La puissance est une idée neuve, ou renaissante, en Asie, en Russie, chez tous les pays émergents et, bien sûr, aux États-Unis. Eux ne partagent pas les états d’âme des Européens, ils assument la puissance comme une évidence.
La puissance est une idée vieille en Europe.
Écrasés par le poids des fautes passées, les peuples européens lui tournent le dos. Ils ont été puissants, ils en ont abusé, ils ont constaté que la puissance coûte financièrement, moralement et psychologiquement, ils ne veulent plus en payer le prix.
La puissance est une idée neuve, ou renaissante, en Asie, en Russie, chez tous les pays émergents et, bien sûr, aux États-Unis. Eux ne partagent pas les états d’âme des Européens, ils ne se posent pas de questions métaphysiques, ils assument la puissance comme une évidence. Un peu à la façon de Gérard Chaliand qui, à la question « Pourquoi la puissance ? », n’a pas trouvé meilleure réponse qu’un éclat de rire. Qui préférerait l’impuissance à la puissance ?
Pour Pascal, « le propre de la puissance est de protéger ». Protéger ses vies, ses héritages, ses rêves, ses croyances. C’est dire qu’ils peuvent être menacés. La notion de puissance établit ainsi un clivage entre deux humanités. Les uns croient que les conflits peuvent disparaître sur une planète harmonieuse où les intérêts de chacun se concilieraient avec ceux de tous les autres – le win-win cher aux libéraux. Si tel est le monde qui vient, il faudra jeter la puissance aux poubelles de l’histoire à côté de la hache de pierre. Pourtant, dans le monde qui est, la hache de pierre a été remplacée par l’arme atomique.
Le débat sur la puissance oppose, comme souvent en géopolitique, les idéalistes et les réalistes. Et même les idéalistes doivent constater que le monde n’est pas (ou pas encore) celui qu’ils appellent de leurs vœux. Ils prônent le recours à la force pour qu’il n’y ait plus jamais besoin du recours à la force, le « devoir d’ingérence » pour rendre inutile toute forme d’ingérence. Dans le monde tel qu’il est, la messe est dite, et elle nous apprend que nous ne sommes pas au paradis. Pas encore. Patience.
Potentiel, pouvoir, puissance… et vouloir
Un peu d’étymologie d’abord. Le dictionnaire nous apprend que le terme vient, à travers quelques métamorphoses, du verbe latin « potere » (pouvoir) lui-même issu de « potis sum », « je suis maître de ». On pense à Corneille : « Je suis maître de moi comme de l’univers » fait-il dire à l’empereur Auguste dans Cinna. Telle est en effet la nature de la puissance, la maîtrise de son destin et de ce qui peut l’affecter. À la fois intérieure et extérieure, elle fixe des objectifs à atteindre et donne les moyens de les réaliser.
Un peu de philosophie ensuite, comme Christophe Cervellon et Frédéric Laupies nous y convient. Aristote est sans doute le premier à avoir pensé la puissance qu’il distingue de l’acte. Ainsi la statue est contenue dans la pierre en puissance, mais c’est le sculpteur qui l’actualise et la fait réellement exister. Chez lui, la puissance s’identifie à un potentiel indéterminé, seule l’action consciente lui donne un sens.
La définition d’Aristote pousse à distinguer des termes souvent confondus. Le potentiel serait une sorte de degré zéro de la puissance, une puissance brute qui ne s’est pas encore déployée. De son côté, le pouvoir peut être compris comme la manifestation de la puissance, l’action pensée et décidée qui utilise ce potentiel. La puissance peut alors être définie comme la combinaison du potentiel et de la volonté, de la matière et de l’esprit.
Toutes ces considérations débouchent sur une même constatation : la puissance n’est rien, ou plutôt ne réalise rien, s’il n’existe pas la volonté de la mettre en œuvre. Elle est, et c’est la définition que nous retiendrons tout au long de ce numéro, « la capacité à pouvoir ce que l’on veut ».
Pascal Gauchon
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— Revue Conflits (@revueconflits) 8 Décembre 2015
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