<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La piraterie, ce fléau des routes maritimes de l’Indopacifique

9 juin 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Garde-côtes malaisiens dans le détroit de Malacca, Auteurs : BERBAR HALIM/SIPA, Numéro de reportage : 00646817_000002.

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La piraterie, ce fléau des routes maritimes de l’Indopacifique

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L’espace indopacifique accueille la route maritime reliant la Chine à l’Europe, empruntée par de nombreux porte-conteneurs, mais aussi celle des pétroliers qui vont vers l’Europe et la Chine, pour ne citer que deux exemples majeurs. Même si les risques du transport maritime sont bien moindres que durant les siècles précédents, certains n’ont pas disparu, parmi lesquels la piraterie. Le transport des richesses du monde au large de pays pauvres suscite des convoitises.

La piraterie moderne devient significative dans les années 1990, lorsque les océans cessent d’être un théâtre d’affrontement entre Soviétiques et Américains, dans le cadre de la guerre froide. En Asie du Sud, c’est la crise de 1997 qui a été à l’origine de l’explosion du phénomène. Il est alors devenu un sujet de préoccupation majeure pour le monde maritime.

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L’Asie du Sud : du brigandage au terrorisme

Dans cette région, les pirates montent à bord des navires pour y voler tout ce qui peut l’être facilement : argent liquide, effets personnels des marins, pièces détachées… Ils profitent du dédale constitué par les îles et îlots de la région, que les États riverains, en particulier l’Indonésie, ne peuvent pas toujours contrôler, d’autant qu’ils ne s’entendent pas toujours entre eux. Les attaques peuvent également prendre un tour plus organisé, les navires transportant de l’huile de palme voyant leur cargaison siphonnée vers un autre navire, généralement immatriculé sous un pavillon « bas de gamme » comme la Mongolie ou la Guinée équatoriale.

Le nombre d’attaques se chiffre à une centaine par an, avec deux pics notables en 2000 et en 2015 où l’on a dépassé les 200 attaques. On peut noter au milieu des années 2010 la montée en puissance de groupes terroristes pratiquant la prise d’otages comme Abu Sayyaf, dans un monde qui relevait principalement du crime organisé. C’est d’ailleurs le risque terroriste qui a conduit les Américains (ou leur a servi de prétexte selon le point de vue) à coordonner des patrouilles à partir de 2004. Ceux-ci peuvent d’ailleurs s’appuyer sur la base navale singapourienne de Changi, inaugurée cette année-là.

La Somalie dépasse Malacca

Pendant la seconde moitié des années 2000, les eaux au large de la Somalie dépassent le détroit de Malacca en nombre d’attaques. Qui plus est, les conséquences des attaques sont plus lourdes, puisqu’elles consistent en des prises d’otages, et non plus dans des vols aux conséquences matérielles. Après avoir connu un pic en 2010, son importance décroît fortement grâce aux mesures prises, pour repasser en deçà de l’Asie du Sud en 2013 et se marginaliser ensuite, au prix toutefois d’une forte présence militaire et d’une protection coûteuse des navires.

La Somalie a aussi été le théâtre de piraterie plus médiatique. En France, les prises d’otages du Carré d’As IV et du Ponant ont défrayé la chronique en 2008. Aux États-Unis, c’est le détournement du Maersk Alabama qui s’est retrouvé sous les projecteurs en 2009, inspirant même un film, Captain Phillips. Au Danemark, c’est le Leopard, dont les marins ont été retenus prisonniers pendant pas moins de huit cents jours, et dont a été tiré le film Hijacking. Mais tous les marins n’ont pas bénéficié des moyens occidentaux, fussent-ils modestes pour le cas du Leopard. C’est ainsi que des marins asiatiques ont été retenus pendant des durées pouvant dépasser les quatre ans, et certains ont même été parfois purement et simplement abandonnés par leur armateur.

Pirates arrêtés dans le golfe d’Aden.

Les pirates ne semblent pas avoir de préférence particulière quant aux navires à attaquer, mais ont plus de chances de réussite avec les navires de pêche – très vulnérables pendant les opérations de filage et de relevage des filets –, les chimiquiers et les cargos, généralement plus petits, plus lents et plus bas sur l’eau. Ces deux derniers critères impactent également les vraquiers et les pétroliers. Même si les pirates s’attaquent plus souvent aux petits navires, ils ont réussi à s’emparer en 2008 du Sirius Star, qui représente tout de même 318 000 tonnes de port en lourd. Quant aux porte-conteneurs, rapides et hauts sur l’eau, ils sont plus à l’abri.

En Somalie, le monde de la piraterie est distinct de celui du terrorisme, bien que ce fléau y sévisse également. Les pirates sont le plus souvent originaires des zones côtières, toutefois, la surexploitation des ressources de la pêche par des navires étrangers, quoique réelle, n’est pas vraiment en cause. Quant aux organisateurs, ce sont des familles et des milices du centre du pays. Pour eux, la piraterie est avant tout un moyen comme un autre de faire fructifier leur patrimoine [simple_tooltip content=’Selon le rapport S/2010/91 du Groupe de contrôle sur la Somalie du conseil de sécurité de l’ONU.’](1)[/simple_tooltip] !

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Une réponse parfois controversée

Les armateurs et les puissances maritimes ne pouvaient pas rester les bras croisés face à ce phénomène. Ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui vont précipiter l’entrée en vigueur du code ISPS [simple_tooltip content=’International Ship and Port facility Security Code, en français Code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires.’](2)[/simple_tooltip], qui entre en vigueur en juillet 2004.

Celui-ci a permis d’améliorer la protection des navires grâce à ses dispositions techniques et opérationnelles. À titre d’exemple, on peut citer la mise en place d’un dispositif permettant d’alerter les secours avec un simple bouton en cas d’attaque [simple_tooltip content=’En France, ces appels sont réceptionnés par le Cross Gris-Nez, rattaché au ministère en charge des transports.’](3)[/simple_tooltip]. D’autres dispositions existent, comme le verrouillage des accès aux emménagements et autres locaux fermés, ou encore l’aménagement d’une « citadelle », où l’équipage peut se réfugier en cas d’attaque.

Les puissances maritimes envoient aussi des moyens militaires. Outre la présence américaine dans le détroit de Malacca, le golfe d’Aden est parcouru par les navires de guerre depuis 2008. Les États membres de l’Union européenne ont régulièrement envoyé des moyens navals, de même que les États-Unis ou encore d’autres pays allant des Seychelles à la Chine, dans le cadre d’opérations comme Atalante ou Ocean Shield. D’ailleurs, la CNUDM [simple_tooltip content=’Convention des Nations unies sur le droit de la mer.’](4)[/simple_tooltip] permet à tous les États d’intervenir pour de tels faits dans les eaux internationales, et dans le cas de la Somalie, un droit de poursuite dans les eaux et terres sous sa souveraineté a même été accordé.

Dans l’océan Indien, les armateurs ont également eu recours à des gardes armés pour protéger les navires. On a d’abord vu des militaires des armées occidentales, puis rapidement des gardes armés employés par des sociétés privées. Celles-ci se sont révélées de qualité très aléatoire, en particulier quand le nombre d’attaques a commencé à baisser, diminuant la demande et donc les prix. Ce procédé a par ailleurs été confronté à un paradoxe : les navires étaient tenus d’embarquer des gardes détenant des armes, mais ces dernières sont souvent interdites dans les pays de destination. Les sociétés privées de sécurité ont donc utilisé des armureries flottantes, navires stationnant en haute mer et accueillant les gardes et leurs armes à l’entrée et à la sortie des zones à risque. On peut noter qu’ils utilisent souvent des pavillons bas de gamme, comme la Mongolie ou la Sierra Leone. À pirate, pirate et demi ?

La piraterie sévit aussi au large du Pérou, où elle reste toutefois plus limitée, de même que dans le sud du Brésil ou dans la mer des Caraïbes. On la retrouve également dans le golfe de Guinée, où elle a toujours été significative, mais a pris beaucoup d’ampleur durant ces dernières années, au point d’en faire la région la plus touchée dans le monde à l’heure actuelle. Presque trente ans après sa résurrection, la piraterie maritime semble être un phénomène installé dans la durée qui peut être jugulé, mais difficilement supprimé. Un autre revers d’un transport maritime en croissance permanente [simple_tooltip content=’Cf. Conflits n23.’](5)[/simple_tooltip] ?

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À propos de l’auteur
Jean-Yves Bouffet

Jean-Yves Bouffet

Officier de la marine marchande.

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