Comme nous le montre le passé, le poison est autant une épée qu’un bouclier. Utilisé pour évincer un adversaire ou se prémunir des attaques d’un ennemi, il reste l’arme la plus élémentaire, la plus accessible mais aussi la plus efficace à utiliser. De la Rome antique à l’affaire Skripal, l’histoire nous confirme qu’elle a fait ses preuves.
Si en 2018, l’affaire Skripal a rappelé au monde l’existence du poison comme arme politique, on sait bien que l’homme politique au premier chef utilise les poisons depuis la préhistoire. Il n’a eu qu’à puiser dans l’immensité de la Mère Nature : plantes, champignons, animaux, micro-organismes. Certains servent parfois aussi à fabriquer des médicaments. Depuis la Rome antique avec les potions de Locuste, et jusqu’aux empoisonnements célèbres de Napoléon à Sainte-Hélène et Raspoutine, ce dernier ayant survécu à la dose administrée, les poisons ont toujours été au cœur des intrigues historiques. Dès la Préhistoire, l’homme s’est servi des poisons pour se débarrasser de rivaux. Au fil des évolutions techniques, de nouveaux sont apparus, certains particulièrement redoutables et meurtriers, issus par exemple de la radioactivité, comme le polonium qui a été employé contre Litvinenko à Londres en 2006.
Le fameux Paracelse, médecin du XVIe siècle, affirmait : « Tout est poison, rien n’est poison. C’est la dose qui fait le poison. » Rappelons que le mot « toxine » provient du grec toxicon, « poison pour pointe de flèche. » Dans L’Odyssée, Homère explique qu’Ulysse recherche un poison pour ses pointes de flèche. Une technique qui a été reprise par les parapluies bulgares dans les années 1980, destinés à éliminer discrètement les opposants. De Mithridate VI, ce roi antique qui, selon la légende, absorbait de petites doses de poisons afin de s’immuniser (le terme « mithridatisation » est utilisé pour décrire le processus qui consiste à s’immuniser contre du poison) jusqu’à Alexandre III, Kirill Privalov, journaliste littéraire sur radio Cultura, qui a déjà publié Bienvenue chez les Russes, chez Macha, en 2018, livre un panorama copieux et pittoresque de ce qu’il dénomme Poisonland dont il nous fait visiter bien des demeures. Dans la Rome antique, Néron et Agrippine furent bien généreux en la matière. La femme de l’empereur Claude, et mère de Néron, aurait fait libérer une Gauloise, Locuste, connue pour ses talents d’empoisonneuse. Britannicus, né d’un premier mariage de l’empereur Claude, qui périt probablement sous l’effet de champignons vénéneux, fut lui-même éliminé par Néron grâce à un poison préparé par Locuste qui tua immédiatement le jeune homme. Le poison connut une période faste à la Renaissance, en Italie, avec la famille Borgia. Rodrigo Borgia, le père, devenu le pape Alexandre VI, fut impliqué dans plusieurs empoisonnements avec son fils César. Ils utilisaient toutes sortes de poisons à base de mercure, d’arsenic, d’aconit, d’if, de jusquiame, de phosphore, de pavot, de ciguë. César Borgia portait une bague à poison qui lui permettait d’empoisonner son ennemi en lui serrant simplement la main. De l’Italie, qui excellait en la matière, l’usage du poison passa à la Moscovie. Ivan le Terrible adorait servir personnellement la coupe de poison. Le cardinal de Richelieu, obsédé par sa phobie de l’empoisonnement, s’entourait de chats afin qu’ils vérifient si les plats qu’on lui servait étaient toxiques ou non. La cour du roi Louis XIV fut marquée par la célèbre affaire des poisons. Que d’autres petites histoires trouve-t-on dans ce livre, où apparaissent, Pierre le Grand, Alexandre I, Talleyrand, ou Alexandre III, tombé malade trois jours après la ratification, le 23 décembre 1893, de la convention militaire franco-russe. On attend le deuxième tome qui traitera de l’époque contemporaine.