Turquie, Tonkin, frères musulmans, guerre de succession, aperçu des parutions de cette semaine.
Turquie
Frédéric Hitzel, La Turquie au XXe siècle, Guides Belles Lettres des civilisations, 320 pages, 21€.
Depuis quelques années, la Turquie ne cesse de faire parler d’elle en se taillant une place dans la cohorte des nouvelles puissances émergentes par son poids démographique et sa place stratégique. Après plusieurs décennies de discrétion sur la scène internationale, elle s’affiche à présent comme une puissance régionale qui a retrouvé la mémoire de son passé impérial. Incontournable par sa position géographique, ce pays fascine comme il inquiète. De l’Empire ottoman à ce début du XXIe siècle, la Turquie a accompli une incroyable révolution pacifique, sociale et culturelle. Vaincu avec l’Allemagne, en 1918, le pays est occupé par les puissances victorieuses et menacé de démembrement. Mustafa Kemal a sauvé son pays de l’humiliation et de la disparition en lançant la guerre pour l’indépendance nationale contre les Grecs, les Français et les Arméniens.
Vainqueur sur le champ de bataille, il proclame la République et installe sa nouvelle capitale à Ankara, en se donnant pour objectif d’élever la Turquie au rang de grande puissance européenne.
Ce guide a fait le pari réussi de l’exhaustivité, il retrace les grandes étapes de l’évolution de la Turquie tout au long du XXe siècle depuis 1923, année de la proclamation de la République de Turquie, jusqu’à 2002, qui correspond à la victoire du Parti de la justice et du développement (AKP) et l’arrivée au pouvoir de son leader Recep Tayyip Erdogan. Cet ouvrage remarquable retrace avec brio et une grande objectivité l’évolution de la Turquie contemporaine dans sa dimension politique, économique, sociétale, culturelle et cultuelle. Cela à l’aide d’une abondante documentation qui nous donne à voir et à connaître la richesse de ce pays qui commémore le centième anniversaire de la fondation de sa République, un État qui a pu se construire sur les décombres des peuples autochtones chrétiens -Arméniens, Assyro Chaldéens, Grecs Pontiques, Syriaques – d’Anatolie exterminés entre 1915 et 1923.
Tigrane Yégavian
Hagiographie d’un intrépide missionnaire
Pierre Klein, Joseph Theurel (1829-1868), Missionnaire au Tonkin pour le salut des âmes, Saint Léger éditions, 22€.
L’Église vietnamienne est l’une des plus dynamiques d’Asie malgré l’autoritarisme soupçonneux du Parti communiste. Elle doit sa vivacité au courage et au dévouement de ces intrépides missionnaires français qui risquèrent leur vie pour apporter le témoignage du Christ en terres indochinoises. Ce fut le cas de Joseph Theurel, envoyé à l’âge de 23 dans le Tonkin occidental (région de Hanoï) en 1853, alors que les chrétiens y subissent des persécutions. Missionnaire énergique et exemplaire, le missionnaire franc-comtois lutte contre l’intolérance religieuse de l’empereur du Viêt Nam. Ordonné évêque, vicaire apostolique, il œuvre à organiser la hiérarchie avec en ligne de mire toujours le même objectif : sauver le plus grand nombre d’âmes possible en les baptisant. Ce qu’il fera jusqu’à sa mort prématurée à l’âge de 39 ans.
Grâce à sa correspondance, l’auteur détecte chez son aïeul un réel intérêt intellectuel pour la culture vietnamienne doublé d’une réelle conviction dans sa foi et sa mission. Le but de la mission française consistait à créer un clergé indigène en dehors de toute interférence politique, l’intérêt de cette étude nous donne à connaître la complexité des rapports entre les missions et les autorités françaises. Lucide dans ses rapports avec sa hiérarchie, il aborde la condescendance vis-à-vis du clergé local annamite ainsi que les fractures entre clergé gallican et ultramontain. Ce parcours extraordinaire est restitué avec passion par un de ses descendants, Pierre Klein qui outre la vocation de son aïeul, ferme dans sa foi, et qui malgré d’invraisemblables persécutions demeura très attaché à respecter dans tous leurs détails les rituels romains tout en témoignant d’une véritable indépendance d’esprit. Un homme ballotté entre les errements de la politique française en Asie du Sud qui le contraignent à s’adapter et appuyer l’idée d’un protectorat français sur le Tonkin, dans la mesure où la conquête française assurera à partir des années 1880 une paix civile.
Tigrane Yégavian
Frères musulmans
Florence Bergeaud-Blackler, le frérisme et ses réseaux, l’enquête, Odile Jacob, 19,99 €.
Le rêve d’une théocratie. Tel est l’idéal porté par les Frères musulmans. Le projet d’une société islamique mondial est celui prôné par les Frères musulmans, que Florence Bergeaud-Blackler nomme frérisme. Alors que le sujet s’installe au sein de l’opinion publique, il devient crucial d’en connaître le fonctionnement et les objectifs.
Anthropologue et chargée de recherche au CNRS, l’auteur présente les ressorts de l’islamisme frériste. Elle décrit un mouvement qui utilise ses croyants à des fins d’islamisation des pays non musulmans au travers de l’économie, de l’écologie et de l’université. Florence Bergeaud-Blackler s’attarde sur l’origine du mouvement, son fondement doctrinal, ses modes opératoires et ses méthodes d’endoctrinement au sein d’un ouvrage minutieusement documenté qui propose une analyse globale du phénomène.
Au terme de son analyse du « système » frériste, l’auteur propose quelques pistes pour s’opposer à sa propagation et sortir de l’espace mental qu’il a construit. Un ouvrage qui devrait fournir matière à l’un des grands débats de notre société, au moment où la question islamiste s’est inscrite au cœur des clivages de notre représentation politique.
Légitimité d’Henri IV
Fadi El Hage, La Guerre de succession de France – Henri IV devait-il être roi ?, Passés Composés, 23,50 €.
Alors qu’Henri III meurt sans héritier, la ligne des Valois est destinée à s’éteindre. Selon la loi salique, c’est le futur Henri IV, chef du parti protestant, qui devient l’héritier légitime du trône. Mais de quelle légitimité est-il question concernant un chef protestant qui prend le trône de France en pleine guerre de religion ?
Docteur en Histoire, Fadi El Page nous invite à une relecture inédite d’évènements qui mèneront sur le trône le premier roi de la dernière dynastie des rois de France : la dynastie des Bourbons. Henri IV s’est toujours imposé comme vainqueur face aux Valois, imposant sa légitimité de sa victoire. Néanmoins, une relecture détaillée de la guerre de Succession de France montre que la succession d’Henri III n’a pas été d’une limpide évidence en faveur d’Henri IV. Le premier roi Bourbon a dû s’imposer face à d’autres prétendants. L’auteur revient sur une période charnière de notre histoire nationale, la guerre de Succession de France, qui incarne à la fois l’un des derniers conflits successoraux au sein d’un royaume et l’une des plus importantes phases de réflexion autour de la légitimé d’un souverain et d’une dynastie.
Un ouvrage qui apporte de nouvelles pistes d’analyse sur une période que l’on croît bien connaître mais dont il est nécessaire d’en dégager la véritable profondeur.