Nouvelle-Calédonie : le virage anti-chrétien des indépendantistes

21 juillet 2024

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Church of the Mother of Divine Providence, Vao, Isle of Pines, New Caledonia, South Pacific//VWPICS_VWPICS011617/1905241047/Credit:Andre Seale / VWPics/SIPA/1905241050

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Nouvelle-Calédonie : le virage anti-chrétien des indépendantistes

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Les indépendantistes kanaks ont incendié plusieurs églises et développent un discours anti chrétiens qu’ils n’avaient pas auparavant. C’est une chose nouvelle, qui témoigne d’une radicalisation de la lutte indépendantiste et d’une influence étrangère qui se sert d’eux pour déstabiliser la France.

Dans l’indépendantisme kanak, en Nouvelle-Calédonie, il y a des choses qui ne surprennent pas les observateurs de longue date : l’une d’elles est la nature apparemment suicidaire de certaines de leurs actions, comme de détruire les infrastructures communes et les services publics de l’île, dont ils dépendent pourtant plus encore que les autres communautés. Les morts qui ont déjà été causées, et vont l’être plus encore dans les semaines et les mois à venir, par l’empêchement des soins sur l’île seront aussi, et peut-être surtout, des morts kanakes. Mais la culture autochtone n’a pas le sens de la projection dans l’avenir que peuvent avoir les Occidentaux (il n’existe ainsi pas de mot dans les langues kanakes pour dire « après-demain »). La chose est donc irrationnelle, mais pas surprenante.

Incendies d’églises : une nouveauté

D’autres, en revanche, surprennent. Il en va ainsi d’un développement qui nous paraît radicalement nouveau depuis une semaine : les incendies d’églises. Les images sont tellement spectaculaires et symboliques qu’on s’en est ému jusqu’en métropole.

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L’église de Saint-Louis au Mont-Dore notamment, berceau de la mission catholique en Nouvelle-Calédonie, a été détruite par les flammes le 16 juillet. Au moins quatre autres incendies, tous d’édifices catholiques, ont été recensés. Ces actes n’ont pas même besoin d’être revendiqués tant le crime est signé : il s’agit des indépendantistes – ou faut-il désormais dire des indépendantistes ultra ? – de la CCAT, la cellule de coordination des actions de terrain, fondée en novembre dernier et dont le président est actuellement en détention provisoire au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, en Alsace.

Le message implicite est évident : l’Église catholique, mais tout aussi bien sans doute les églises protestantes, font partie du clan « colonial », celui qu’il convient donc de mettre à bas. Ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas de juger de cette proposition d’un point de vue historique ou historico-théologique ; c’est de noter que jamais dans l’histoire de l’indépendantisme kanak (dont la plus grande figure, Jean-Marie Tjibaou, était d’ailleurs un prêtre catholique, réduit sur sa demande à l’état laïc afin de poursuivre son engagement politique) un tel argument n’avait été avancé, ni une quelconque haine anticatholique mise en avant.

Imprégnation chrétienne

À vrai dire, il est de notoriété commune que la société kanake est profondément christianisée, bien plus d’ailleurs que la société européenne de Nouvelle-Calédonie (même si dans toutes les sociétés ultramarines, la religion garde de manière générale une prégnance plus forte qu’en métropole). Que ce soit par les missionnaires protestants de la London Missionary Society ou les congrégations catholiques – notamment les maristes, originaires de Lyon – les tribus kanakes ont été évangélisées dès les années 1840 : avant donc l’arrivée du colonisateur français (1853).

Malgré quelques conflits locaux, il n’existe aucune trace historique d’une opposition de masse de la société kanake aux évangélisateurs français ou britanniques (dont l’arrivée précoce aux îles Loyauté est encore visible, par exemple dans la pratique du cricket). Toujours aujourd’hui, certaines messes célébrées dans le nord de l’île, en plein territoire autochtone, raviraient les amateurs de l’usus antiquior du rite romain, autant qu’elles les surprendraient. Il est vrai que pendant longtemps – la République n’aime pas le rappeler, mais c’est un fait – ce sont les Églises chrétiennes qui ont instruit les Kanaks : l’école républicaine était, elle, réservée aux Européens.

Que les indépendantistes se retournent aujourd’hui contre elles est donc extrêmement surprenant, d’autant que ceux-ci essayent dans le même temps de rallier les communautés polynésiennes à leur cause autour de l’idée d’un destin partagé, commun à tous les Océaniens de l’île. Or, les Wallisiens et Futuniens ont quasi-tous une identité catholique qui leur est chevillée au corps. Par ailleurs, les Églises d’Océanie ont toujours été, ces dernières décennies, des relais d’influence efficaces pour la cause décoloniale. S’attaquer à elles apparaît donc, là encore, suicidaire pour les indépendantistes kanaks. L’Église catholique, qui ne leur voulait strictement aucun mal, a bien été obligée de réagir à la destruction de ses édifices – en des termes, il est vrai, extrêmement mesurés, Mgr Calvet parlant de « bien triste nouvelle ».

Image : compte Twitter du P. Hugues de Woillemont, secrétaire général de la Conférence des évêques de France. L’église brûlée est celle de Saint-Louis au Mont-Dore, non loin de Nouméa. On notera que Mgr Calvet, archevêque de Nouméa, appartient à la congrégation des frères maristes, perpétuant ainsi le lien ancien entre la Société de Marie et la Nouvelle-Calédonie.

Il y a deux choses qu’on peut sans doute déduire sans plus attendre. Elles sont liées.

La première, c’est que le discours indépendantiste se radicalise dans une mesure jamais connue. La CCAT est désormais plus violente dans ses mots, et l’est au moins autant dans ses actes, que le FLNKS ne le fut aux pires heures des « événements » des années 1980 : on prendra pour seul exemple le récent discours de Daniel Goa, président de l’Union calédonienne, accusant l’« État colonial » français de « tortures » sur les militants indépendantistes, et les Européens de « peurs et [de] fantasmes, teintés de racisme » à l’égard des Kanaks. D’un point de vue loyaliste, ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, tant la cause indépendantiste semble ainsi s’auto-discréditer. Le discours qui peut séduire une jeunesse à l’abandon dans Nouméa, cherchant dans une forme de radicalité des mots et des actes un exutoire à son mal-être profond, a beaucoup moins de chance d’être pris au sérieux, ou reçu avec sympathie, par les parlementaires français – eux aussi pourtant, hélas, bien disposés à leur égard – ou par les différents acteurs régionaux.

Influence étrangère

La seconde, c’est que la trace d’une influence étrangère est évidente. On n’invente pas des éléments de discours aussi nouveaux, et aussi radicalement absurdes eu égard à sa propre histoire, en quelques jours. Au moment même où une délégation calédonienne se trouve de nouveau à Bakou pour signer un « Front international de libération des colonies françaises » (en 2024 !), la chose est là encore signée. La CCAT répète les éléments de langage que lui dictent ses maîtres azéris, eux-mêmes repris de vieux discours anticoloniaux sortis de leur naphtaline, et assimilant avec beaucoup d’ignorance les Églises chrétiennes au colonialisme européen.

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Ces incendies de bâtiments religieux sont à la fois révoltants sur un plan moral et spirituel, et affligeants au regard de ce que ceux-ci représentent pour le patrimoine historique et architectural de la Nouvelle-Calédonie. Le camp indépendantiste semble pris d’une ivresse (auto-) destructrice nouvelle.

À court terme, c’est une très mauvaise nouvelle. À moyen et plus long terme, cela pourrait sans doute contribuer à leur propre abaissement. Encore faudrait-il, toutefois, que les non-indépendantistes retrouvent dans le même temps une vision à long terme de ce que pourrait être la Nouvelle-Calédonie française.

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À propos de l’auteur
Eric Descheemaeker

Eric Descheemaeker

Eric Descheemaeker est professeur à l'Université de Melbourne

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