Petrobras : à nouveau la menace du populisme.

24 mars 2021

Temps de lecture : 10 minutes

Photo : Mandatory Credit: Photo by Chico Ferreira/Penta Press/Shutterstock (11771472a) PETROBRAS headquarters. The Brazilian oil company had a strong fall in its shares in the market on February 22, 2021. PETROBRAS, Rio de Janeiro, Brazil - 22 Feb 2021/shutterstock_editorial_PETROBRAS_Rio_de_Janeiro_Brazi_11771472A//2102222035

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Petrobras : à nouveau la menace du populisme.

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 Au fil des derniers mois, la politique économique menée par le Président brésilien a été de plus en plus marquée par un populisme caractérisé. Cela est vrai en matière de gestion des comptes publics. Cela est désormais évident en ce qui concerne les rapports entre l’Etat fédéral et grandes entreprises qu’il contrôle. En février dernier, Jair Bolsonaro a clairement montré que ces firmes ne disposaient pas d’une véritable autonomie de gestion. En remettant en cause la politique de prix de Petrobras et en renvoyant brutalement le CEO en place depuis début 2019, le Président fragilise la compagnie et la filière nationale du pétrole dont elle est l’acteur central.

 

Article original paru sur Istoebrésil

Les quatre articles de cette série sont consacrés à évaluer les risques auxquels le populisme de Bolsonaro expose une filière majeure de l’économie brésilienne. Après une introduction, on évoquera la situation de Petrobras à la veille de l’investiture du Président (janvier 2019). Un troisième article sera consacré à la formation des prix des carburants, la hausse récente ayant été le prétexte choisi par le chef de l’Etat pour justifier son interférence désastreuse dans la gouvernance de la compagnie nationale. Enfin, un dernier article évoquera précisément les contraintes nouvelles que le Président populiste impose à Petrobras et à la filière brésilienne du pétrole.

Un président fidèle à lui-même (1).

Le chef de l’Etat a été pendant 27 ans député fédéral avant d’assumer la magistrature suprême. Au cours de cette longue carrière parlementaire, il a toujours montré qu’il était favorable au modèle particulier de capitalisme en vigueur au Brésil : un capitalisme piloté par l’Etat interventionniste, très éloigné de la logique du marché. Dans ce modèle, les corporations les plus puissantes cherchent en permanence à instrumentaliser la puissance publique. Les grandes entreprises nationales attendent de l’Etat protections et subventions. Les corporations de fonctionnaires et de salariés des firmes publiques exigent la préservation de leurs privilèges. Le bien public, l’intérêt collectif sont souvent oubliés par les élus de la nation qui se placent au service des groupes de pression les plus « généreux ». Jair Bolsonaro a toujours appartenu à cette catégorie de parlementaires soucieux de préserver un Etat corporatiste et clientéliste. Au cours de ses sept mandats, il a défendu les intérêts du monde militaire et des fonctionnaires en général. Dans les années quatre-vingt-dix, il a voté contre la fin du monopole de la compagnie pétrolière Petrobras et contre les privatisations d’entreprises publiques engagées sous les Administrations Collor (1990-1992), Itamar Franco (1992-1994) et F.H. Cardoso (1995-2002). Il a joint son vote aux voix des parlementaires du Parti des Travailleurs de Lula pour refuser le Plan Real de lutte contre l’inflation (1994). Il s’est prononcé contre toutes les réformes de modernisation de l’Etat et d’ajustements des systèmes de retraites. En 2018, alors candidat à la Présidence, il a réussi à faire oublier qu’il était l’exemple type de parlementaire clientéliste et défenseur des intérêts corporatistes. Il s’est présenté comme l’homme du renouveau soudain converti au libéralisme économique.

Pour donner à cette conversion apparente et soudaine un minimum de crédibilité, Bolsonaro s’est alors associé à un économiste connu pour son orientation libérale : Paulo Guedes. Dès la campagne présidentielle de 2018, ce personnage a séduit les marchés en promettant des réformes radicales. Paula Guedes annonçait l’éradication du déficit public dès la première année du mandat, la captation de 1000 milliards de réais (l’équivalent de 34% du total des dépenses publiques de 2019) grâce à la privatisation des firmes publiques, la libéralisation du commerce extérieur, une réduction massive des dépenses de l’Etat fédéral. En janvier 2019, il est devenu le « super-ministre » de l’économie du gouvernement Bolsonaro, concentrant sous son autorité des compétences jusqu’alors réparties en trois ministères. Sur les deux premières années du mandat présidentiel, Paulo Guedes a beaucoup parlé, annonçant régulièrement pour la semaine à venir des changements majeurs pourtant sans cesse repoussés. En réalité, progressivement, la politique économique de l’Etat fédéral a été de plus en plus influencée par les intérêts personnels du Président, par les convictions qu’il a toujours manifestées. Pour assurer sa survie politique et préparer sa réélection en 2022, Bolsonaro s’est allié au centrão et cherche de plus en plus à défendre les intérêts des corporations qui peuvent être de précieux soutiens dans l’avenir. Il n’est plus question de privatisations, d’ouverture de l’économie, de discipline budgétaire. Les grandes idées de Paulo Guedes ont été rangées au placard des slogans électoraux obsolètes et démodés.

Le Président avait déjà commencé à saboter le programme libéral de son ministre de l’économie dès 2019. A la fin février dernier, il a porté une estocade majeure contre la politique défendue par Guedes. Il a suffi d’un message posté sur les réseaux sociaux par le chef de l’Etat pour provoquer une chute vertigineuse des actions de la première entreprise du pays (la compagnie Petrobras) à la bourse, inquiéter tous les investisseurs et ressusciter la souvenir d’un passé marqué par les interventions constantes de l’Etat dans la conduite de l’économie et la gestion des entreprises publiques et semi-publiques. Négligeant totalement les normes de gouvernance que doivent respecter les sociétés d’économie mixte [1], Bolsonaro a annoncé qu’il « virait » le CEO de Petrobras, un économiste libéral choisi en 2019 par son ministre de l’économie. Depuis quelques jours, le Président se plaignait des hausses successives des prix des carburants vendus par la compagnie aux distributeurs et détaillants, hausses que se répercutent sur les tarifs à la pompe et suscitent la grogne et la colère de nombreux consommateurs. Dans le même message, pour calmer les routiers et les automobilistes, il annonçait une diminution forte des taxes qui ont une incidence sur le prix au détail des carburants. Contrairement à ce qu’exige la législation sur la responsabilité budgétaire des gouvernants, la décision improvisée de réduire ces recettes fiscales n’était accompagnée d’aucun projet de contraction de dépenses. Sur les heures suivantes, l’impact de ce post sur Facebook sera désastreux. Les conséquences de la crise provoquée vont bien au-delà de son impact sur la bourse et les marchés financiers. Le ministre de l’économie a perdu soudain le peu de crédibilité qu’il avait encore. Depuis la fin février, les promesses qu’il s’acharne encore à répéter sont devenues des motifs de plaisanterie.

A lire aussi : Bolsonaro : le chemin difficile vers 2022 (2)

Évolution des prix du pétrole (brent) depuis janvier 2019 (dollars/baril).

Le CEO du groupe pétrolier, Roberto Castello Branco, ne méritait pas d’être la cible du courroux présidentiel. Il s’est contenté d’appliquer au sein de son entreprise une norme adoptée en 2016. Celle-ci prévoit que les prix des produits pétroliers vendus par la compagnie soient régulièrement réajustés à la hausse ou à la baisse en fonction des cours mondiaux de l’or noir et de la parité dollar/réal brésilien. Depuis juin 2021, avec la hausse du brut et la forte dépréciation du réal par rapport au dollar, logiquement, la compagnie nationale a constamment augmenté ses tarifs à la sortie de raffineries. Les ajustements ainsi pratiqués préoccupent tous les automobilistes car ils sont évidemment répercutés sur les prix à la pompe. La hausse du tarif de l’essence est ressentie par les familles de classe moyenne qui possèdent une automobile et par les milliers de travailleurs de l’économie informelle qui utilisent une moto ou un véhicule pour exercer leurs activités (chauffeurs utilisant des applicatifs, livreurs).

L’élévation des prix à la pompe du diesel suscite la colère d’autres secteurs professionnels organisés dont les coûts sont immédiatement impactés par la hausse des carburants. C’est le cas des centaines de milliers de camionneurs qui assurent 68% du transport de marchandises sur ce pays continent. Pour les propriétaires de poids lourds, le prix du diesel à la pompe est une composante essentielle des charges de fonctionnement. Toute augmentation est répercutée sur le coût du fret routier et le prix des marchandises transportées. L’addition est assumée in fine par tous les consommateurs. La hausse du diesel influence aussi le tarif des transports publics. Près de 30% du coût d’un déplacement en bus urbain (le principal moyen de transport dans les villes, qui représente un poste important dans le budget des familles les plus modestes) est lié au prix du diesel.

Évolution du taux de change dollar/réal.

Jair Bolsonaro sait que de grands mouvements sociaux ont éclaté ces dernières années à la suite de hausses des tarifs du transport urbain. Il sait aussi que les routiers doivent être ménagés. Avec une flotte de près de 2 millions de poids lourds, ils peuvent bloquer le pays, paralyser l’économie et générer rapidement une pénurie sur de nombreux produits de base. C’est exactement ce qu’ils ont fait en mai 2018. Depuis, le candidat et le Président élu n’ont pas cessé de flatter cette catégorie professionnelle qui a contribué à sa victoire électorale en octobre 2018. Aujourd’hui, Jair Bolsonaro sait que dans le contexte d’une crise sanitaire aggravée, la paralysie provoquée par une grève des routiers pourrait être la première étape de mouvements sociaux plus importants. Il entend donc calmer et conserver le soutien de cette corporation. Pour éviter tout remous, il est prêt à toutes les initiatives démagogiques. Par un message rageur posté sur les réseaux sociaux le 19 février dernier, il a annoncé le remplacement de Castello Branco par un général de réserve qui occupait jusqu’alors le poste de CEO de la centrale hydro-électrique d’Itaipu. Il aussi informé tous les routiers qu’il allait freiner la hausse des prix à la pompe des carburants…

Un vieux stratagème.

Le message était clair. Bolsonaro a laissé entendre qu’il n’hésiterait pas à recourir au bon vieux stratagème de court terme utilisé dans le passé par les gouvernements confrontés à des tensions inflationnistes. L’Etat fédéral brésilien contrôle le groupe Petrobras, une firme qui dans les faits détient le monopole de la prospection, de l’extraction et du raffinage du pétrole. Il est donc facile pour le pouvoir central d’utiliser la compagnie comme un amortisseur des hausses de prix. Il suffit d’imposer à la direction qu’elle retarde les réajustements ou qu’elle les minimise. L’impact sur l’indice d’inflation et sur les prix des produits et services les plus utilisés est ainsi atténué ou gommé. Lorsque la hausse des cours du pétrole sur les marchés internationaux ou celle du billet vert ne durent pas et sont suivies par des baisses, ce type de manipulation est sans conséquence. Lorsque les prix de l’or noir connaissent une élévation sur longue période ou que la monnaie nationale dévisse plusieurs mois de suite par rapport au dollar, le report du réajustement des prix intérieurs ou l’absence de réajustement aboutissent à dégrader les comptes et la situation financière de Petrobras. L’entreprise perd la confiance des marchés, sa valeur boursière se dégrade. Elle doit assumer des intérêts plus élevés pour emprunter. Sa capacité d’investissement diminue. C’est ce qui s’est passé entre la fin des années 2000 et 2015 sous les gouvernements de gauche qui n’hésitaient à intervenir à tout bout de champ dans la gestion de la firme.

Les marchés financiers ont de la mémoire. En février dernier, ils ont (enfin) compris que cet interventionnisme n’avait pas disparu. Sur la semaine qui a suivi le « post » du Président, Petrobras a perdu plus de 100 milliards de réais (15 milliards d’euros) en valeur de marché. Les investisseurs étrangers se sont massivement délaissés de titres brésiliens. En une dizaine de jours, le dollar a bondi, passant de 5,4 à plus de 5,7 réais. Les taux d’intérêt à terme ont monté sur le marché financier. Comme s’il voulait susciter un maximum d’inquiétude, Bolsonaro a été jusqu’à dire qu’il ne se contenterait pas d’interférer dans la gestion de la compagnie pétrolière mais qu’il s’occuperait aussi du secteur de l’énergie électrique. Les actions d’Eletrobras (le groupe qui produit une bonne partie de l’électricité dans le pays) ont plongé. Les investisseurs se sont alors souvenus qu’e le chef de l’Etat avait déjà souhaité en début d’année le remplacement du CEO de la Banque du Brésil, un dirigeant qui a la malencontreuse idée de vouloir fermer des agences de l’institution financière qui n’ont plus guère d’utilité dans le monde d’aujourd’hui. Les actions de la banque ont-elles-aussi dévissé à la bourse. Dans la foulée, l’indicateur de risque-pays s’est dégradé. Tous les analystes anticipent une hausse de l’inflation à la suite du dernier dérapage de la monnaie brésilienne. Le « super-ministre » de l’économie s’est abstenu de tout commentaire sur les âneries de son chef et leurs conséquences délétères [2].

Même après un train de hausses conséquentes au cours des premiers mois de 2021, les prix des carburants au Brésil sont encore inférieurs à la moyenne des prix pratiqués dans les 160 pays du monde qui publient des données fiables sur la question. Le constat vaut même si l’on prend en compte les niveaux moyens de revenu par habitant. Le pétrole est une commodité dont les prix de référence à l’échelle mondiale sont exprimés en dollars. Les échanges sont facturés dans la devise américaine. Le Brésil étant une économie de marché, il doit laisser les prix se former conformément à la logique de marché. Jair Bolsonaro ne tient aucun compte de cela. Il a répété en février dernier que les réajustements à la hausse pratiqués par Petrobras reflétaient la lâcheté du CEO de l’entreprise. Il a aussi accusé ce dernier de paresse en laissant entendre que Roberto Castello avait abandonné son poste depuis des mois en choisissant de travailler à distance. Ce dernier a encore commis un impair impardonnable. Agé de 76 ans, il a osé apparaitre lors d’une réunion convoquée au palais présidentiel en portant un masque et une visière de protection, une pratique très mal vue dans ces locaux.

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Selon le chef de l’Etat, le nouveau CEO qu’il vient de nommer va mettre de l’ordre au sein de la compagnie. Le populisme économique avec lequel renoue depuis plusieurs mois l’ancien capitaine n’est pas seulement une source d’inquiétude pour les marchés financiers. Les propos extravagants et démagogiques tenus en permanence par le Président, l’incohérence de sa politique et l’insécurité juridique ainsi renforcée ont un effet majeur : les investisseurs privés hésitent et vont s’hésiter dans l’avenir à s’engager sur de grands projets au Brésil, par exemple dans le secteur industriel ou le domaine des infrastructures. La posture du premier personnage de l’Etat vient détruire le faible capital de confiance dont bénéficiait encore son gouvernement sur les premiers mois. L’épisode récent qui concerne Petrobras vient s’ajouter à une longue série d’évènements et d’actes présidentiels qui contredisent radicalement les promesses de la campagne. Sur les trente premières années de sa longue carrière politique, Jair Bolsonaro a été une figure populiste, favorable à l’intervention tous azimuts de l’Etat dans la vie économique. Le parlementaire a été le porte-parole et le défenseur d’intérêts catégoriels, principalement ceux des forces armées, des polices et d’autres secteurs de la fonction publique. Il a été le fidèle représentant de lobbys. C’est exactement ce qu’il continue de faire depuis qu’il est président. Il ne s’intéresse qu’au sort des secteurs de la population qui font partie de sa clientèle ou pourraient l’appuyer en 2022 : les églises évangéliques, les forces de sécurité, les militaires, le petit commerce, les travailleurs de l’économie informelle, les centaines de milliers de camionneurs, une partie du monde agricole…

Cette posture est devenue encore plus évidente après la défenestration du CEO de Petrobras en février dernier. Dans un environnement économique extrêmement difficile, alors que la crise sanitaire se poursuit et s’aggrave, le Président s’acharne à renforcer un climat d’incertitude et d’insécurité juridique, absolument préjudiciable à la reprise indispensable de l’investissement. Plus la date d’octobre 2022 va se rapprocher, plus ce candidat permanent sera enclin à jouer la carte du populisme économique.

 

[1] L’Etat fédéral détient aujourd’hui 50,5% du capital du groupe Petrobras, contre 75% en 1995. La part du capital détenue par des investisseurs privés brésiliens est de 9,14%. Celle détenue par des investisseurs étrangers est de 40,36% (données en février 2021). [2] Quelques jours après l’ouverture d’une crise au sein de Petrobras, les analystes politiques considéraient au Brésil que Paulo Guedes ne devrait pas quitter immédiatement le gouvernement mais aucun ne se risquait à faire des prévisions à long terme quand à la permanence du ministre au sein du gouvernement Bolsonaro.

 

 

 

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À propos de l’auteur
Jean-Yves Carfantan

Jean-Yves Carfantan

Né en 1949, Jean-Yves Carfantan est diplômé de sciences économiques et de philosophie. Spécialiste du commerce international des produits agro-alimentaires, il réside au Brésil depuis 2002.

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