<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Pakistan : un État dans la tourmente. Entretien avec Côme Carpentier #4

19 juillet 2023

Temps de lecture : 4 minutes

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Pakistan : un État dans la tourmente. Entretien avec Côme Carpentier #4

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Souvent considéré par la communauté internationale comme le terreau fertile du terrorisme islamique, le Pakistan est surtout une puissance nucléaire et un acteur stratégique de l’Asie du Sud. Avec 230 millions d’habitants, c’est la nation musulmane la plus peuplée du monde après l’Indonésie. Pourtant, à côté de l’Inde, le Pakistan est souvent méconnu. L’instabilité politique et la fragilité économique de cette nation n’ont fait que renforcer l’emprise de l’armée. 

Propos recueillis par Côme de Bisschop.

Le Pakistan a été fondé sur l’identité religieuse au mépris des particularismes ethniques et culturels, tout en étant jaloux de sa grande voisine indienne. Le Pakistan a-t-il été créé en tant que refuge pour les musulmans du sous-continent indien ou pour devenir un véritable point d’appui du monde musulman et un porte-étendard de l’islam ?

Le principal promoteur du Pakistan, Mohammed Ali Jinnah, […] le voyait comme un « État laïc pour les musulmans »

À l’origine le Pakistan était avant tout une « nouvelle Médine » (but d’une nouvelle hégire) pour les musulmans indiens qui ne souhaitaient pas coexister avec une majorité hindoue. Le principal promoteur du Pakistan, Mohammed Ali Jinnah, avocat musulman chiite non-pratiquant au barreau de Londres, et très attaché a la culture anglaise, n’a jamais défini les caractéristiques de l’État qu’il voulait établir. Il le voyait comme un « État laïc pour les musulmans ». Il pensait que ses frontières avec l’Inde (qui ne furent connues qu’au dernier moment avant l’indépendance des deux nouveaux États) seraient ouvertes, comme celles des nombreuses principautés du sous-continent qui côtoyaient l’Inde anglaise proprement dite. Il était fier que le Pakistan soit la première république dans le monde musulman et un des pays islamiques les plus peuplés. 

L’actualité pakistanaise est depuis longtemps marquée par les tensions qui subsistent avec son voisin indien, notamment concernant la région du Cachemire, dont les divergences sont un héritage de la partition des Indes britanniques. Alors que le Cachemire semble avoir toujours été indépendant ou indien, comment la Chine et le Pakistan expliquent-ils le fait quils aient eux aussi des revendications sur ces territoires ? 

Pour la Chine c’est la question du Ladakh, qu’un général au service du Maharadjah du Jammou et du Cachemire conquit au milieu du XIXe siècle. Or le Ladakh à forte majorité bouddhiste est étroitement lié au Tibet dont il fait partie du point de vue géographique et culturel. De son côté, le Pakistan a toujours revendiqué le Cachemire proprement dit en tant que territoire à majorité musulmane et les Anglais, avant leur départ (et aussi depuis) favorisaient le rattachement du royaume du Cachemire au nouvel état musulman.

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Alors que les élites indiennes dénoncent « l’industrie terroriste pakistanaise » dans la région disputée du Cachemire, les élites pakistanaises accusent le Parti nationaliste hindou d’islamophobie. Ces accusations réciproques sont-elles fondées ? Ce conflit n’est-il pas instrumentalisé sur la scène politique afin de mobiliser les populations ?

Il est évident que le Pakistan soutient et encourage l’irrédentisme dans la vallée du Cachemire depuis 1947. L’islamophobie existe bien dans une grande partie de la population non-musulmane de l’Inde, comme on pouvait s’y attendre suite à une partition très sanglante et douloureuse, a quatre guerres indo-pakistanaises et à de multiples attentats terroristes sur le sol indien, pour la plupart ourdis au Pakistan. Cependant, le gouvernement indien actuel, malgré son nationalisme hindou assumé, ne pratique pas une politique islamophobe et cherche au contraire à gagner au moins une partie de la population musulmane: les modérés, les femmes, la jeunesse, etc.

La guerre froide entre les deux nations nucléaires sest durcie depuis dix ans. La récente visite d’un ministre pakistanais en Inde peut-elle être perçue comme l’espoir d’une reprise du dialogue ? Que s’est-il passé au sommet de Goa ? 

Cette visite fut un échec, si toutefois elle avait pour but un rapprochement, car le ministre pakistanais, le fils de feu le premier ministre Bhoutto, exécute dans son pays, répéta les accusations habituelles contre l’Inde pour sa politique au Cachemire et essuya une réponse acerbe de son homologue indien, son hôte. L’armée pakistanaise est la seule institution qui a le pouvoir de mettre à exécution un projet de réconciliation avec l’Inde si elle le souhaite.

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Islamabad traîne une dette étrangère de près de 100 milliards de dollars et l’inflation est au plus haut. Le Pakistan ne sera-t-il pas bientôt contraint de devoir choisir entre investir dans des munitions ou de rediriger les crédits militaires vers l’éducation et la santé publique ?

On dit cela depuis des décennies, mais jusqu’à présent le Pakistan a pu sauver plus ou moins la mise. Jusqu’à présent, le Pakistan a résisté grâce au soutien des États pétroliers du golfe (qui rechignent pourtant désormais) et surtout grâce au « grand frère » chinois qui a de gros intérêts au Pakistan, surtout en rapport avec le CPEC (China-Pakistan Economic Corridor). Les États-Unis tendent toujours à soutenir le Pakistan en dernière instance pour conserver une base et pour ne pas livrer ce vieil allié peu fiable, mais stratégiquement situé à Pékin ni le pousser dans les bras de l’Inde.

Largement instable, le régime politique pakistanais se caractérise par une récurrente prise en tutelle de l’armée, souvent considérée comme le vrai pilier de l’État. Quels sont les liens qui unissent l’armée et la politique au « Pays des Purs » ?

L’armée contrôle non seulement la politique, mais aussi l’économie pakistanaise par le biais de multiples fondations qui possèdent de très nombreuses sociétés industrielles et financières et un immense parc immobilier et agricole.

Alors que les législatives sont prévues à la fin de lannée, l’arrestation le 9 mai dernier de Imran Khan, leader de l’opposition, est-elle révélatrice du chaos politique du pays ? Ce retour de larmée au cœur du jeu politique marque-t-il l’avènement d’une dictature militaire qui ne dit pas son nom ? 

Elle n’a jamais quitté le cœur du jeu politique et désigne les candidats au pouvoir qui lui conviennent. Après avoir été porté au pouvoir par les pachas, Imran Khan s’est mis l’armée à dos, comme tous les politiques avant lui qui voulaient s’affranchir de la tutelle des militaires. En outre, les vues non-alignées et assez anti-américaines d’Imran et ses velléités périodiques de rapprochement avec l’Inde déplaisent fortement aux généraux. Toutefois des divergences sont apparues au sein de l’état-major, ce qui pourrait rendre la situation encore plus compliquée, mais en période de crise grave l’élite militaire se serre les coudes.

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Côme Carpentier de Gourdon

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