Une exposition parisienne rassemble des peintures d’enfants chinois et français. Une façon d’interroger la culture de chaque pays et de comprendre les processus éducatifs.
Ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle que les dessins d’enfants sont considérés autrement que pour leur seule amusante maladresse. Cet intérêt nait au moment où apparait l’art moderne, où l’impérieux désir des artistes est davantage de s’exprimer plutôt que de bien faire. Cette exposition apporte un élément supplémentaire à l’observation de ce fait universel qu’est le dessin d’enfant et qui a sans doute des ressemblances et différences dans chaque culture. Qu’en est-il pour les deux pays, la Chine et la France remarquables pour leur peinture quoique situés aux antipodes l’un de l’autre ?
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Un art universel
Cette exposition est le fruit de l’intérêt commun éprouvé sur ce sujet par des institutions très diverses[1] chinoises et françaises qui ont été curieuses de participer au rapprochement géographique de la création enfantine et de pouvoir ainsi comparer.
Un jury a regardé 1 500 peintures d’enfants récoltées en plusieurs lieux de la Chine côtière et continentale et en diverses régions en France. Parmi elles, cent œuvres ont été choisies pour l’exposition. Choix fort difficile !
Les enfants ont entre 5 et 17 ans. Les trois thèmes, proposés au choix des enfants sont :
– Le monde merveilleux et universel de la nature.
– Evoquer la Chine, évoquer la France ?
– Choisir un artiste chinois ou français, se l’approprier, l’interpréter, improviser
Autre grand intérêt de l’exposition : les dessins diffèrent à chaque âge et l’on peut observer la métamorphose des images selon le degré de maturité et croissance.
Les enfants précurseurs des avant-gardes ?
L’invention de l’enfance
Le livre d’Emmanuel Pernoud, L’invention du dessin d’enfant en France à l’aube des avant-gardes[2] nous ouvre les yeux sur la relation entre la peinture enfantine et l’art de tous les temps et lieux. S’il y a eu beaucoup de recherches sur la signification de ces dessins faites par des psychologues, le point de vue de l’historien d’art est vraiment nouveau. Emmanuel Pernoud comprend la valeur visuelle de cette création, il évalue sa qualité expressive, note l’inventivité des moyens. Il ose comparer cette création enfantine avec la peinture moderne.
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Voici une de ses observations :
« Une écriture de l’enfance naît sous le pinceau des peintres, qu’ils se nomment Gauguin, Valadon, Vallotton, Bonnard. Écriture corporelle, faite de mouvements rompus et de lignes torses, les peintres vont également la repérer dans le dessin d’enfant. Cette découverte va jouer un rôle déterminant dans la naissance des avant-gardes, à l’époque du fauvisme et du cubisme. Elle s’inscrit dans la quête des débuts de l’art, pierre angulaire du primitivisme. On range le « bonhomme » dessiné par l’enfant aux côtés du masque tribal, comme préhistoire de la figuration. On s’interroge sur le « gribouillage », chaos originel de l’acte artistique. On relève, chez l’enfant qui s’aventure sur la feuille de papier, un « désir de la ligne » que Matisse, à la même époque, dit rechercher dans son dessin »[3]
Différences culturelles
Curieusement les enfants chinois ont particulièrement aimé et se sont passionnément appropriés Gauguin, Van Gogh, Matisse, Bonnard …
Dans cette exposition on peut en effet observer les assimilations que les enfants chinois font, par affinité, à la peinture occidentale et les enfants français à l’art chinois
On peut y voir comment se débrouille l’enfant français pour faire sienne la fluidité, le mouvement perpétuel de la peinture chinoise, comment dire tant de choses en noir et blanc ! Comment aimer à ce point les courbes ! Il aura néanmoins tendance à distinguer plusieurs plans, à hiérarchiser, composer l’espace.
On peut y voir comment l’enfant chinois s’amuse avec la mystérieuse et farceuse perspective, construit une architecture sous-jacente au tableau, maîtrise la vive couleur, intègre des personnages… tout en rendant cependant cela fluide et courbe. Le spectateur aura plaisir à les voir jouer avec Matisse, Van Gogh et compagnie.
Ce fait naturel de l’emprunt artistique, qui existe depuis le paléolithique, produit cependant des œuvres originales, inattendues, nouvelles.
Autre paradoxe : l’œuvre de chaque enfant tout en étant unique partage universellement les particularités de l’enfance du monde entier.
Cette exposition, en miroir, de la peinture chinoise et française, passant par la main des enfants, fruit d’un regard intuitif et direct, est pour tout amateur d’art ou praticien, une source d’approfondissement de la peinture. C’est une exposition initiatique qui permet, par une subtile mise à distance, de voir les mille façons possibles d’appréhender la création picturale et le plaisir si naturel et fort de la découverte de l’inconnu.
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[1] Le concours est organisé par l’Académie Franco-Chinoise d’Art et de Culture (AFCAC) et Traveling Muzeum, en partenariat avec la fondation Muse de l‘Université de Nanjing, l’association des Amitiés franco-chinoise des Hauts de France, l’École Supérieure d’Art du Nord-Pas-de-Calais, l’EAC-Paris -école supérieure spécialisée dans le marché de l’art et de la médiation culturelle, l’application web et mobile d’apprentissage du chinois Ninchanese. Platform Art Education Group, Vis Education et Adam Arts Creation, avec le soutien du Consulat Général de France à Hong Kong et Macao et de l’Alliance Française à Hong Kong.
[2] Editions Hazan, 2015, Collection Bibliothèque Hazan.
[3] Emmanuel Pernoud, Editions Hazan, 2015, Collection Bibliothèque.