En octobre dernier, le parti national populiste Vox anima un événement pour contrer l’agenda onusien. Selon le parti espagnol, celui-ci se focalise sur un remplacement migratoire des autochtones européens en faveur des nouveaux arrivants extra-européens. Un choix inacceptable pour le parti de Santiago Abascal. Madrid a reçu également l’appui de l’italienne Giorgia Meloni et du portugais André Ventura. Faut-il y voir la création d’un axe politique entre ces trois partis ?
Une langue, un pays, un empire
Abascal présenta le rassemblement comme une fête de la diversité et de l’unité de l’Espagne. Le pays est miné de l’intérieur par les factions séparatistes, notamment en Catalogne et au Pays Basque. Abascal dénonce souvent les accords du Parti Socialiste avec des partis qui veulent briser l’unité du pays. Vox, il faut le rappeler, est né d’une scission du Parti Populaire car celui-ci était jugé trop mou face à la domination culturelle et médiatique de la gauche et trop immiscé avec les manigances politiciennes du centrisme espagnol.
Comme jadis, l’Espagne de Vox est une Espagne qui se veut rassembleuse, prête à tisser des alliances avec d’autres pays européens, notamment de tradition catholique, pour créer une véritable barrière face aux forces venues d’outre-Méditerranée. Le souvenir de Lépante (1571) est souvent évoqué par les partisans du parti populiste, l’Espagne est vue comme le rempart de l’Europe occidentale.
Créer un front populiste
Les partis nationalistes, historiquement plus tournés vers l’intérieur que les autres, découvrent la nécessité de la formation d’un mouvement transnational, purement européen, pour défendre leur civilisation commune. Ainsi, Giorgia Meloni a accepté l’invitation de Vox pour prendre la parole. L’Italienne fit un discours enflammé où le patriotisme et le besoin de combattre l’agenda progressiste étaient à l’ordre du jour. Elle parla dans un castillan très bon, sans besoin de traducteur. La langue espagnole, l’une des plus parlées au monde, est une arme de poids pour Abascal et les siens.
L’événement VIVA 21 vit aussi la participation de André Ventura, leader du parti Chega et son seul député dans le parlement portugais. Lui aussi s’exprima en castillan. Sa présence est encore plus significative car Chega, contrairement aux Fratelli d’Italia, n’est pas membre du même parti que Vox au parlement européen. Abascal essaie donc d’unir toutes les forces contestataires à droite, pour peser dans les instances bruxelloises. Un axe entre les identitaires et le parti des conservateurs et réformistes pourrait produire des effets plus prégnants.
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L’Espagne est l’un des derniers pays où les contre-pouvoirs fonctionnent. Les tribunaux ont déclaré que le premier confinement établi par les socialistes fut illégal et que les passeports sanitaires sont inconstitutionnels. Ce fut Vox qui déclencha la mobilisation contre les excès de l’exécutif. En Europe continentale le souffle de liberté n’est pas français, ni néerlandais – des pays plus libéraux historiquement – mais espagnol.
Déjà une réalité en Italie, les droites classiques des deux pays ibériques ne pourront plus revenir aux affaires sans une alliance avec les droites plus musclées. La France, dès l’avènement du Macronisme, paraît destinée à un sort semblable aux autres pays latins du continent. Toute la question est si les centristes ne noieront pas les populistes dans les eaux glacées du conformisme, via les prébendes, les places, l’argent.
Le géant d’outre-Atlantique
Quelles relations ont-ils avec la puissance étasunienne? Plutôt bonnes. Les traces de l’expérience historique des pays sont visibles dans chaque discours. Chega veut rééquilibrer les priorités portugaises, trop ancrées dans le continent européen depuis la révolution des œillets (1974). Lisbonne, contrairement à Madrid et Rome, est une ville atlantique, orientée vers le Grand Large. Ventura, connaisseur de l’histoire, sait que le Portugal est un pays plus atlantique qu’européen. D’abord un allié de l’Angleterre, ensuite de l’Empire Britannique, aujourd’hui de la thalassocratie américaine.
L’Espagne, contrairement au Portugal, a une rivalité historique avec les Anglo-Américains. La langue espagnole a pu éclipser la langue anglaise, cela a échoué essentiellement parce que l’Angleterre a su désenclaver le Portugal du reste de la péninsule et elle a également su instrumentaliser la puissance néerlandaise à son profit. Nonobstant, Abascal et Vox sont favorables à une entente solide avec Washington. Mais ils préfèrent la tendance trumpienne, les Républicains habituels sont trop libéraux économiquement et peu soucieux de l’homogénéité ethnique des pays. Vox se situe donc entre Chega et Fratelli d’Italia.
Cela peut surprendre mais comparativement le parti italien est le plus lointain de la cosmovision de Washington. L’Italie a une tradition continentale bien plus forte que celle espagnole, ne parlons même pas de la portugaise presque inexistante. Quand Trump donna l’ordre pour éliminer l’iranien Qassem Soleimani Salvini s’est félicité. Meloni, en revanche, twitta qu’un accroissement des tensions au Moyen Orient n’intéresserait jamais l’Italie car cela augmenterait la pression migratoire sur l’Europe et le terrorisme en général. Pendant que les suivistes voulaient des applaudissements, elle adopta une position bien plus nuancée. Giorgia Meloni ne fut pas séduite par l’élimination d’un homme clef dans la lutte contre l’État Islamique.
Sur la Chine et la Russie
Les trois partis voient la Chine comme une menace – ils ont tous un ADN anti-communiste version Guerre Froide. Nonobstant, les Portugais seraient les moins critiques envers la puissance orientale car ils ont des liens plus étroits, Macao fut seulement rendue à la Chine en 1999. Les investissements chinois dans l’économie portugaise divisent. Les uns disent que l’investissement étranger dynamise le pays et doit être protégé, les autres affirment qu’ils peuvent assujettir le pays à un autre avec un modèle économique et civilisationnel assez différent.
Quant à Abascal et Meloni, ils se placent clairement à côté des États-Unis face au défi chinois. Vox s’active encore plus que les Frères d’Italie, convaincu que la présence chinoise en Amérique Latine est une un facteur négatif pour l’influence madrilène dans la région.
Les partis italien et espagnol ont une position ambiguë sur Moscou. D’un côté ils apprécient la renaissance russe après la chute du mur de Berlin; de l’autre ils sont poussés par leur allié polonais en Europe à critiquer Poutine. Ils aiment la défense des valeurs familiales, conservatrices et chrétiennes de la nouvelle Russie – véritable bastion contre le déferlement woke. Au-delà de cela leur positionnement n’est pas concret, il paraît changer selon les circonstances.
Le parti portugais est le reflet de la société portugaise, la Russie n’est pas vraiment un sujet. La géographie s’est chargée d’éloigner les deux pays, le Portugal est le pays européen le moins préoccupé avec une poussée russe vers l’ouest. André Ventura, comme Meloni et Abascal, salue le conservatisme ambiant en Russie. Économiquement Lisbonne n’est pas véritablement liée à Moscou, contrairement aux hommes d’affaires italiens. Ajoutons que la Russie subit à Rome une chaleur qu’elle ne ressent ni à Madrid ni à Lisbonne.