coree-du-nord-rejoint-le-fuseau-horaire-de-la-coree-du-sud-3643685
[6] La Révolution française a également tenté d’introduire un système horaire reposant sur cette base
[7] https://www.republicworld.com/world-news/rest-of-the-world-news/gmt-was-chosen-as-the-prime-meridian-of-the-world-on-this-day-in-1884.html