<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Pearl Harbour : l’empereur Hirohito face à l’attaque japonaise

29 septembre 2021

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Pearl Harbour : des journaux intimes inédits montrent le soutien de l’empereur Hirohito à l’attaque japonaise. Crédit photo : Unsplash

Abonnement Conflits

Pearl Harbour : l’empereur Hirohito face à l’attaque japonaise

par

Des documents, parmi lesquels le journal intime de l’amiral Saburo Hyukutake, mettent en évidence le soutien de l’empereur à une guerre contre les pays qui imposaient des sanctions au Japon. Cette découverte va à l’encontre de l’idée largement répandue dans le pays, selon laquelle Hirohito était réticent à l’idée de s’engager dans une guerre.  

Julian Ryall, Tokyo, pour le South China Morning Post, 11 septembre 2021

Traduit par Alban Wilfert pour Conflits

 

Des journaux intimes et d’autres documents, récemment révélés, suggèrent que l’empereur du Japon Hirohito était plus favorable à l’attaque de Pearl Harbor de 1941 et à l’invasion consécutive des territoires alliés en Asie-Pacifique que ne le laisse entendre l’histoire du pays après-guerre.

D’après la chaine de télévision nationale japonaise NHK, la famille de l’amiral Saburo Hyukutake, aujourd’hui décédé, a remis à des universitaires plus de 20 volumes de journaux et de blocs-notes couvrant les huit années qu’a passées ce dernier en tant que grand chambellan de l’empereur, à partir de 1936.

Journaux et mémoires

Selon les historiens, ces documents montrent qu’Hirohito est passé de l’espoir d’une paix avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas au soutien soudain à une guerre contre des nations qui, à écouter les chefs militaires japonais, tentaient d’étrangler le pays et s’opposaient à l’occupation de la Chine par celui-ci. Ce soutien au conflit va à l’encontre de l’idée largement répandue aujourd’hui au Japon selon laquelle l’empereur, qui a régné de 1926 à sa mort en 1989, aurait toujours été réticent à l’idée de s’engager dans une guerre désastreuse et n’aurait finalement donné son approbation qu’après avoir fait l’objet d’intimidations par ses chefs militaires.

À lire également

Entretien – Le Japon : le pays qui ne fait rien comme les autres

Les journaux intimes donnent à lire, sans ambigüité, que les années 1930 et les mois qui ont précédé l’attaque de la flotte américaine à Pearl Harbor dans l’archipel hawaïen le 7 décembre 1941 ont vu l’empereur rencontrer régulièrement les hauts fonctionnaires et les chefs militaires de son cabinet. Dix-huit jours seulement avant l’attaque, Hyukutake rendait compte de propos de Koichi Kido, gardien du sceau privé du Japon et plus proche conseiller de l’empereur pendant toute la Seconde Guerre mondiale, selon lesquels Hirohito se montrait « déterminé » à entrer en guerre.

A lire les journaux intimes, Kido, qui a affirmé après-guerre n’avoir rien su à l’avance des plans d’attaque de l’armée sur Pearl Habor, avait informé l’empereur que Franklin Roosevelt, alors président des Etats-Unis, était enclin à conclure des négociations sur l’assouplissement de l’embargo sur le carburant qui paralysait le Japon. Kido y apparaît également comme fermement décidé à éviter la guerre et n’hésitant pas à dire son avis, y compris devant des officiers militaires du gouvernement qui étaient d’un tout autre avis. Lorsque les négociations avec les Etats-Unis s’enlisèrent à nouveau, Hirohito se montra prudent quant à une éventuelle attaque.

« Ces documents sont importants car ils nous permettent de mieux comprendre la pensée des dirigeants japonais pendant la guerre contre la Chine et dans les semaines qui précédèrent immédiatement le début de la guerre du Pacifique », a déclaré Takahisa Furukawa, professeur d’histoire moderne du Japon à l’université Nihon. Selon ce dernier, ces documents en corroborent d’autres, en particulier les journaux intimes de Kido, qui indiquent que l’empereur a fluctué entre soutien à une guerre et volonté de préserver la paix.

À lire également

L’alliance nippo-américaine face au XXI° siècle

Découvertes historiques

« Il semble que, après le rejet de la proposition japonaise d’un sommet américano-japonais au début du mois d’octobre [1941], l’empereur ait progressivement glissé vers l’idée selon laquelle la guerre était de plus en plus inévitable, quand bien même il ne voulait pas y entrer », a déclaré Furukawa. « D’autres sources vont dans le même sens, mais ces journaux précisent les sentiments qui étaient ceux de l’empereur juste avant [l’attaque de Pearl Harbor]. »

Cette attaque visait à causer d’importants dommages à la flotte américaine dans le Pacifique, en particulier à ses porte-avions, pour ainsi donner au Japon le temps nécessaire à la prise de Hong Kong, à l’invasion de la péninsule malaise, à la conquête de Singapour et au lancement d’offensives contre l’Inde, les forces australiennes à Bornéo et les îles éparpillées du Pacifique. Les plans du Japon impérial ont cependant échoué dès le départ, puisque les porte-avions américains n’étaient pas au port et sont parvenus à s’en sortir indemnes.

« A partir de la fin de la guerre, l’empereur a été éloigné de la mise en œuvre et de l’exécution des aventures impériales des premières décennies du siècle dernier », explique Stephen Nagy, professeur associé de relations internationales à l’université chrétienne internationale de Tokyo. « C’était le résultat d’un accord implicite selon lequel les forces d’occupation alliées ne tiendraient pas l’empereur pour responsable de la guerre ».

Selon les historiens, les Etats-Unis et leurs alliés souhaitaient préserver Hirohito de toute culpabilité, de crainte que l’acte de s’en prendre à la figure de proue vénérée du peuple japonais ne suscite l’hostilité de ce dernier et ne donne lieu à une résistance à l’occupation américaine du pays. Cela tenait également à la nécessité pour Washington de compter sur une nation qui lui soit favorable en Extrême-Orient pour soutenir ses ambitions stratégiques, à l’heure où le rideau de fer s’abattait sur l’Europe et que les Etats-Unis faisaient face à une hostilité croissante de l’URSS.

Cependant, certains universitaires sont plus prudents quant à l’importance historique des documents signés par Hyukutake. Yoichi Shimada, professeur de relations internationales à l’université préfectorale de Fukui, s’est dit sceptique concernant leur portée. « Ces journaux ne prouvent rien, et il ne s’agit que de pensées rapportées de l’empereur », a-t-il déclaré, qualifiant de « bien plus probable » la croyance populaire selon laquelle l’empereur s’opposait fermement à l’extension de la guerre plus loin que la Chine. « L’empereur a fait tout ce qui était en son pouvoir pour se rapprocher des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne », a déclaré Shimada. « Il est connu pour sa position particulièrement pro-britannique et pour ses liens étroits avec la famille royale britannique. Je ne crois pas qu’il ait été très impliqué personnellement dans les détails des opérations qui ont déclenché la guerre du Pacifique. »

Les documents écrits par Hyukutake ont été donnés au Centre des documents juridiques et politiques du Japon moderne de l’Université de Tokyo, et mis à la disposition d’historiens avant d’être exposés au public au début du mois.

À lire également

Les invariants de la relation du Japon et de la Chine

Mots-clefs : ,

À propos de l’auteur
South China Morning Post

South China Morning Post

Le South China Morning Post est l'un des plus anciens journal d'Asie. Il a été fondé en 1903 à Hong Kong. La marque possède aujourd'hui de nombreux titres de presse et diffuse en Chine continentale, à Hong Kong et dans le reste de l'Asie. C'est l'un des principaux journaux de langue anglaise de la région.

Voir aussi