Aristide Briand Reboas, qui porte le beau nom du « Pèlerin de la paix », diplômé de l’École des Hautes Études Internationales, des Hautes Études Politiques, et du Centre d’Études Diplomatiques et stratégiques (CEDS) de Paris, a été directeur général des renseignements généraux auprès de la présidence de la République Centrafricaine, puis à la défense des droits de l’Homme à l’Union Africaine. Candidat à l’élection présidentielle 2021 de son pays, il se livre à une intéressante analyse des menaces terroristes qui gangrènent le continent, tout en prônant une diplomatie africaine active, qui seule à ses yeux pourrait forger une Afrique maîtresse de son destin.
Les récentes interventions militaires en Libye et en Côte d’Ivoire, qui enrichissent la longue liste des opérations sur le continent depuis le début des années 1960, les embargos sur les armes maintenus en RCA, la présence militaire de la France au Mali, ont contribué à démontrer les insuffisances des résolutions des Nations unies et surtout les motivations autres que ceux d’une volonté de rétablir la paix en Afrique, constate l’auteur. Qui pourrait le nier ? La volonté de possession non avouée des puissances d’intervention sur le sol africain n’a pas permis de sortir l’Afrique des crises et des conflits armés à répétition qu’elle connaît, poursuit-il, comme si la cause des nombreux conflits ne provenait que de l’extérieur. Pourtant, il l’avoue, ce sont bien les réalités internes, qui apparaissent souvent comme un facteur limitant le succès des opérations militaires. La légitimité des pouvoirs doit passer par la tenue des élections impliquant l’ensemble des composantes de la classe politique et non-politique (des ex-rebelles transformés pour la circonstance en leaders politiques). Plus facile à énoncer qu’à réaliser.
Pour le moment, la recherche de cette légitimité semble difficilement atteignable, avoue-t-il, parce qu’elle implique un consensus sur le processus électoral, et dénoncer tous les obstacles et lenteurs. La mise en place d’un processus de dialogue constructif national peine à se mettre en place du fait des exclusions qui sont souvent faites à partir des « à priori » et des considérations subjectives. La division au sein de la classe politique s’accompagne par un manque de cohésion dans les stratégies des uns et des autres dans la recherche de la paix. Une armée mal équipée dans son ensemble n’est guère en mesure d’accomplir la mission que l’on attend d’elle. Le rôle apparent de second rang qu’elle joue dans le processus de libération des zones occupées saute aux yeux. L’ambiguïté de la collaboration des forces d’interposition dans la mise en exécution des résolutions et des missions confiées par l’ONU, les rapprochements souvent observés entre les forces de pacification et les rebelles armés, et les dissensions observées au niveau du commandement des missions entre officiers supérieurs de l’armée nationale et le haut commandement de la force d’interposition, gèlent l’efficacité des forces.
Pour remédier à cette situation largement connue et disséquée, que nous propose-t-il ?
- L’intégration de la jeunesse africaine dans le processus de développement durable de l’Afrique.
- La participation équitable de l’Afrique au sein des Institutions et des Organisations Internationales.
- Le renforcement des capacités des Institutions de l’Union.
- La coopération entre l’Afrique et les autres partenaires potentiels dans le monde.
C’est à la fois beaucoup et peu, comment réaliser d’aussi nobles objectifs sans cesse remis sur le métier depuis plus d’un demi-siècle ? Doit-on par ailleurs attendre de l’élargissement du Conseil de sécurité, la solution miracle ?
A lire aussi : Livre : Pratiques de développement durable en Afrique. Politiques, processus et innovations
Un Conseil élargi à 24 membres dont cinq nouveaux membres permanents et quatre nouveaux sièges non permanents. Trois sièges permanents pour des États en développement, un pour l’Afrique, un pour l’Asie et un pour l’Amérique latine et les Caraïbes / Quatre sièges non permanents ‒ un pour l’Afrique, un pour l’Asie, un pour l’Amérique latine et les Caraïbes et un pour l’Europe orientale. C’est certainement une des marches à suivre, mais il nous paraîtrait plus utile de renforcer à la base les armées africaines, consolider les organismes régionaux, conférer plus de poids à l’Union africaine, qui devrait agir de concert avec l’ONU.
L’autre question qu’aborde Aristide Briand Reboas porte sur la naissance et la prolifération, pire, le développement, des groupes ou mouvements terroristes en Afrique qui constituent un véritable casse-tête pour les dirigeants politiques africains. Au fil du temps, on a assisté à la naissance et à la montée en puissance de la violence et de la terreur, organisée et ciblée en Afrique. On dirait que tous les groupes y trouvent un terrain favorable d’expansion par les recrutements forcés et les financements faciles. Les richesses minières sont d’accès simple, la sous-scolarisation et le niveau de pauvreté offrent des combattants bon marché, et les rançons sont monnaie courante. Les différentes régions africaines sont frappées de plein fouet par des activités terroristes. Les islamistes Shebab qui sont bien installés en Somalie et qui y sèment la terreur opèrent désormais hors des frontières du pays, notamment au Kenya où leur dernière attaque du 2 avril 2015 massacre 147 personnes au campus de l’University College de Garissa, ville de l’Est du Kenya située à environ 150 kilomètres de la frontière somalienne. Ces islamistes menacent très clairement de représailles tous les gouvernements ayant envoyé des troupes en Somalie pour lutter contre leur nébuleuse.
Boko Haram qui sévit dans le Nord-Est du Nigéria, au Cameroun et au Tchad, fait des milliers de victimes dont des femmes, des jeunes lycéennes qu’il marie de force aux combattants, des enfants plongés dans un dénuement total. Il multiplie des attaques contre les symboles de l’État (15 juin 2015, à Ndjamena, Boko Haram commet un double attentat, l’un contre le commissariat central et l’autre contre l’école de police où se trouvaient de nombreux stagiaires, causant de lourdes pertes humaines.). Depuis des décennies, en Ouganda, en RDC et en Centrafrique, la LRA de Joseph Kony massacre, tue, enlève, torture, vole et viole en toute impunité malgré la présence de troupes américaines. L’Afrique, comme on le constate depuis des décennies, devient de plus en plus un terrain de prédilection pour la préparation et l’accomplissement d’actes terroristes visant le continent et l’Occident. Aqmi au Sahel, Boko Haram au Nigeria, Cameroun et Tchad, les Shebab au Kenya et en Somalie, la LRA en Ouganda, Congo Démocratique et Centrafrique, les germes d’un terrorisme national Centrafricain depuis l’arrivée de Séléka au pouvoir le 24 mars 2013 sont autant d’exemples de groupes opérant en impunité sur le sol africain.
La lutte contre le terrorisme dans le monde doit prendre en compte ces nouveaux terrains d’expansion de la terreur organisée sous l’idéologie religieuse. Car les gouvernements africains semblent ne pas disposer de moyens conséquents pour lutter contre ces criminels organisés. La prolifération et la puissance certaine de ces bandes armées en Afrique ont pour conséquence de semer la terreur auprès des populations africaines, lesquelles souffrent d’un grand désespoir. Les États-Unis, la France et l’Occident doivent intégrer l’Afrique dans leurs plans d’action préventive et répressive. Suggestion pertinente, mais qui soulève une question cruelle. À l’Occident la rude tâche d’assurer la sécurité des biens et des personnes, et à la Chine de continuer à commercer, de se pourvoir en matières premières et d’envoyer sa main d’œuvre pour y construire édifices et infrastructures ?
Tout ceci indique que la question de la paix et de la sécurité en Afrique doit être l’affaire de tous, et équitablement partagée. Un vaste programme, sachons gré à Aristide Briand Reboas d’en avoir esquissé les premiers linéaments.
A lire aussi : Mozambique : risque de contagion terroriste en Afrique centrale et australe