<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « Où va l’Amérique ? » Bilan des 7e Rencontres géopolitiques de Trouville-sur-Mer

31 octobre 2022

Temps de lecture : 3 minutes

Photo :

Abonnement Conflits

« Où va l’Amérique ? » Bilan des 7e Rencontres géopolitiques de Trouville-sur-Mer

par

Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Frédéric Encel organise depuis 2014 les Rencontres géopolitiques de Trouville (salon des Gouverneurs du casino Barrière). La cité normande est, le temps d’un week-end, le lieu des débats et des échanges autour des grands défis du monde dont les États-Unis étaient cette année le cœur. Plus de 750 lycéens étaient présents dans le public pour assister à ces Rencontres. Preuve que la géopolitique sait aussi toucher un public très jeune.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé

A lire également :

La fin du dieu dollar ?

La mort de l’Amérique et la fin de son empire sont souvent annoncées. Pourtant, les États-Unis sont toujours là et toujours numéro un. À quoi attribuez-vous cette permanence de la puissance américaine ?

Comme toujours en géopolitique, à différents facteurs. Mais c’est à mon sens leur survalorisation du savoir qui constitue la principale variable explicative de la pérennité de cette puissance considérable, du reste trop négligée par mes confrères. Valoriser le savoir technique et technologique, mais aussi universitaire de façon générale, et ne pas se contenter d’une économie rentière, telle est la clef ! Quand vous accordez foi, temps, énergie et budgets à la recherche, vous créez des services et des produits civils et militaires à haute valeur ajoutée, pas seulement économiques stricto sensu mais aussi stratégiques, et évitez ainsi de (trop) dépendre d’autrui en créant a contrario des allégeances et en bâtissant une solide crédibilité. Max Weber, dans son Éthique protestante… [publié en 1905, NDLR], fournit des éléments de compréhension intéressants à cet égard. Certes, la puissance US puise aussi bien entendu à de formidables ressources énergétiques, minérales et agricoles, à l’insularité stratégique du pays, à une démographie dynamique, au patriotisme ou encore aux « suicides » successifs d’une Europe matricielle. Mais, j’insiste, ne négligeons pas cette dimension du savoir qui se retrouve par ailleurs en Israël, en Asie orientale ou encore en Europe occidentale.

Dans les années 2000, certains chercheurs annonçaient que, compte tenu de la démographie interne des États-Unis, les démocrates seraient majoritaires et que les républicains ne pourraient plus gagner. Or que ce soit aux présidentielles ou aux élections locales, le Parti républicain résiste et gagne. Est-ce la preuve que celui-ci a su s’adapter aux nouvelles demandes de l’électorat américain ?

Je me méfie toujours des observations fondées sur la démographie. Celle-ci n’est qu’un critère, une variable parmi d’autres qu’il convient de croiser systématiquement. Seule, une réalité démographique – du reste par définition fluctuante, voire volatile – n’explique rien du tout. S’agissant des Américains, ce n’est pas parce que les WASP sont devenus minoritaires qu’un parti va mécaniquement l’emporter. D’une part nombre de Latinos et d’Asiatiques votent républicain (et des WASP démocrates !), d’autre part beaucoup dépendent de l’offre programmatique et des candidats des grands partis lors de chaque campagne et, bien sûr, des circonstances socio-économiques. Sans compter – comme le rappelle fort bien Jean-Éric Branaa dans sa remarquable Géopolitique des États-Unis (PUF, coll. « Géopolitiques », 2022) – un mode de scrutin basé sur les États.

A lire également :

Le resserrement du dollar s’intensifie

Le dollar est concurrencé, la Russie se rapproche de la Chine, qui elle-même assoit sa domination dans la zone Pacifique. Est-ce que, cette fois-ci, Washington pourrait perdre la première place au profit de Pékin ?

Le dollar concurrencé ? Par quelle autre monnaie de référence universelle ? La Russie se rapproche de la Chine ? Mais jusqu’où le souhaite cette dernière au regard de l’égarement russe en Ukraine et de son appétit pour l’immense Sibérie orientale et l’Asie centrale ? Pékin assoit sa domination dans le Pacifique ? Construire des centaines de bâtiments de surface est une chose (sachant que la Chine n’a strictement aucune expérience de la guerre navale !), disposer d’un réseau d’alliances et de bases en est une autre, qu’à l’inverse des États-Unis elle ne possède pas. Rien n’est éternel ici-bas. Un jour ou l’autre, les États-Unis perdront leur suprématie. Ce que j’affirme dans mon ouvrage Les Voies de la puissance(Odile Jacob, 2022, Prix du livre de géopolitique) et mes nombreuses conférences, c’est que ce jour n’est pas arrivé, tant s’en faut…

 

 

 

Mots-clefs : , ,

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

Voir aussi