<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Philippe VI, un « roi républicain » ?

11 octobre 2022

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : La reine Letizia La reine Letizia d'Espagne et le roi Felipe d'Espagne assistent à un hommage au palais royal le 15 juillet 2022 à Madrid, Espagne. Crédits : R. Smith/SIPA

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Philippe VI, un « roi républicain » ?

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Roi d’Espagne depuis 2014, à la tête d’un royaume fracturé qui s’interroge sur son histoire et son unité, Philippe VI a démontré son sens politique notamment lors de la tentative de déstabilisation des sécessionnistes catalans.

En avril 2022, le roi d’Espagne Philippe VI prend une décision historique en rendant public, de manière spontanée, son patrimoine personnel, qui s’élève à 2,5 millions d’euros. Le montant, important dans l’absolu, paraît modeste en comparaison des avoirs d’autres monarques européens. Il faut dire que le chef d’État de notre voisin ibérique ne dispose pas de biens immobiliers. Le geste de transparence va plus loin puisque Philippe VI s’engage à faire auditer la Maison royale par la Cour des comptes. Ces annonces s’inscrivent dans une volonté affichée de bonne gestion des deniers publics, alors que la monarchie espagnole est secouée par divers scandales financiers.

Un début de règne mouvementé

Lorsqu’il accède au trône en juin 2014, Philippe VI a en effet conscience que l’image de l’institution qu’il incarne est ternie. Depuis quelques années, plusieurs membres de sa famille sont dans la tourmente en raison de scandales financiers ou personnels à répétition. Son prédécesseur, Juan Carlos, a certes été très actif durant la transition démocratique (1975-1982) et un acteur clé dans l’échec de la tentative de coup d’État du 23 février 1981. Pourtant, il n’apparaît plus comme le « pompier de la démocratie » qu’il était jadis. Il s’agit donc pour Philippe VI d’accomplir une tâche complexe : redresser la situation dans une nation en proie au doute. Né en 1968 à Madrid, l’homme est un monarque moderne, conscient de ces défis, moins flamboyant mais plus posé que son père. Passé par une formation militaire, il est aussi le premier roi d’Espagne à avoir fait des études supérieures, d’abord dans la capitale espagnole puis à l’université de Georgetown. Il a vu, alors qu’il n’avait que 13 ans, comment Juan Carlos a désamorcé le putsch de 1981.

Des ruptures générationnelles, géographiques et idéologiques

Mais il comprend mieux que lui les évolutions de la société espagnole. Dès le début de son règne, il accentue ainsi son engagement auprès de la jeunesse, laquelle est plus sceptique que ses aînés face à la monarchie. Il multiplie également les déplacements dans une Catalogne secouée depuis 2012 par un mouvement séparatiste, alors que l’approbation de l’institution royale est plus forte dans le centre et le sud du pays que dans le nord. Il s’emploie aussi à nouer des liens avec les représentants des nouvelles formations politiques. Notons, en premier lieu, les centristes libéraux de Citoyens qui lui sont acquis. Ajoutons-y les membres de la gauche radicale d’Unidas Podemos, ouvertement républicains. Mentionnons enfin les élus de la droite radicale de Vox, dont les électeurs ne sont pas toujours tendres avec le roi – ils voudraient en effet le voir plus ferme face à la gauche ou aux indépendantistes. Son règne survit d’ailleurs aux premiers (en voie de disparition) et aux deuxièmes (qui, élection après élection, ne cessent de décliner). Philippe VI s’adapte à l’exécutif de coalition entre socialistes et gauche radicale, à partir de janvier 2020. Il doit aussi faire face à bien des crises : difficultés économiques, blocages parlementaires, pandémie de Covid-19, etc. Les épreuves se multiplient encore, puisqu’il doit rapidement écarter l’infante Cristina de la famille royale. Il fait de même avec Juan Carlos, parti s’installer aux Émirats arabes unis à l’été 2020. Les scandales paternels font, au demeurant, toujours parler d’eux à la manière d’un feuilleton.

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Et, le 3 octobre 2017, le monarque prononce une allocution télévisée cruciale dans laquelle il condamne le référendum séparatiste illégal en Catalogne de l’avant-veille. Ce discours constitue probablement l’acte fondateur de son règne. C’est d’autant plus vrai que de telles prises de parole sont rares en dehors du traditionnel rendez-vous du réveillon de Noël. Le message est d’une indéniable dureté vis-à-vis des indépendantistes catalans qui ont promu le vote du 1er octobre. Le roi réaffirme en effet sans ambages le caractère impérieux du respect de la Constitution de 1978. Il accuse clairement les autorités régionales catalanes d’avoir violé la légalité et d’avoir agi avec « déloyauté » à l’égard des institutions nationales. Au fond, en tenant de tels propos, Philippe VI ne fait qu’accomplir son devoir au regard de sa prestation de serment en 2014 et de l’article 56 du texte fondamental (« Le roi est le chef de l’État, symbole de son unité et de sa pérennité ; il est l’arbitre et le modérateur du fonctionnement régulier des institutions »).

Malgré tout, la sévérité de l’allocution tranche avec le ton conciliant adopté en Catalogne par Juan Carlos jusqu’à son abdication. Le discours n’est d’ailleurs validé que partiellement par le président du gouvernement de l’époque, Mariano Rajoy (Parti populaire), qui a toujours privilégié l’attentisme dans ce dossier. Une telle attitude a été critiquée plus d’une fois, notamment par les « unionistes » de Catalogne. Ces derniers voient dans le message du souverain (qui déclare notamment à leur sujet qu’« ils ne sont pas seuls ») une réponse forte à leurs attentes légitimes. Les citoyens opposés à l’indépendantisme dans la communauté autonome se sentent galvanisés et manifestent massivement les 8 et 29 octobre 2017. Néanmoins, la prise de parole de Philippe VI s’adresse plus encore aux observateurs étrangers, qui n’ont jusqu’à présent eu qu’un seul son de cloche (celui des indépendantistes) et peuvent être tentés par la mise en œuvre d’une médiation internationale entre Madrid et Barcelone. Le souverain leur rappelle qu’il y a bel et bien un « pilote dans l’avion », en dépit de l’immobilisme du gouvernement central. « Il n’existe aucun doute concernant la défense de la légalité en Espagne et l’unité nationale » : voilà la substance de l’allocution royale.

Un essai transformé ?

Moins religieux que ses parents, Philippe VI est parfois critiqué par les monarchistes espagnols les plus conservateurs. Ces derniers lui reprochent par exemple de ne pas avoir fait donner de messe pour sa proclamation. Il faut dire que ces mêmes monarchistes conservateurs n’ont jamais apprécié sa femme, la reine Letizia, qu’il épouse en mai 2004. Roturière, journaliste, indépendante, ouvertement athée, celle qui devient reine dix ans plus tard interpelle souvent par ses manières. L’ancienne présentatrice du journal télévisé met du temps à se faire apprécier, car elle apparaît quelquefois froide et distante. Cependant, le pari de réforme interne d’un côté et les huit premières années de règne de l’autre paraissent porter leurs fruits. Les Espagnols sont plus royalistes (attachés à la figure d’un monarque exemplaire et proche) que monarchistes (soutiens indéfectibles d’un régime politique en particulier). Philippe VI l’a bien compris. S’il n’est pas aussi campechano (naturel, simple, facile d’abord) que son père, il joue son rôle avec sérieux et investissement. Son image s’améliore au fil des ans, ainsi que le démontrent divers sondages. En 2021, l’institut IMOP Insights lui attribue la note de 6,4 sur 10 en matière de popularité et une majeure partie des sondés approuve son action.

Pendant ce temps, le couple royal veut assurer la relève. L’héritière du trône, Leonor, qui porte le titre de princesse des Asturies depuis 2014, est de plus en plus présente en public. Partie étudier au Pays de Galles en 2021, elle participe toutefois à divers actes en Espagne même, où elle s’exprime de manière fluide en espagnol, en anglais et en catalan (tout comme Philippe VI). De nombreuses questions se posent encore sur son avenir : devra-t-elle passer par des académies militaires ? Dans quel cadre prêtera-t-elle serment sur la Constitution, ainsi que le veut le texte fondamental, lorsqu’elle atteindra ses 18 ans, en octobre 2023 ? C’est en effet à cette date que doit être publié le décret d’organisation de nouvelles élections générales, dans un contexte de polarisation toujours plus marquée du Parlement. Cela bouleverserait le calendrier prévu.

Nul doute, néanmoins, que Philippe VI rappelle à Leonor le devoir permanent de tout roi outre-Pyrénées : celui d’être le chef d’État non élu de cette « République couronnée » qu’est l’Espagne. Il n’est donc guère surprenant que l’on aime à parler dans son cas de « monarque républicain » – mais résolument pas dans le même sens que pour le président français.

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).
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