<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> À propos de porte-avions… 2020 et 2026, échéances critiques

5 avril 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Fin de mission pour le Clemenceau, Auteurs : PHILIPPE MAGONI/SIPA, Numéro de reportage : 00915402_000034.

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À propos de porte-avions… 2020 et 2026, échéances critiques

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Le porte-avions – flanqué de son groupe aéronaval – demeure, depuis le second conflit mondial, l’unité d’intervention essentielle à toute marine de premier rang à vocation mondiale. En dépit des critiques relatives à sa vulnérabilité – face aux torpilles tirées de sous-marins ou aux missiles, de croisière ou balistiques, tirés en salve saturante –, l’actualité montre le regain d’intérêt mondial envers cet outil, politique et militaire.

 

À la suite des efforts constatés dans les grands pays, le débat devrait s’intensifier en France autour de la construction d’un successeur au porte-avions Charles de Gaulle, voire d’un sister-ship destiné à garantir la permanence opérationnelle à la mer d’un groupe aéronaval français.

Poste de commandement sur le Clemenceau.

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Le débat sur les porte-avions en France

Une série d’études a été lancée par le ministère des Armées fin 2018 sur la succession du porte-avions Charles de Gaulle : le projet PANG (porte-avions de nouvelle génération). Elle doit bientôt soumettre au ministre (lors d’un comité ministériel d’investissement) des options, conceptuelles et financières, au regard du mode de propulsion retenu : classique ou nucléaire. Les propositions validées seront ensuite transmises au président de la République pour décision. D’ici la fin de l’année, il devrait faire connaître son choix en matière d’ergonomie générale du projet et de propulsion, mais également ses orientations en matière de construction d’une seconde unité de la classe PANG.

La fin de vie du porte-avions Charles de Gaulle, fixée à quarante ans, est prévue aux environs de 2038. On considère généralement que la durée de construction d’une unité opérationnelle aussi complexe peut nécessiter jusqu’à dix d’années d’efforts, auxquelles il conviendra d’ajouter deux ans pour conduire les essais à la mer. Dans ces conditions, le lancement de la construction d’un successeur au « vieux Charles » devrait survenir au plus tard en 2026.

Cette date théorique permet de réconcilier les calendriers budgétaire, industriel, opérationnel et politique. Elle présente l’intérêt de faire converger les échéances de la future LPM (2026-2033), la disponibilité des chantiers et des équipes de construction ainsi que la montée en puissance des équipages avec l’entrée en fonction du président de la République, au printemps 2027.

Au regard des objectifs stratégiques poursuivis, de l’appréciation des risques et des menaces, il sera possible de statuer sur l’acquisition d’un second porte-avions. Cette décision, conforme aux besoins de la défense nationale, bénéficierait de coûts d’acquisition optimisés, résultants d’un « effet de série » limité mais réel, et permettrait de rétablir la permanence opérationnelle d’un groupe aéronaval français à la mer, disparue avec le retrait du service actif du porte-avions Clemenceau en 1997, la vente du Foch au Brésil en 2000 et l’abandon définitif du projet PA2 en 2012.

Ces orientations doivent être mises en regard de l’intérêt porté aux porte-avions par nos principaux partenaires ou compétiteurs qui tous optent pour ces capital ships.

Le porte-avions Charles-de-Gaulle, fierté de la Royale.

Actualité des porte-avions dans le monde

  • États-Unis

Avec la livraison du porte-avions nucléaire Gerald Ford (CVN 78) en juillet 2017, l’US Navy a remplacé l’USS Enterprise (CVN 65), premier porte-avions américain à propulsion nucléaire (1961-2012). À l’issue d’essais à la mer compliqués par la mise au point d’innovations technologiques (catapultes électromagnétiques EMALS, système de combat et gestion de drones intégrés…), elle disposera d’un 11e porte-avions pour un déploiement opérationnel à compter de 2022, dont la durée de vie devrait s’étendre jusqu’en 2070. La Navy envisage de porter sa flotte à 12 unités à compter de 2031.

De plus, il convient de considérer les porte-hélicoptères d’assaut amphibie de la classe America (LHA-6). Ils sont dépourvus de radiers dévolus à la mise en œuvre des chalands de débarquement afin d’exploiter les capacités offertes par l’embarquement d’avions à rotors pivotants (V-22 Osprey), la mise en œuvre de drones en tout genres et d’optimiser l’emploi d’une dizaine de chasseurs F-35B. L’USS America constitue un laboratoire opérationnel ainsi qu’un porte-avions d’appui. Cette formule est de nature à séduire de nombreuses marines dans le monde équipées de navires amphibies, tentées de transformer leurs ponts plats et leurs hangars pour y faire opérer des avions à décollage vertical (VSTOL) du type F-35B.

  • Chine

Le porte-avions chinois Shandong (type 001A) a été admis au service en décembre 2019. Après le Liaoning (type 001), ex-Varyag de fabrication soviétique, il s’agit du premier porte-avions de fabrication indigène. Les chantiers chinois travaillent au développement d’un porte-avions de type 002 qui serait équipé de catapultes. Il entrerait en service d’ici 2030. Son type de propulsion, classique ou nucléaire, demeure incertain.

Au-delà, Pékin s’applique à la construction d’un porte-avions de type 003 (lancement en 2022, entrée en service en 2025). Il disposerait d’une propulsion conventionnelle et de catapultes électromagnétiques. Ce porte-avions de transition préparerait la conception du type 004 qui devrait être équipé d’une propulsion nucléaire.

  • Japon

Lors de l’adoption, en décembre 2018, de l’équivalent d’une revue stratégique et d’une loi de programmation militaire quinquennale, le gouvernement japonais avait décidé l’acquisition de chasseurs F-35B, à décollage et atterrissage vertical.

Depuis, le Japon a approuvé la transformation des croiseurs porte-hélicoptères JS Izumo et JS Kaga en porte-aéronefs polyvalents. Ces transformations pourraient s’étaler sur quatre à cinq ans, période qui permettra la création, l’entraînement et la qualification d’un groupe aérien interarmées. Il devrait comprendre les F-35B embarqués des forces aériennes, des V-22 Osprey (forces terrestres) ainsi que des hélicoptères anti-sous-marins de type Sea Hawk (marine).

Le Japon aura besoin d’une dizaine d’années avant que les deux porte-aéronefs et leur groupe aérien soient opérationnels pour une mission de projection de puissance à la mer ou contre la terre.

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  • Royaume-Uni

Le 10 décembre 2019, la Royal Navy a admis au service actif son second porte-avions accueillant des chasseurs à décollage et atterrissage vertical F-35B, le HMS Price of Wales. Il s’agit du sister-ship du HMS Queen Elizabeth, entré en service fin 2017 et dont le premier déploiement opérationnel est prévu en 2021.

Confrontée à une situation budgétaire délicate en raison du Brexit, la Strategic Defence Review 2020 britannique devra permettre au Premier ministre Boris Johnson de choisir entre le maintien en condition de forces conventionnelles et nucléaires et le développement de nouvelles capacités technologiques notamment dans le domaine cyber, de l’intelligence artificielle et de l’espace. Dans ce contexte, il n’est pas certain que le maintien en condition du HMS Price of Wales puisse être garanti, bien qu’il contribue à l’incarnation du slogan Global Britain.

  • Russie

Après avoir vendu le porte-avions Varyag à la Chine (2000) puis l’Amiral Gorshkov à l’Inde (2004), la Russie ne dispose plus que d’un seul porte-avions, l’Amiral Kuznetsov, admis au service actif en 1991. Ce dernier était en arrêt technique majeur pour modernisation en vue d’une remise en service en 2021, lorsqu’un incendie important, lié aux travaux, s’est déclaré à bord en décembre 2019.

Il est peu probable que ce coup du sort entame la détermination russe à conserver son savoir-faire en matière de porte-avions et d’aviation embarquée. Les outils de gestion de crise qu’ils représentent sont trop précieux pour que Moscou, engagée dans une politique d’affirmation de puissance, décide d’y renoncer. Les ingénieurs russes sont probablement à la recherche de coopérations pour développer leurs projets de porte-avions futurs.

  • Inde

Après avoir été l’un des rares pays d’Asie doté de capacités aéronavales embarquées sur porte-avions, l’Inde s’est fait dépasser par la Chine, en dépit de l’acquisition d’un porte-avions russe devenu l’INS Vikramaditya. Le succès, en janvier 2020, des appontages et décollages à bord du chasseur-prototype Tejas-N, construit par la société indienne HAL, devrait relancer l’intérêt de New Delhi pour les porte-avions et accélérer l’admission au service actif de l’INS Vikrant, lancé en 2015, actuellement estimée en 2021. Au-delà, l’Inde est intéressée par le développement et la construction d’un troisième porte-avions, équipé de catapultes et de brins d’arrêt, l’INS Vishal.

 

Conclusion

Toutes les grandes puissances ou les puissances émergentes ont lancé des programmes de construction de porte-avions ou de porte-aéronefs. Alors que chacun observe le retour du combat de haute intensité, y compris en mer, ces navires demeurent des atouts essentiels de la puissance stratégique des prochaines décennies.

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À propos de l’auteur
Olivier Kempf

Olivier Kempf

Le général (2S) Olivier Kempf est docteur en science politique et chercheur associé à la FRS. Il est directeur associé du cabinet stratégique La Vigie. Il travaille notamment sur les questions de sécurité en Europe et en Afrique du Nord et sur les questions de stratégie cyber et digitale.

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