Découvert il y a près de cinq siècles, le Pacifique constitue toujours une énigme. Océan aux confins de trois continents, espace de rupture entre différentes civilisations, terrain de jeux des puissances qui le bordent, le Pacifique est plus qu’une simple étendue d’eau : il est, sous bien des aspects et depuis le XVIe siècle, le lieu des convergences de biens des ambitions géopolitiques. Futur centre névralgique du monde ?
Au moment où la presse mondiale parle, avec son goût habituel de la dramatisation, de « la nouvelle guerre du Pacifique » lorsqu’elle évoque le contentieux territorial sino-japonais concernant les îles Senkaku/Diaoyu situées en mer de Chine au Nord-Ouest de Taiwan, il est apparu intéressant de se pencher sur l’histoire et l’importance du Grand Océan. Convient-il de rappeler qu’avec ses 170 millions de km2, celui-ci couvre le tiers de la surface du globe et qu’il s’étire dans sa plus grande largeur des Philippines au canal de Panama, sur près de la moitié de la superficie du globe (17 500 km). Cet ensemble, divisé depuis Dumont d’Urville en Polynésie (multiples îles), Micronésie (petites îles) et Mélanésie (du grec Mêlas, noir), se répartit pour 40/60 entre le Nord et le Sud, d’où l’appellation commune de Pacifique Sud, lorsque l’on désigne cette région géopolitique. Depuis sa « découverte » en 1513, au-delà de l’isthme de Panamá, par des conquistadors en quête d’une mythique mer du Sud, ou de la Terra australis, le Pacifique fait l’objet de toutes les convoitises. Grâce au voyage de Magellan quelques années plus tard (1519-1522), au premier tour du monde, à la conquête des Philippines et à la colonisation des côtes américaines du Mexique au Chili, l’Espagne s’impose comme la maîtresse incontestée de cet « autre océan », porte d’entrée vers l’Asie. Mais les rivalités internationales sont féroces. Avec le Galion de Manille qui reliait la capitale des Philippines, fondée en 1571, à la côte mexicaine, on entre dans le cœur de la mondialisation ibérique. Après la concurrence avec le Portugal autour du Japon, arrivent, au XVIIe siècle, les Hollandais de la Compagnie des Indes, puis les razzias sans merci des pirates et des corsaires anglais. Sans oublier l’irruption, au XVIIIe siècle, de navires marchands français attirés par l’argent du Pérou, et les partages coloniaux du XIXe siècle. Au-delà du mythe romantique du chevalier de Bougainville qui vit, dans l’île de Tahiti, le jardin d’Eden, de la « maison du jouir « de Paul Gauguin ou des volontés d’évangélisation qui ont animé bien des missionnaires, voilà que le Pacifique fait l’objet d’un nouveau regard. Détenant la clef de maints problèmes planétaires (origines de la vie dans ses fosses marines les plus profondes, avenir des pêcheries mondiales, sort du climat planétaire, zone de la plus grande biodiversité mondiale, car l’on ne connaît à peine, par ailleurs, 20% de la flore et de la faune sous-marine, et de la plus grande pluralité linguistique, car il recèle près de la moitié des 6 000 langues du monde recensées par l’UNESCO), le Pacifique fait l’objet d’une attention constante du monde. Théâtre de combats acharnés dans la cadre de la Seconde Guerre mondiale, au point que le sort de celle-ci s’y soit joué, le Pacifique, s’il n’est pas le centre du monde comme on l’a supposé dans les années 1980, reste la zone où bien des affrontements sont susceptibles de se dérouler.
Bernard Lavallé, Pacifique. A la croisée des empires, Vendémiaire, 2018, 356 pages.