Océanisation du Foch : comment gérer les vieilles coques de la Marine ?

5 février 2023

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Porte avions Foch, un des piliers de la dissuasion française (c) Wikipédia

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Océanisation du Foch : comment gérer les vieilles coques de la Marine ?

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Le 4 février 2023, l’ex porte-avions Foch a été océanisé[1], à la suite d’un périple digne de celui qu’a connu son sister-ship, le Clémenceau, il y a 17 ans de cela. Une fois de plus, la question de la fin de vie des bâtiments de guerre se retrouve sous les feux de l’actualité. Cependant, il ne faut pas oublier que la conception des deux porte-avions français, construits dans les années 1950, répondait à des préoccupations très éloignées de celles du début du XXIe siècle.

Mis en service en 1963, le porte-avions Foch a été vendu en 2000 à la Marine brésilienne, qui l’a exploité jusqu’en 2017 sous le nom de São Paulo. Lors de son retrait du service actif, il ne faisait plus de doute qu’il devait être envoyé à la casse, car son mauvais état limitait depuis longtemps sa disponibilité opérationnelle. Il fut ainsi vendu à un chantier de démolition turc, et fut pris en charge en août 2022 par un remorqueur hollandais pour être acheminé vers sa dernière destination. Mais la Turquie refusa d’accepter la coque, et le convoi dut opérer un demi-tour au niveau du détroit de Gibraltar. À partir là, le Foch erra sous escorte dans l’Atlantique, étant également indésirable dans les ports brésiliens, jusqu’à ce que son état impose cette décision, qui était la moins mauvaise au vu de la dégradation de la coque.

Un arbre qui ne doit pas cacher la forêt des progrès

Ce feuilleton n’est pas sans rappeler celui du Clémenceau, dont la déconstruction avait été confiée à l’origine à un chantier espagnol. Il quitta Toulon en 2003, mais on lui fit opérer un demi-tour lorsqu’on se rendit compte que sa véritable destination était un sous-traitant basé en Turquie. Elle fut ensuite confiée à un chantier indien, mais le remorquage, débuté le 31 décembre 2005, tourna au feuilleton entre le refus des autorités indiennes qui força le convoi à faire demi-tour, et l’interdiction d’utiliser le canal de Suez qui obligea à un détour par le cap de Bonne Espérance. Finalement, le convoi revint à Brest le 17 mai 2006, le jour même où les États-Unis océanisaient un de leurs anciens porte-avions, le USS Oriskany. Il fallut alors attendre trois ans pour que le Clémenceau parte pour de bon vers un chantier de démolition au Royaume-Uni. Cet épisode aura au moins un mérite : celui d’avoir sensibilisé l’opinion aux problématiques liées à la démolition navale.

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Cependant, les règles concernant les bâtiments militaires avaient déjà commencé à évoluer en France. Les océanisations avaient été interdites en 2001 côté Méditerranée et en 2004 côté Atlantique[2]. Après l’épisode du Clémenceau, c’est un véritable plan de déconstruction des vieilles coques de la Marine qui est mis en place, mais il faut attendre les années 2010 pour qu’il entre en phase opérationnelle, le temps de trouver des prestataires ayant les capacités suffisantes. Progressivement, le stock qui s’était accumulé est démoli, sur place pour les coques qui ne peuvent plus naviguer, ou dans les chantiers d’une filière qui commence à se constituer : Gardet et de Banézac au Havre, la forme de Bassens à Bordeaux[3], ou Galloo à Gand, en Belgique.

Même les anciens SNLE[4] font l’objet d’un démantèlement dans les règles de l’art, qui a commencé en 2018 et doit s’étaler jusqu’en 2027. En revanche, pour le Charles-de-Gaulle, le défi sera conséquent : outre le traitement des installations nucléaires, il faudra trouver un chantier qui sera à la fois apte à accueillir une coque de cette taille, et qui acceptera une tâche aussi difficile sur le plan technique. Les Américains semblent d’ailleurs eux-mêmes à la peine avec les premiers porte-avions nucléaires qu’ils ont sortis de flotte, comme le célèbre USS Enterprise[5].

Des règles très différentes selon les pays

Au Royaume-Uni, les derniers porte-aéronefs de la classe Invincible ont été vendus à la démolition en Turquie au début des années 2010, tandis que la déconstruction du Clémenceau venait tout juste de s’achever sur les rives de la Tees. D’une façon générale, les grands chantiers de démolition navale de Turquie et du sous-continent indien accueillent beaucoup de bâtiments militaires, même si tous ne représentent pas la même difficulté à gérer. Dans les années 1980, la Chine s’est aussi occupée de la déconstruction de l’ancien HMAS Melbourne de la Marine australienne, non sans l’étudier, dans l’idée de pouvoir lancer ses propres porte-avions par la suite.

La démolition des navires de commerce est en cours d’encadrement par la convention de Hong Kong, qui n’est pas encore en vigueur, même si sa ratification progresse, et que l’Union européenne a édicté un règlement qui s’inspire de ses dispositions. Pour les bâtiments militaires, certains pays cherchent à en respecter les principes, à l’exemple de la Nouvelle-Zélande qui fut pionnière en envoyant le HMNZS Endeavour à la casse en 2018 dans un chantier de démolition indien labellisé, même si le recours à une société immatriculée à Singapour et au pavillon de complaisance de Niue laisse un peu songeur.

Des bâtiments militaires construits pour durer jusqu’au bout

L’un des problèmes que l’on rencontre aujourd’hui dans la démolition des bâtiments militaires réside dans leur longévité. Là où le transport maritime moderne envoie souvent à la casse les navires de plus de vingt ans dès qu’une crise nécessite de réduire la flotte, ce n’est pas le cas dans les marines de guerre, qui exploitent souvent leurs unités jusqu’à leur dernier souffle. De plus, les normes militaires en matière environnementale ont souvent un temps de retard sur celles du civil. Ainsi, le Foch, construit dans les années 1950, contiendrait 9,6t d’amiante, 644,7t de métaux lourds dans sa peinture, et 10 000 lampes au mercure[6]. Autant dire que le chantier était colossal pour une démolition dans les règles.

Par ailleurs, la cession des bâtiments de guerre anciens à des pays amis est une pratique courante. Dans l’histoire récente de la Marine française, le TCD Foudre a été vendu au Chili en 2011, tandis que le TCD Siroco l’a été au Brésil en 2015, des exemples similaires pouvant être cités pour les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni… Mais les pays bénéficiaires n’ont pas toujours les moyens de les démolir dans les règles de l’art, et ce qui s’est produit avec le Foch montre la limite des clauses encadrant les modalités de démolition, qui devaient théoriquement s’imposer à l’ex-porte-avions français.

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On remarquera cependant que les bâtiments militaires ont une différence majeure avec les navires civils : non seulement ils peuvent couler par accident, mais cela peut aussi leur arriver en opérations de guerre, c’est-à-dire à cause de leur exploitation normale. On en avait certes perdu l’habitude durant la Guerre froide, où les coups de canon étaient rares[7], mais le retour de la guerre de haute intensité vient nous rappeler cet état de fait. Le dernier exemple frappant en date est celui du croiseur russe Moskva, qui a été envoyé par le fond en avril 2022, et dont l’impact environnemental n’a guère fait parler alors qu’il n’était certainement pas plus « propre » que le Foch. Décidément, la guerre n’est vraiment pas faite pour être écoresponsable[8].

[1] Terme généralement préféré à « saborder » dans le monde maritime

[2] Certains bâtiments de grande taille étaient déjà démolis dans des chantiers, à l’exemple du Jean Bart et de l’Arromanches

[3] C’est dans cette forme qu’ont été démolis d’anciens symboles comme le Colbert et la Jeanne d’Arc

[4] Sous-Marin Nucléaire Lanceur d’Engins

[5] https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2018/09/19/l-uss-enterprise-sera-bien-deconstruit-mais-peut-etre-en-202-19661.html

[6] https://www.francetvinfo.fr/monde/bresil/bresil-on-vous-raconte-la-longue-derive-du-porte-avions-foch-qui-s-achevera-au-fond-de-l-ocean-atlantique_5637932.html

[7] La Guerre des Malouines, qui s’est déroulée en 1982 et pendant laquelle plusieurs bâtiments ont été coulés, constitue une exception notable

[8] https://www.causeur.fr/la-guerre-ecoresponsable-nexiste-pas-251615

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À propos de l’auteur
Jean-Yves Bouffet

Jean-Yves Bouffet

Officier de la marine marchande.

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