« Gagner les cœurs et les esprits », tel pourrait être le slogan des ONG. Des révolutions colorées à l’agit-prop environnementale, elles jouent un rôle de premier plan dans la guerre cognitive : une ingénierie aliénante, une terraformation qui altère notre rapport au réel.
Thibault Kerlirzin, consultant en stratégie d’intelligence économique
Protectrices supposées du bien commun jouant à l’envi sur les émotions, les ONG vendent, implémentent et normalisent les narratifs d’agendas particuliers. Cachées en pleine lumière, elles constituent l’outil politique idéal de subversion[1] et de guerre informationnelle pour les puissances qui savent en faire usage.
L’entrisme bruxellois sous couvert de la société civile
La définition des ONG demeure floue. Le registre de transparence européen intègre dans cette catégorie des acteurs variés : ONG, plateformes (NGO Shipbreaking Platform, PICUM), réseaux (Climate Action Network), coalitions (Deep Sea Conservation Coalition), fondations (Forum économique mondial, Gates Foundation), ou les associations. Si nous ne pouvons affirmer que les ONG servent dans leur globalité de cheval de Troie aux États, force est de constater qu’un certain nombre d’entre elles s’y emploient. La raison, exposée par Christian Harbulot comme par d’autres depuis de nombreuses années, est simple : la société civile constitue le troisième pilier du triptyque politique / économique / sociétal. Le tout valant plus que la somme des parties, une maîtrise de ces trois sphères renforce la capacité d’agir et de servir ses intérêts propres[2].
La présence de quelque 3 500 ONG[3] dans les couloirs de Bruxelles en témoigne. Elles peuvent y présenter leurs revendications en répondant aux consultations publiques et orchestrer de véritables campagnes d’influence, à l’instar du WWF (campagnes Together4Forests et #ProtectWater[4]), une ONG majeure qui émane des réseaux anglo-américains[5]. Leur expertise, lorsqu’elle est reconnue, leur donne une marge de manœuvre supplémentaire. Tel est le cas de Transparency International (TI), une ONG allemande feuille de vigne de la galaxie Soros et donc des réseaux anglo-américains, à qui la Commission a confié la question du pacte d’intégrité[6]. Cela permet à TI de peser sur la législation européenne en la matière. Dans d’autres cas, aux côtés d’entités diverses et dans des proportions variées, les ONG composent des groupes d’experts et autres entités, fournissant conseils et expertises à la Commission. Nous observons ainsi une OPA des réseaux Soros sur la question des migrants (groupe E03734[7]). Enfin, de nombreuses ONG disposent de membres accrédités pour accéder au Parlement européen et rencontrer des eurodéputés pour mener leur lobbying, permettant à ces proxys étatiques d’accéder aux plus hauts profils.
Sans surprise, le registre de transparence européen compte plusieurs centaines d’ONG avec une domiciliation exclusivement américaine. Avec parfois, d’ailleurs, une influence a priori inexpliquée. Global Citizen, née à Melbourne mais désormais basée à New York, en constitue l’exemple le plus intrigant, puisqu’elle est l’ONG qui a obtenu le plus de rendez-vous de lobbying auprès de la présidence de la Commission européenne lors de la première mandature Von der Leyen[8]. Peut-être que les dizaines de millions de dollars accordés depuis des années à Global Citizen par la Gates Foundation fournissent un début d’explication[9].
À lire également
Les ONG sont centrales dans la guerre des idées
Les liens incestueux entre État et ONG
D’ailleurs, la Gates Foundation illustre le concours étatique au travers de Bill Gates, fondateur de Microsoft, entreprise stratégique des Gafam et par conséquent étroitement liée au pouvoir américain. Cette proximité se manifeste dans d’autres activités de Gates. Son entreprise de mini-centrales nucléaires, TerraPower, a ainsi missionné le cabinet Boundary Stone Partners auprès de la Commission européenne pour peser en sa faveur sur les politiques liées à l’énergie nucléaire. Or ce cabinet a été fondé par deux anciens directeurs de cabinet du ministère de l’Énergie de Washington, et se compose d’anciens fonctionnaires de divers ministères[10]. Le statut de Gates et de sa fondation lui permettent de nouer des partenariats privilégiés au niveau européen, avec par exemple la branche Catalyst de son réseau Breakthrough Energy[11]. Objectif : aider à porter sur le marché des technologies de décarbonation. En d’autres termes, renforcer l’implémentation de l’agenda vert dont les États-Unis sont le principal acteur et héraut depuis les années 1970[12]. Ce statut privilégié de la Gates Foundation lui a en outre permis, sans disposer de bureau à Bruxelles, de figurer en tête des meetings avec les fonctionnaires de la Commission européenne sur les questions de budget, de développement aussi bien que sur le sujet de recherche, science et innovation.
L’adresse des bureaux de plusieurs ONG dissipe elle aussi les doutes qui pourraient persister sur leur collusion avec le pouvoir politique. Les fondations Gates et Open Society (George Soros) disposent d’une antenne à deux pas de la Maison-Blanche. Comparable à Global Citizen, l’ONG ONE (lutte contre l’extrême pauvreté et les maladies évitables) est également très proche. Présente à Bruxelles, ONE constitue l’exemple archétypal pour notre propos. Par les profils de ses trois fondateurs, d’abord. Bono, chanteur de U2, est un proche de George Soros, qu’il qualifie de « géant[13] ». Jamie Drummond est un Young Global Leader du Forum économique mondial, dont le fondateur Klaus Schwab a pour mentors Henry Kissinger et Maurice Strong, homme-lige de membres éminents de la famille Rockefeller (David, Steven et Laurance)[14]. Bobby Shriver est un ancien collaborateur de James D. Wolfensohn qui, outre sa présidence de la Banque mondiale, dirigea la fondation Rockefeller et fit partie du bureau international de l’U.S. / Middle East Project lancé par le Council on Foreign Relations. Le directoire de ONE complète le tableau, avec – entre autres, mais sans être exhaustif – Anne Finucane, ancienne vice-présidente de la Bank of America ; Lawrence Summers, ancien secrétaire au Trésor des États-Unis ; Morton H. Halperin, consultant de longue date pour l’Open Society et ancien du gouvernement fédéral dans les administrations Clinton, Nixon et Johnson ; Rajiv Shah est le président de la fondation Rockefeller[15].
À lire également
L’Allemagne et ses ONG pour imposer sa politique énergétique
Créer son environnement politico-sociétal : l’exemple du Wilderness océanique
L’idéal d’une puissance étatique reste, bien entendu, de créer un système en amont pour contraindre les participants à en suivre les règles. Les États-Unis ont réussi ce pari avec brio pour l’un des sujets les plus lucratifs (finance bleue et captations des ressources marines) et les plus importants en termes de déploiement de puissance : la conservation océanique. En 1977, en Afrique du Sud, se tint le premier congrès international sur le Wilderness, avec l’intervention d’une quarantaine de personnalités dites de références sur le sujet. Une citation lue dans les minutes du congrès résume sa philosophie : « They came to establish a world wilderness order[16]. » Nous y trouvions déjà G. Ray Arnett, alors président de l’ONG National Wildlife Federation et futur vice-secrétaire à l’intérieur pour les poissons et la vie sauvage sous l’administration Reagan.
Mais c’est bien Wild 4, organisé aux États-Unis en 1987, qui a constitué un tournant. Pour la première fois, en marge de l’événement principal, un congrès spécifiquement lié au Wilderness océanique fut organisé. Objectif : accroître le contrôle sur les systèmes océaniques[17]. Toutefois, en rupture avec l’aspect international des congrès sur le Wilderness, l’organisation et l’accueil de celui-ci fut spécifiquement américain[18]. Les minutes du colloque rapportent la volonté américaine d’accroître « le rôle des ONG dans la promotion d’une politique responsable » et un plan d’action futur de conservation marine et d’aires marines protégées. Plusieurs décennies plus tard, l’Union européenne est prête à ratifier le traité sur la haute mer qui permettra d’y créer des aires marines protégées. Or, les plus grands trusts caritatifs et ONG en la matière sont américains et peu ou prou liés au pouvoir politique : Conservation International, The Nature Conservancy, The Pew Charitable Trusts, Moore Foundation, Packard Foundation[19], ou encore la Global Commons Alliance. Quant à la Global Environment Facility, fondée en 1991 à la suite du souhait de Wild 4, son adresse se situe, à l’instar d’ONG vues précédemment, à deux pas de la Maison-Blanche.
[1] Dans La subversion, Roger Mucchielli rappelle le sens de celle-ci : le « renversement de l’ordre établi », une « technique d’affaiblissement du pouvoir et de démoralisation des citoyens », p. 8-9, Bordas, 1971.
[2] Voir plus particulièrement un condensé de cas dans : Christian Harbulot, Fabricants d’intox : la guerre mondialisée des propagandes, Lemieux éditeur, 2016.
[3] Rapport annuel sur la tenue du registre de transparence 2023, p. 16.
[4] Respectivement https://together4forests.eu/about et https://www.livingrivers.eu/
[5] https://dokanod.com/2022/06/27/wwf-premiere-partie-les-figures-de-proue/
[6] https://ec.europa.eu/regional_policy/policy/how/improving-investment/integrity-pacts_en
[7] https://ec.europa.eu/transparency/expert-groups-register/screen/expert-groups/consult?lang=en&groupID=3734
[8] Ces données ne peuvent malheureusement plus être consultées hormis peut-être en passant par la Wayback Machine. Integrity Watch, site très utile monté par la branche européenne de Transparency International (avec notamment l’aide de l’Open Society), explique désormais ne plus afficher les différents portefeuilles, ce qui empêche de mener une telle recherche.
[9] Nous nous heurtons au même problème que précédemment. Ici, c’est la fondation Gates qui a supprimé ses références aux financements de Global Citizen (sous son autre nom, Global Poverty Project), que nous avions mises en lumière dans notre étude sur « L’influence des ONG dans le processus législatif européen » : https://id-foundation.eu/wp-content/uploads/ONG_web. PDF, p.36-38.
[10] https://www.boundarystone.com/our-people
[11] « EU & Breakthrough Energy: A Partnership for Climate Innovation », https://youtube.com/watch?v=8elv8N91Bm4
[12] Nous recommandons sur ce point la lecture d’un article de fond daté de 1977 écrit par les chercheurs Robert Golub et Joe Townsend, intitulé « Malthus, Multinationals and the Club of Rome », Social Studies of Science, vol. 7, mai 1977, p. 201-222, Sage Publications Inc. Nous avons lu sa version en fac-similé proposée sur le site JSTOR. Son accès est gratuit et nécessite seulement la création d’un compte.
[13] « On George Soros », https://www.youtube.com/watch?v=dvx6U0JUURA, à partir d’1min22.
[14] Pour davantage d’informations sur l’influence démesurée de Maurice Strong, cf. notre étude sur « L’influence des lobbies écologistes », https://id-foundation.eu/wp-content/uploads/FONDATION-IDD.-pdf.pdf.
[15] https://www.one.org/us/about/board-and-leadership/
[16] https://wild.org/wp-content/uploads/2018/09/Voices-of-the-Wilderness_for-web.pdf
[17] https://wild.org/wp-content/uploads/2019/12/Ocean-Wilderness-Seminar-1987.pdf
[18] National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), US National Marine Fisheries Service (NMFS), l’ONG UICN, le programme interservice US Man and the Biosphere (qui regroupe le département d’État, le ministère de l’Intérieur, la NASA, la NOAA, le Peace Corps et le Smithsonian Institute), et le Department of Recreation Resources de l’université d’État du Colorado.
[19] Un travail inégalé sur le sujet a été mené voici douze ans déjà par Yan Giron, tant sur son défunt site bluelobby.eu (accessible au moyen de la Wayback Machine) que dans son rapport « Blue Charity Business » (octobre 2012) : https://peche-dev.org/IMG/pdf/blue_charity_business_.pdf