Enfant, il n’aimait que le dessin, ne pensant qu’à cela. À peine adolescent, il fit de la rue son atelier : conquérir le monde était pour lui partir à l’aventure bombe à la main…
Au début ce fut le tag. Pour limiter ses démêlées fréquentes avec la police, canaliser son impatience, son goût du défi, ses parents l’inscrivirent à un cours de BD. Il s’adonna alors à l’illustration du monde, la nuit, clandestinement, sur les murs. Quand vint l’heure d’assurer un avenir à ce praticien de l’école buissonnière, l’école de graphiste fut choisie. Il y apprit d’autres savoir-faire et assura son indépendance. La passion pour les murs, la rue, la ville ne cessa pas pour autant. Son apprentissage du dessin progressant chaque jour, la représentation réaliste ou narrative devint sa passion.
La découverte de la peinture
Un jour, perché sur une échelle alors qu’il terminait un portrait, un passant s’arrêta pour le regarder faire. Pascal Boyart procédait à la bombe, plongeait ses mains dans la peinture, faisait bouillonner la matière, rendait le mur vivant. Son geste, sa façon de donner du relief aux formes fit dire à son observateur : « Toi ! Tu es un peintre ! »
Ce qualificatif provoqua un choc. Mais oui, c’est évident, comment n’y avait-il pas pensé ! Quand il descendit de son perchoir, il était peintre de son état ! Un autre homme ! C’est comme s’il avait soudain reçu un immense héritage. Son premier geste fut de se précipiter sur l’inventaire de sa fortune. Il se mit à regarder intensément la peinture, à considérer ses outils, ses secrets. S’interrogeant autant sur « qu’est-ce que cela veut dire ? » que « comment s’est fait ? ». Les pinceaux furent, pour lui qui travaillait à la bombe, une découverte ! Parti à la conquête d’un nouveau monde, il lut d’un trait L’histoire de l’art de Gombrich. Au bout des 800 pages résumant cette saga, il considéra l’immense paysage de la peinture, sa diversité, ses enchaînements chronologiques, ses naissances, décadences, renaissances, disparitions et réapparitions. Il constata le miracle incroyable de sa permanence envers et contre tout, de son perpétuel renouvellement. Il se voyait, lui, au bout de cette perspective. Il savait enfin qui il était. Pendant les années qui suivirent, il se mit en quête de sa famille picturale, de ses maîtres. Ceux avec qui il se sentait proche : Goya, Delacroix, Michel-Ange, etc. Ils étaient son école. Il était décidément peintre, fresquiste, et il commença à se passer des commandes monumentales à lui-même. Sa manière évolua en permanence, il explora le pointillisme de Seurat, les forts contrastes de Goya, la touche pâteuse de Freud, le driping de Pollock, etc.
Ainsi, au moment de l’insurrection des Gilets jaunes dans les rues de Paris, il les représenta sur des barricades enflammées, s’inspirant de la toile de Delacroix, La Liberté conduisant le peuple. L’image fit le tour du monde, parut dans le Washington Post, le New York Times, la BBC, etc. s’en fit l’écho, cela paraissait « so french ! ». Ha ! Ces Français, esthètes de la révolution, de l’insurrection, des pavés, de la rue ! L’œuvre emblématique de Boyart fut alors effacée d’urgence par la municipalité de Paris. Naturel destin du street art… mais en l’occurrence, il s’agissait d’une censure, le mur était autorisé et les représentations voisines épargnées. Ô combien dangereuses sont les images !
La mairie de Vitry-sur-Seine, une des capitales du street art, le sélectionna avec d’autres street artistes pour orner ses friches industrielles. Le thème imposé était la femme, dont c’était l’année. La diversité des styles, la provenance internationale y sont caractéristiques. Pascal Boyart, quant à lui, a peint un beau visage de jeune fille, intérieur, recueilli, mystérieux. Elle regarde son smartphone. Un message amoureux ? L’image occupe tout le mur d’un immeuble. Émotion ! L’œil du passant la croise, il revient, regarde encore, photographie et partage. Les pouces se lèvent sur les réseaux sociaux et l’image commence son long voyage autour du monde. La jeune fille amoureuse remporte des suffrages.
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L’art du confinement
Le confinement déclaré en mars 2020 chassa tous les street artistes de la rue ! Un rêve hantait Pascal Boyart : faire des fresques pour le temps long, à l’abri des intempéries dans des lieux sacrés, protecteurs, favorables au regard contemplatif. Son atelier se trouve en banlieue parisienne, dans une ancienne fonderie de métaux précieux abandonnée. C’est un squat partagé avec chômeurs, travailleurs en mal de logement, artistes, venus d’ici ou de loin. Chacun a une vie, une histoire, un monde intérieur. Le cœur du squat, fraternellement partagé, est une immense salle, ayant la forme vague d’une chapelle.
Ce sera sa Sixtine ! Cela colle à l’actualité qui a un air de fin du monde et il aime Michel-Ange ; impossible de ne pas la peindre. Il en évalue l’effort, sait que l’œuvre est vouée à une destruction programmée, tel est le destin du street art… qu’importe ! Un jeune cinéaste, la vingtaine à peine, et son équipe se passionnent pour ce défi et souhaitent en faire le sujet d’un film. Un compositeur se joint à eux. Une œuvre sur l’œuvre se prépare. Mais l’éternelle question se pose : comment vivre à plusieurs, pendant des mois, comment acheter le matériel, la pellicule, louer l’échafaudage ?
Pascal Boyart eut l’idée d’appliquer ce qu’il pratique depuis 2017 pour s’autofinancer et rester libre : les NFT[1]. Il a converti les images de ses différentes œuvres urbaines en jetons non fongibles en y plaçant un QR code, scannable avec un smartphone. La première vente rémunère l’artiste et chaque revente produit un pourcentage qui lui revient, ainsi le nombre d’achats, de suffrages en quelque sorte, soutient la création.
Pourquoi ne pas aussi utiliser ces « jetons de collection numérique » et convertir et la fresque et le film en NFT pour financer l’aventure ? Aussitôt dit, aussitôt fait. Les deux œuvres furent entreprises sans galerie, sans réseau, ni médias ni subventions. Les intermédiaires furent écartés de sa fabrique. Là même où le musée d’art contemporain a besoin d’embaucher des médiateurs pour expliquer les pièces aux visiteurs, l’artiste libre et son public de vadrouilleurs urbains agissant d’un scan, d’un clic, d’un partage, s’expriment impérialement ; une révolution !
Pascal Boyart se mit à peindre et les caméras à tourner. Alors s’invitèrent subrepticement les habitants du squat. Un public sensible, si divers, étonnant, disant son mot sans ambages, exprimant son émotion. Sous l’œil de la caméra, l’œuvre entra en résonnance si fortement avec ses contemplateurs que cette forte réalité devint un élément essentiel du scénario.
Celui qui regarde aujourd’hui le film The Underground Sixtine Chapel accessible sur YouTube découvre cette notion perdue : un vrai public, sans prescripteurs officiels, médiateurs, théoriciens, curateurs, experts et intermédiaires agréés par le marché. Avec talent et poésie, ce film fait apparaître une réalité peu perçue : le lien, la destinée commune qui existe entre œuvre et public (pour l’art contemporain, d’essence conceptuelle, le public a le statut du regardeur duchampien).
Grâce au film, grâce aux NFT, l’œuvre éphémère, non officielle, sans visibilité médiatique, a désormais une survivance numérique. Partagée des milliers de fois, elle circule sans obstacle ni frontières. Grâce aux technologies numériques, les images qui rayonnent de vie, sens, beauté connaissent une fluidité sans pareil. Elles voyagent en silence autour du monde sans besoin de traduction. Ainsi, la peinture marginalisée, diabolisée, réapparaît aux yeux des amateurs. Elle éveille le désir, en attendant de pouvoir être touchée.
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[1] NFT : Apparu en 2017, le NFT (Non Fungibel Token) est une ligne de code renvoyant à une œuvre virtuelle (une image) enregistrée dans le blockchain. NFT et Bitcoin fonctionnent selon le même principe. Leur différence réside en ce que l’un est fongible et l’autre pas. Ce qui veut dire que si tous les bitcoins sont des jetons identiques, chaque NFT est un jeton unique, authentique, infalsifiable, inviolable et traçable. Le NFT introduit la rareté dans la création digitale. Il s’agit d’une nouvelle espèce de monnaie sans frontières. Sa relation à l’image a pour conséquence d’intéresser de multiples manières le marché de l’art.