<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Paris, capitale et ville globale

28 octobre 2020

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Photo : Le quartier de la Défense, symbole de pouvoir de la ville de Paris, 16 mai 2020 - Photo : ROMUALD MEIGNEUX/SIPA 00962343_000004

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Paris, capitale et ville globale

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De toutes les métropoles mondiales actuelles de premier plan, Paris a le privilège d’être l’une des plus anciennes : capitale depuis le vie siècle, siège de la plus grande bibliothèque d’Occident en l’an Mil, ville la plus peuplée et la plus riche d’Europe au XIVe siècle, métropole mondiale en 1900, elle présente une densité historique rare. Elle est aussi devenue l’une des grandes villes globale du XXIe siècle. Comment comprendre cette singularité ?

Les Parisiens se plaisent à penser que leur ville est l’une des plus belles, sinon la plus belle, du monde. Et pour une fois, ce jugement, teinté de chauvinisme, est partagé par la quasi-totalité de la planète comme viennent le confirmer les classements internationaux qui se suivent et se ressemblent. Celui de Foreign Policy place Paris au troisième rang mondial derrière New York et Londres. Cette étude annuelle analyse la puissance urbaine en fonction de cinq critères : activité économique, rayonnement politique, capital humain, échange d’informations et potentiel culturel. Sur des critères proches, l’institut japonais de la Mori Memorial Fundation ou encore l’université de Loughborough (classement dit « GaWC ») situent également Paris au 3e rang mondial.

Paris, capitale attractive

En septembre 2016, le cabinet PwC publiait son classement mondial des villes en fonction de leur attractivité. Paris, remontant de deux places, figurait au 4e rang derrière Londres, Singapour et Toronto et devant Amsterdam, New York, Stockholm et San Francisco. Dans son rapport, PwC notait que Paris se singularisait, par rapport à ses concurrents, par le fait qu’elle figurait dans les dix premières places sur neuf des dix critères qui servaient au classement. À l’exception du coût de la vie, très élevé, la capitale est particulièrement attractive, notamment dans les domaines de l’innovation, des transports, de la santé, de l’entrepreneuriat, du développement durable et, bien entendu, de la qualité de vie.

Ces classements ne doivent rien à un heureux hasard. Au contraire, ils s’expliquent assez largement par une histoire complexe et une attention permanente du politique au rayonnement et à la puissance de la capitale. Car, contrairement à ce que peut laisser supposer l’émergence spectaculaire d’agglomérations millionnaires en Chine ou dans les pays émergents, l’inscription dans l’histoire, la complexité de la relation géographique, l’imaginaire qui se tisse entre une ville – plus encore lorsqu’elle est capitale – et une population sont des facteurs déterminants de puissance.

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Paris, métropole mondiale

Lorsqu’en 1991, Saskia Sassen avait dressé son premier classement des villes globales dans son ouvrage The Global City: New York, London, Tokyo (Princeton, Princeton University Press, 1991), elle avait mis en évidence une ville par continent de la Triade. En 1994, elle a été amenée à préciser sa pensée concernant Paris dans un article paru dans la revue Le Débat et intitulé « La ville globale : éléments pour une lecture de Paris ». Elle en était venue à agréger Paris dans le groupe des « global cities » derrière les trois mégapoles étudiées dans son ouvrage. À l’image de ces dernières, la capitale française dispose de sérieux atouts à l’échelle mondiale.

Si l’agglomération parisienne n’est qu’au 31e rang mondial pour ce qui concerne sa population avec 12,4 millions d’habitants, elle n’en est pas moins la sixième agglomération la plus riche du monde avec un produit urbain brut qui représente presque un quart du PIB français. Son degré de concentration économique est en effet énorme. Paris accueille la quasi-totalité des sièges sociaux des entreprises françaises et étrangères – la Défense est le plus grand quartier des affaires d’Europe – la région capitale abrite près de 50 % des cadres nationaux, 25 % des écoles d’ingénieurs et de management – dont les plus prestigieuses, HEC, Polytechnique – et un tiers des étudiants. En outre, malgré la désindustrialisation du territoire, l’Île-de-France demeure la première région manufacturière de France. Sans compter qu’elle est le nœud de transport de l’ensemble du territoire : cœur du réseau TGV et autoroutier, disposant d’un hub international, Roissy-Charles-de-Gaulle, qui est le deuxième d’Europe et le neuvième du monde.

Paris constitue en outre un centre culturel majeur avec ses festivals, ses congrès, ses expositions. Synonyme de culture, la ville abrite le siège de l’UNESCO et elle partage avec Milan le privilège d’être la capitale européenne du luxe et de la mode. La culture française rayonne à travers Paris dans le monde : avec le Louvre ou encore la Sorbonne à Abu Dhabi, avec ses contingents d’étudiants étrangers, ses touristes, les plus nombreux d’Europe malgré le repli de 2015 consécutif aux attentats. En suivant les analyses de Joseph Nye, on peut sans crainte affirmer que Paris et les valeurs qui lui sont attachées concourent largement au soft power de la France : de la tour Eiffel à Notre-Dame-de-Paris en passant par Montmartre, il n’est pas un haut lieu qui ne soit associé à un épisode historique célèbre. Porte-drapeau de « valeurs universelles » – proclamées comme telles en tout cas – la capitale dispose de ce « pouvoir doux » décrit par Nye qui permet de fixer l’agenda mondial (« agenda setting »). Le dernier exemple en la matière a été la réunion de la COP 21 en décembre 2015.

Paris, être et avoir été  

À bien des égards, la situation actuelle de Paris s’explique par l’histoire exceptionnelle de l’ancienne Lutèce. Elle devient la capitale du royaume franc de Clovis au début du vie siècle. Cette antériorité, qui fait de Paris l’une des plus anciennes capitales européennes, lui a conféré d’importants avantages. Capitale politique, la cité est devenue grâce à ses foires un centre économique mais aussi intellectuel avec l’Université. Dès le Moyen Âge, et jusqu’à aujourd’hui, Paris a concentré tous les pouvoirs – politique, économique, culturel et religieux – là où la plupart des villes n’en possédaient qu’une fraction. Sa rivale Londres a dû se résigner à perdre son centre universitaire au profit d’Oxford et de Cambridge, par exemple.

La force de Paris réside probablement dans la capacité de ses élites à avoir su adapter l’urbanisme à son temps afin de maintenir la ville, et la France, dans le groupe de tête des grandes puissances. Ainsi, durant le Second Empire, la capitale a été fortement rénovée par le préfet Haussmann (1853-1869). Il a donné à la ville sa physionomie et son unité architecturale actuelles en créant un premier « grand Paris » des vingt arrondissements avec ses vastes appartements, ses boulevards, ses grands magasins et bien entendu ses gares, immortalisées par Monet. À la fin du siècle, Paris accueille à deux reprises l’exposition universelle immortalisée par la tour Eiffel (1889) et la première ligne de métro. La ville ancienne est devenue la ville moderne par excellence.

Au xxe siècle, Paris a poursuivi sa mutation ; le forum des Halles, le quartier de la Défense, le centre Pompidou ou encore la pyramide du Louvre inscrivent la ville dans la modernité. Il est frappant de constater combien les présidents de la République ont directement participé à la rénovation et la mise à jour de leur capitale. À ce titre, les célébrations du bicentenaire de la Révolution française ont été l’occasion de réaffirmer la place singulière de Paris ; capitale du passé et du présent… et de l’avenir toujours, avec cette touche prométhéenne léguée par la Révolution.

Bien entendu, le risque, pointé aujourd’hui, est celui d’une muséification de Paris. Depuis Malraux, des secteurs entiers ont été sauvegardés, tel le Marais. En même temps, Paris poursuit sa mue. Le projet du « Grand Paris » en témoigne. Reste que la ville souffre des problèmes nés du gigantisme – engorgement, coût des logements centraux, clivages sociaux, insécurité… Mais n’est-ce pas le lot de toutes les métropoles ?

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À propos de l’auteur
Frédéric Munier

Frédéric Munier

Agrégé d’histoire, Frédéric Munier est enseignant en géopolitique en classes préparatoires ECS au lycée Saint-Louis (Paris).

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