Les autorités sud-africaines ont annoncé avoir arrêté une centaine de Libyens lors d’un raid opéré dans une ferme qui semble avoir été transformée en base illégale d’entraînement militaire. Une opération qui n’a pas encore levé le voile d’une affaire qui pourrait avoir de possibles liens avec la montée de l’islamisme en Afrique australe.
Le 24 juillet 2024, au petit matin, la police sud-africaine a effectué un raid surprise dans une ferme située en lisière de la ville de White River, localisée dans la province de Mpumalanga, au nord-est du pays. Elle a immédiatement procédé à l’arrestation des 95 personnes présentes, toutes de nationalité libyenne. Officiellement, pour avoir enfreint la loi sur l’immigration et pour avoir menti sur les réelles raisons de leur venue dans ce lieu connu des habitants avoisinants pour être un simple camp de formation pour agents de sécurité.
Selon un communiqué de la police sud-africaine, publié sur le réseau social X, de nombreuses questions ont émergé dès les premières heures de cette arrestation de masse. « Le lieu, qui était initialement désigné comme site d’entraînement [pour agents de sécurité dont l’activité a connu un boom de 40% ces dernières décennies, d’après un rapport de l’Autorité de régulation de l’industrie de la sécurité privée (PSIRA)], semble avoir été transformé en base illégale d’entraînement militaire », a déclaré, Jackie Macie, le ministre de la sécurité et de la sûreté du Mpumalanga dépêché en urgence sur les lieux. « Nous prenons très au sérieux toute menace à la sécurité et à la stabilité de notre province et de notre pays », a tenu à rassurer le major-général Zeph Mkhwanazi, commissaire provincial de la police. Parallèlement, la police a indiqué qu’elle enquêtait sur des faits de crimes et de violence possiblement perpétrés par ces nord-africains, ainsi que sur la découverte importante de diverses drogues retrouvées sur place.
Question de sécurité
Si l’insécurité est croissante en Afrique du Sud et reste un phénomène bien connu de tous, c’est un autre danger qui pourrait menacer la nation arc-en-ciel à long terme. Depuis la chute du régime d’Apartheid, en 1994, les frontières de l’Afrique du Sud sont progressivement devenues poreuses et le pays est devenu la base arrière des islamistes salafistes qui opèrent depuis 2017 au Mozambique. D’après la chaîne de télévision Al-Jazeera qui a publié des documents confidentiels sur le sujet, entre 2007 et 2010, les services de renseignements sud-africains auraient déjoué plusieurs attentats islamistes contre les États-Unis et Israël. En juin 2016, Washington a sévèrement mis en garde ses ressortissants contre de potentiels attentats qui pourraient être perpétrés dans les grandes villes du pays. Un avertissement relayé par le Royaume-Uni qui avait alors fortement irrité Pretoria à l’époque.
Montée de l’islamisme
Si la communauté musulmane ne dépasse pas les 2% d’habitants en Afrique du Sud, installée principalement dans les provinces du Cap et du Kwazulu, elle reste un véritable terreau électoral pour salafistes en devenir (en 2016, deux frères jumeaux ont été arrêtés pour avoir tenté de perpétrer un attentat contre l’ambassade des États-Unis). Les partis Africa Muslim Party (AMP) et Al Jama-ah représentent actuellement les intérêts politiques des musulmans sud-africains en dépit de nombreuses controverses entourant certains de ses leaders. Ils n’ont pas réussi à percer électoralement, recueillant quelques milliers de voix et tout juste un élu dans un parlement provincial, le reste du corps électoral s’est dilué au sein de l’African. National Congress (ANC) qui dirige l’Afrique du Sud. Avec la question palestinienne et les attentats du 7 octobre 2023 perpétrés par le Hamas, les mouvements musulmans ont repris de la voix dans la rue d’autant que l’ANC ne cache pas son soutien à un État palestinien indépendant. Dans le viseur de la Maison-Blanche, les activités du People Against Gangsterism and Drugs (PAGAD), qui comme son nom ne l’indique pas, se livre à des activités mafieuses et qui entretient des liens étroits avec le mouvement paramilitaire sunnite « Qibla» qui a longtemps opéré en Afrique du Sud. Si leurs activités se sont nettement réduites, le PAGAD est toujours sur la liste américaine des mouvements terroristes à surveiller.
Quelle réalité pour les risques ?
Certains analystes, comme Nick Piper, spécialisé dans la gestion des risques sur le continent africain, minimise cependant la réalité d’une menace terroriste fondamentaliste sans nier que des liens puissent exister entre eux et des gangs criminels. L’Afrique du Sud aurait peu à craindre et ne servirait que de transit pour se procurer de faux papiers, selon le directeur de Signal Risk. Une affirmation que contredit le professeur Hussein Solomon, auteur de Djihad. Une perspective sud-africaine (Éditions Sun Media Bloemfontein, 2013). Il explique que l’Afrique du Sud offre aujourd’hui une base confortable pour le djihad wahhabite et représente une menace réelle pour les Sud-Africains, réclamant que le gouvernement prenne des mesures à la hauteur du danger que cela pourrait potentiellement représenter.
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Des propos que corrobore Jasmine Opperman, experte en contre-terrorisme, qui décrit son pays devenu un « terrain de chasse » et une « plaque tournante » pour salafistes. Dernièrement, le Trésor américain a annoncé des sanctions contre deux membres présumés du groupe État islamique (EI) basés en Afrique du Sud (Abubakar Swalleh, décrit comme un « agent de Daesh « par les USA et Zayd Gangat qui serait « un facilitateur et formateur de Daesh »). Ils auraient eu recours à des vols et à des enlèvements contre rançon pour lever des fonds. Quotidien réputé, le Sunday Times a même révélé que des millions de Rands ont été transférés vers plusieurs pays de l’Afrique de l’Est afin de financer des groupes islamistes grâce à des cartes SIM non enregistrées, ne permettant pas de retracer véritablement l’origine de ces transferts illicites. Des fonds qui auraient d’ailleurs permis d’organiser l’attentat meurtrier d’al-Qaïda contre un centre commercial de Nairobi (2013) et qui a causé le décès de 70 personnes.
Si rien pour le moment ne permet encore de relier ces Libyens à un de ces mouvements ou à des activités de mercenariat, dans une déclaration publiée sur Facebook, le gouvernement de Tripoli, reconnu par l’ONU, s’est empressé de déclarer qu’il « niait formellement et clairement » toute affiliation avec ses ressortissants venus en Afrique du Sud. Pays en guerre civile depuis 2011, la Libye a confirmé qu’elle aiderait la police pour découvrir pourquoi ils s’entrainaient secrètement en Afrique du Sud. Les résultats de l’enquête devraient être publiés dans les prochaines semaines ou mois à venir.
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