Paul Morand a voyagé à travers le monde à une époque où les trajets se faisaient en paquebot et en train à vapeur. C’était le tourisme aristocratique et de luxe, précédant le tourisme de masse qui suivit dans les décennies suivantes. Il aurait pu se contenter d’être un dandy allant de palace en palace, il fut surtout un grand écrivain, capable de magnifier ses voyages et de saisir l’esprit du temps. Derrière le style léger et agréable, Morand comprend le monde qu’il traverse et se fait sociologue et ethnologue.
Plus que son époque, c’est l’homme qu’il décrit et qu’il perçoit. C’est un Marcel Proust avec des phrases moins longues et une œuvre qui n’est pas la cathédrale du Temps perdu, mais une série de chapelles que l’on visite de lecture en lecture. Dans Bains de mer, bains de rêve, les éditions Bouquins rééditent une série de nouvelles et de romans consacrés aux voyages aquatiques de Paul Morand. Il a passionnément aimé la mer, ses plages et ses baignades. Il s’est baigné en Belgique, sur la Manche et tout au long de la Méditerranée, de la Provence à l’Italie. De ses baignades il a fait tout un monde et toute une poésie.
Dans cette édition de Bouquins, on retrouve Venise(s) où Morand est passé par ce genre littéraire obligé qu’est de parler de la cité des Doges. Il le fait à sa façon, en associant son voyage autobiographique à des considérations sur l’art, le temps, la place de l’homme dans le monde. Cette vue de Venise rappelle les toiles du Canaletto, les canaux ajourés et les détails précis des palais vénitiens. La force de Morand est de montrer que le voyage est à la porte de chacun. Inutile d’aller loin : il suffit par exemple de remonter le Rhône. La soif de découverte de Morand et l’émerveillement devant les paysages traversés sont les mêmes que s’il remontait le Sénégal ou le Mississippi. Morand est l’écrivain des voyages et des paysages ; sa littérature est tout autant géographique qu’anthropologique.
Une Europe en fête
On y redécouvre les textes qu’il a consacrés à l’Europe de l’Est et au Danube, à l’époque où existait encore l’Empire austro-hongrois. Les paysages de Morand sont ceux de l’Europe des rois et des têtes couronnées, y compris après que ces têtes ont chuté. Marié à une princesse roumaine, Paul Morand est à la fois un écrivain complètement français et totalement européen. En le lisant, on découvre la sève de l’Europe, loin des circulaires sèches de Bruxelles et des normes de la Commission. C’est l’Europe des arts et des lettres, Europe passée et Europe future, qui donne envie de se battre pour elle : une autre Europe, culturelle et non pas administrative. Très apprécié de son vivant pour ce qu’il est, un grand écrivain, c’est-à-dire une personne sachant raconter des histoires et associer les mots, Morand est tombé en désuétude à l’époque où la littérature est devenue ennuyeuse, c’est-à-dire politique et engagée. Désormais que cette parenthèse asséchée est refermée, il est temps de redécouvrir Paul Morand et ses qualités littéraires et, à travers ses propres voyages, de voyager dans le temps et dans une Europe qui n’a jamais cessé d’être.
Amérique latine, Ceylan, Ispahan et même le Paris du début du XXe siècle, Paul Morand a voyagé partout et, de chaque voyage, a rapporté des descriptions de paysages urbain et rural. C’est un écrivain géographe, qui parle des lieux autant que des hommes, des terres traversées autant que des personnes rencontrées. Le monde qu’il peut découvrir grâce aux améliorations des transports n’est plus celui des conquistadors espagnols et des missionnaires se rendant en Asie. C’est le touriste aristocrate du XVIIIe siècle qui, grâce à la révolution du bateau et bientôt de l’avion, peut faire du monde son domaine. Son intelligence lui permet de comprendre chacune des situations et d’en rapporter l’essentiel pour ses lecteurs, créant un cabinet de curiosité littéraire où la littérature du voyage acquiert ses lettres de noblesse.
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