Lorsque Paul Valéry imaginait le piratage d’un cerveau humain

1 décembre 2019

Temps de lecture : 2 minutes

Photo : Paul Valéry (c) Sipa 00246233_000001

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Lorsque Paul Valéry imaginait le piratage d’un cerveau humain

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Paul Valéry (1871-1945) avait perçu les dangers que pouvaient apporter la technique et le risque de contrôle des hommes. Aperçu de ses fulgurances dans ses écrits.

Les regards sur le monde rédigés par Paul Valéry pendant l’entre-deux-guerres laissent transparaître l’intuition d’une rupture de civilisation liée au triomphe du technicisme sur la contemplation. Pour le rédacteur au ministère de la guerre, le régime de perturbation de nos intelligences est établi par des intellectuels frauduleux déconnectant la pensée du réel :

« Nous sommes dans une époque prodigieuse où les idées les plus accréditées et qui semblaient le plus incontestables se sont vues attaquées, contredites, surprises et dissociées par les faits, à ce point que nous assistons à présent à une sorte de faillite de l’imagination et de déchéance de l’entendement »

L’auteur poursuit, « cet état me permet de m’aventurer à concevoir que l’on puisse de l’extérieur modifier directement ce qui fut l’âme et fut l’esprit de l’homme ». Un demi-siècle avant la naissance d’internet et la personnalisation du ciblage commercial Valéry écrit :

« Sans doute des moyens un peu plus puissants, un peu plus subtils permettront quelque jour d’agir à distance non plus seulement sur les sens des vivants, mais encore sur les éléments plus cachés de la personne psychique. Un inconnu, un opérateur éloigné, excitant les sources mêmes et les systèmes de vie mentale et affective, imposera aux esprits des illusions, des impulsions, des désirs, des égarements artificiels »

Le piratage du cerveau humain est même imaginé : « Nous savons bien (…) qu’il est des chemins sans défense pour atteindre aux châteaux de l’âme, y pénétrer et s’en rendre maîtres. Il est des substances qui s’y glissent et s’en emparent. Ce que peut la chimie, la physique des ondes le rejoindra selon ses moyens ». Paul Valéry imagine les conséquences terrifiantes de ces manipulations potentielles :

« Imagine-t-on ce que serait un monde où le pouvoir de faire vivre plus vite ou plus lentement les hommes, de leur communiquer des tendances, de les faire frémir ou sourire, d’abattre ou de surexciter leurs courages, d’arrêter au besoin les cœurs de tout un peuple, serait connu, défini, exercé !… Que deviendraient alors les prétentions du Moi ? Les hommes douteraient à chaque instant s’ils seraient source d’eux-mêmes ou bien des marionnettes jusque dans le profond du sentiment de leur existence.»

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Or le monde de la connexion permanente est bien né : en 2019, 4,4 milliards d’êtres humains sont connectés à Internet. 2,5 milliards d’entre eux échangent de l’information par une entreprise, Facebook, et le même nombre récupère de l’information par un seul moteur de recherche, Google. Plus de 330 millions d’individus sont actifs sur Twitter. Les smartphones captivent majoritairement l’attention de ces foules mondiales, prises dans des bulles informationnelles. Les grands sujets de débats nationaux, voire mondiaux sont rythmés par les plateformes de réseaux sociaux dont les revenus colossaux sont basés sur l’économie de la cognition et de l’attention. L’addiction aux écrans est devenue un enjeu sanitaire, particulièrement pour les plus jeunes. Le président de la plus grande puissance mondiale, les États-Unis d’Amérique, souffle le chaud et le froid en temps réel sur Twitter plusieurs dizaines de fois par jour. N’importe quels événement, phrase ou théorie peut être relayé des millions de fois en quelques millisecondes et produire un débat planétaire enflammé. L’individu connecté en permanence et surinformé est devenu la norme. Ceci ouvre la possibilité d’une orientation subtile et individualisée des individus, les craintes de Valéry sont donc presque devenues réalité.

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À propos de l’auteur
Thomas Flichy

Thomas Flichy

Thomas Flichy de la Neuville, docteur en droit, agrégé d’histoire. Il est titulaire de la chaire de géopolitique de Rennes School of Business.
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