Présidence de la Banque Africaine de Développement : vers un président francophone en 2025 ?

7 novembre 2024

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Romuald Wadagni au FAD-16

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Présidence de la Banque Africaine de Développement : vers un président francophone en 2025 ?

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Plusieurs candidats sont en lice pour la présidence de la Banque africaine de développement (BAD). Un francophone pourrait en devenir président en mai 2025. C’est notamment le cas de Romuald Wadagni, actuel ministre des Finances du Bénin

En mai 2025, la Banque Africaine de Développement (BAD) aura un nouveau Président.  Institution financière panafricaine créée en 1964, la BAD s’est imposée comme la clé de voûte du développement économique du continent, finançant des projets stratégiques et fournissant une expertise technique pour soutenir les politiques de croissance liées aux infrastructures, à l’énergie, à la santé, ou encore à l’éducation. La BAD regroupe désormais 54 pays africains et 27 pays non-africains. Ensemble, ils œuvrent à ses prises de décision et contribuent à son capital, combinant fonds propres et ressources externes. Les exemples de réussites permises par ce modèle ne manquent pas, à l’instar des parcs solaires en Afrique de l’Est et de l’autoroute entre Abidjan et Lagos.

Aspect non négligeable, alors que la langue française fait l’objet de contestations croissantes dans plusieurs pays d’Afrique, avec des annonces récentes au Niger et en Algérie visant à réduire son statut officiel, la présidence de la Banque Africaine de Développement pourrait bien marquer un retour en force de la francophonie.

Le caractère hautement stratégique de la BAD suscite dès lors de nombreuses convoitises, chaque État membre cherchant à placer ses pions au sein d’une gouvernance très influente. Le mode de scrutin de la Banque repose sur un système de vote pondéré, où chaque actionnaire dispose d’un poids proportionnel à sa participation dans le capital de l’institution. Cette répartition accorde une influence notable aux actionnaires non africains, tels que le Canada, le Japon, les États-Unis et la France, qui contribuent de manière significative aux ressources de la BAD.  L’élection qui approche voit donc émerger de nombreuses candidatures, poussées par des intérêts et des parcours variés. Celui ou celle qui remplacera le Nigérian Akinwumi Adesina décidera ainsi de projets déterminants pour l’avenir de l’Afrique, avec en ligne de mire la diversification économique, les enjeux climatiques et l’endiguement de la pauvreté.

Tour d’horizon des profils déclarés.

Le duel annoncé entre deux experts financiers : Romuald Wadagni pour le Bénin et Samuel Munzele Maimbo pour la Zambie

La course pour la présidence de la BAD semble faire ressortir deux figures marquantes du monde financier africain : Romuald Wadagni, actuel ministre des Finances du Bénin, et Samuel Maimbo, vétéran de la Banque mondiale originaire de Zambie.

Romuald Wadagni, ministre des Finances du Bénin depuis 2016, a transformé l’économie de son pays grâce à des réformes structurantes et une gestion rigoureuse des finances publiques. Sous sa direction, le Bénin est devenu le premier choix pour les investissements étrangers dans la sous-région, renforçant sa crédibilité auprès des investisseurs internationaux. Grâce à des opérations inédites, Wadagni a placé le Bénin sur la carte mondiale des marchés financiers. En 2021, le Bénin a fait une entrée remarquée sur les marchés financiers internationaux en émettant son premier eurobond aligné sur les Objectifs de Développement Durable (ODD), récoltant 500 millions d’euros pour financer des projets sociaux et environnementaux. Cette opération pionnière, orchestrée par Romuald Wadagni, a renforcé la crédibilité du Bénin en tant qu’acteur sérieux de la finance durable en Afrique. Fort de cette première réussite, le Bénin a confirmé en 2024 son statut de « serial émetteur » avec une émission en dollars sursouscrite dix fois, permettant de lever 750 millions USD avec une échéance en 2038. Cette stabilité économique et sa réputation auprès des grands électeurs de la BAD font de lui un favori, d’après la presse internationale, qui loue sa maîtrise des enjeux locaux, ses compétences en négociation et sa connaissance approfondie de l’architecture financière globale.

Samuel Munzele Maimbo, financier expérimenté avec près de 30 ans au sein de la Banque mondiale, a gravi les échelons depuis le programme pour jeunes professionnels pour devenir vice-président chargé du budget, de la performance et de la planification stratégique. Au fil de sa carrière, il a dirigé des initiatives majeures de mobilisation de ressources pour l’Association Internationale de Développement (IDA) et a contribué à orienter les priorités de l’institution vers des projets d’impact mondial, comme la lutte contre le changement climatique et la pauvreté. Originaire de Zambie, il a brièvement travaillé en Afrique au début de sa carrière, mais son parcours est principalement ancré dans les institutions internationales, ce qui suscite des critiques quant à son manque d’ancrage local et sa maîtrise limitée du français. Ce profil, essentiellement anglophone et très tourné vers les structures internationales, pourrait réduire son attrait auprès des électeurs de la BAD, qui privilégient souvent des candidats bilingues et enracinés dans les réalités africaines.

Les apparatchiks n’ont pas dit leur dernier mot : Abbas Mahamat Tolli pour le Tchad et Amadou Hott pour le Sénégal

Les candidatures de Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) pour le Tchad, et Amadou Hott, ancien ministre de l’Économie du Sénégal, mettent en lumière la persistance des élites africaines à maintenir leur influence. Un dilemme s’impose pour les électeurs de la BAD :  pérenniser la vieille garde ou céder à la force des réseaux ?

Abbas Mahamat Tolli, formé à l’Université du Québec en Outaouais, commence sa carrière dans l’administration tchadienne avant de gravir les échelons de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), où il est nommé gouverneur en 2017. Il y mène plusieurs réformes financières avec le soutien du FMI et préside également la Banque de Développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC). Cependant, son parcours est assombri par des accusations de népotisme : en 2022, il est accusé d’avoir favorisé des proches lors d’un concours de recrutement, entraînant la suspension de celui-ci. Tolli publie néanmoins les résultats en 2023, s’appuyant sur la Cour de justice de la CEMAC pour justifier sa décision, ce qui a accentué les tensions au sein de la BEAC et suscité des critiques parmi les États membres. Son lien familial avec le président tchadien Mahamat Idriss Déby, son cousin, alimente les suspicions de népotisme.

Amadou Hott débute dans la finance internationale avec des postes chez Société Générale et BNP Paribas, avant de rejoindre Millennium Finance Corporation à Dubaï et de diriger UBA Capital à Lagos. Il intègre la BAD en 2016 comme Vice-président chargé de l’énergie, puis devient ministre de l’Économie du Sénégal en 2019, où il pilote des projets d’infrastructure financés par des emprunts internationaux. Cette stratégie, bien que favorable à la croissance, suscite des inquiétudes sur la dette publique sénégalaise. Sa candidature est marquée par un scandale datant de 2007 concernant une commission controversée de 20 milliards de FCFA dans la vente de la troisième licence téléphonique au Sénégal. Bien que Hott nie toute implication directe, l’affaire continue de ternir son image. En tant que candidat à la présidence de la BAD, Hott a récemment quitté son poste d’envoyé spécial pour l’Alliance pour l’infrastructure verte en Afrique (AGIA), qu’il occupait depuis 2022, évoquant la nécessité d’éviter un conflit d’intérêts. Pour beaucoup, ce départ est une tactique visant à accroître sa visibilité et à asseoir son influence au sein de l’institution. Son soutien, notamment par des personnalités influentes au Nigeria comme l’homme d’affaires Aliko Dangote et le président actuel de la BAD, Akinwumi Adesina, suscite des interrogations. De plus, la présidence est traditionnellement sujette à une rotation entre les différentes régions du continent.

Des personnalités statu quo en embuscade : Bajabulile Swazi Tshabalala pour l’Afrique du Sud et Ousmane Mamoudou Kane pour la Mauritanie.

Bajabulile Swazi Tshabalala, ex-Vice-présidente de la BAD, et Ousmane Mamoudou Kane, ex-Ministre des Affaires économiques et de la Promotion des secteurs productifs de Mauritanie, représentent la continuité, avec chacun une carrière rodée dans les cercles économiques et administratifs du continent.

Bajabulile Swazi Tshabalala, forte d’un MBA en finance et d’une vaste expérience dans la finance sud-africaine, a occupé des rôles stratégiques chez Standard Bank Group, Transnet, et IDG South Africa. Elle rejoint la BAD en 2018 en tant que Vice-présidente des finances, puis est promue Vice-présidente principale en 2021. En 2024, elle démissionne de son poste pour entrer dans la course à la présidence, officiellement pour éviter tout conflit d’intérêts. Ce départ, toutefois, survient dans un contexte de tensions avec le président de la BAD, Akinwumi Adesina, qui aurait préféré un successeur issu d’Afrique centrale ou de l’Ouest. Malgré les rumeurs, Tshabalala poursuit sa campagne avec le soutien officiel de l’Afrique du Sud, sa candidature perturbant l’équilibre des blocs régionaux, notamment en compromettant les chances du Zambien Samuel Munzele Maimbo.

Ousmane Mamoudou Kane est diplômé de l’École Polytechnique de Palaiseau et des Mines de Saint-Étienne. Il a construit une carrière entre finance et administration, occupant des postes de direction à la Banque africaine de développement (BAD) de 1991 à 2005, notamment comme Vice-président des services institutionnels. De retour en Mauritanie en 2006, il devient Gouverneur de la Banque Centrale, puis dirige la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM) avant d’être nommé ministre des Finances. Kane rejoint ensuite le secteur privé, notamment comme Directeur Général de l’International Mining & Infrastructure Corporation, puis occupe des responsabilités au sein de plusieurs entreprises. En 2020, il est nommé ministre des Affaires économiques et de la Promotion des secteurs productifs. Gouvernement parcours institutionnel et technique soit riche, l’absence de soutien affirmé de la part de son gouvernement affaiblit considérablement sa candidature.

La course pour la présidence de la BAD s’annonce donc comme un vrai champ de bataille où compétences, ambitions, alliances et passés troubles se mêlent. Dans moins de six mois, les électeurs devront trancher lors d’un scrutin qui définira la direction économique de l’Afrique pour les prochaines années.

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À propos de l’auteur
Helena Voulkovski

Helena Voulkovski

Helena Voulkovski travaille sur les risques pays pour un cabinet international d’assurances.
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