Agitée par les putschs et les divisions politiques, l’Afrique de l’Ouest s’enfonce dans les difficultés économiques que les efforts diplomatiques déployés peinent à enrayer. L’oléoduc traversant le Niger et le Bénin pourrait être un de ces grands projets qui relancent la coopération régionale, mais une décision peu compréhensible des autorités nigériennes de garder leur frontière fermée met en danger la réussite du projet.
Le 8 mai, le président béninois Patrice Talon a confirmé la décision d’interdire l’embarquement du pétrole nigérien via la plateforme de Sèmè-Podji. L’oléoduc géant de 2 000 kilomètres qui part d’Agadem au Niger jusqu’à ce port béninois doit permettre à Niamey d’écouler pour la première fois son pétrole brut sur le marché international. L’objectif à terme est d’acheminer 90 000 barils par jour, ce qui pourrait représenter jusqu’à 12,36 milliards d’euros pour Niamey selon les estimations de la Banque mondiale. Une respiration nécessaire pour un régime putschiste englué dans les difficultés politiques et économiques, mais qui ne fait pas preuve de bonne volonté pour apaiser les relations diplomatiques avec ses pays voisins, au premier rang desquels le Bénin, sans lesquels la réussite du projet est pourtant impossible.
Impatience béninoise face au manque de coopération de la part du Niger
Afin de justifier sa décision, le président béninois a mis en avant le fait que le Niger maintient ses frontières fermées, alors même que Porto-Novo les a ouvertes de son côté après la levée des sanctions économiques. Dès la fin de l’année 2023, le Bénin avait annoncé la levée de la suspension des importations de marchandises transitant vers le Niger par le port autonome de Cotonou. Les relations économiques entre les deux pays sont denses et anciennes : les pays côtiers s’approvisionnent notamment en céréales auprès du Niger tandis que Niamey dépend des exportations de produits agricoles sur les marchés régionaux voisins.
La décision nigérienne est difficilement compréhensible pour le Bénin, car elle entraîne une dégradation des relations bilatérales entre les deux pays africains, alors même que Patrice Talon et son ministre de l’Énergie Samou Adambi ont déployé de nombreux efforts pour la réussite du projet pétrolier nigérien. Patrice Talon souligne que Niamey n’a pas averti formellement les autorités béninoises de son intention d’envoyer des bateaux chargés, mais que l’information lui est parvenue à travers des entreprises chinoises chargées de l’extraction, comme la China National Petroleum Corporation (CNPC), ou du transport comme la West African Oil Pipeline Company (Wapco), filiale de la CNPC.
L’ancien ministre des affaires étrangères béninois, Aurélien Agbénonci, qui travaille désormais auprès du Forum de Crans-Montana, a vertement critiqué la décision de Patrice Talon, avançant l’argument selon lequel le rôle de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) est « de rester d’abord dans la recherche de convergences économiques pour pouvoir pousser la croissance et favoriser le développement dans cet espace communautaire » et que cette organisation régionale n’a pas vocation à prendre des décisions politiques.
Cédéao : un mandat politique mis à dure épreuve
Cette prise de position ne manque pas de surprendre. D’abord parce qu’elle est factuellement fausse : au-delà de sa vocation économique, le mandat de la Cédéao lui accorde aussi un droit de regard sur les problèmes politiques, diplomatique et militaires de ses États membres.
En 1991, la Déclaration des Principes politiques reconnait le lien entre la sécurité des populations, la stabilité politique et la réussite du développement économique. Deux ans plus tard, en 1993, la révision du traité de Cotonou réaffirme les objectifs d’intégration économique et de création d’une union monétaire et économique dans la région ouest-africaine tout en rappelant que la paix, la stabilité et la coopération politique entre les États membres sont des prérequis sans lesquels le développement économique n’est pas possible.
Au début de la décennie 1990, la Cédéao est même intervenue militairement, sous l’impulsion du Nigeria, géant économique et démographique de la région, dans plusieurs conflits, notamment au Libéria et au Sierra Leone.
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À ce titre, la Cédéao se trouve dans son droit en prenant des décisions au regard de la vague de putschs qui agite la région du Niger au Burkina Faso, en passant par le Mali. Ces trois pays ont d’ailleurs décidé de quitter la Cédéao pour se regrouper depuis le 16 septembre 2023 au sein d’une Alliance des États du Sahel à l’avenir incertain.
Mais cette prise de position d’Aurélien Agbénonci surprend plus encore lorsque l’on sait que, lorsqu’il était aux affaires à la tête de la diplomatie béninoise, il plaidait en faveur de la fermeté vis-à-vis des putschistes maliens et burkinabés, arrivés au pouvoir respectivement en août 2020 et en janvier 2022. À l’époque, il expliquait que ces coups d’État mettaient en péril « les efforts de construction nationale engagés depuis de nombreuses années par nos pays et remettent en cause les principes fondamentaux de la gouvernance démocratique. » Il allait même plus loin en proposant des amendements au protocole de la Cédéao sur la démocratie et la bonne gouvernance allant dans le sens de la tolérance zéro par rapport aux putschs et d’un renforcement des systèmes démocratiques dans les pays de la zone.
Quoi qu’il en soit, les tensions entre le Bénin et le Niger fragilisent la stabilité de la région et nuisent au bon développement des populations civiles. Que ce soit avec la Cédéao ou avec d’autres acteurs, des solutions doivent être trouvées pour parvenir à un ordre stable dans la région.