<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Référendum en Nouvelle-Calédonie. La France joue son avenir dans le Pacifique

2 juin 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Indépendantistes lors du référendum du 4 novembre 2018, Auteurs : JOB NICOLAS/SIPA, Numéro de reportage : 00882877_000005.

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Référendum en Nouvelle-Calédonie. La France joue son avenir dans le Pacifique

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Paris espère un deuxième succès sur la question indépendantiste en septembre. Une étape indispensable pour sauver la perle de son ancien empire colonial avant le dernier référendum de 2022.

Ce 11 octobre 2019 à l’hôtel de Matignon, Édouard Philippe clôture quinze heures de discussions entre les différents représentants des signataires des accords de Nouméa. Ce marathon, habituel pour qui connaît le maelström institutionnel local, a pour objet de fixer la date d’un second référendum sur l’indépendance ou le maintien de l’archipel calédonien dans la République française. La date est finalement fixée au 6 septembre 2020.

En général, l’évocation de la Nouvelle-Calédonie diffuse dans l’Hexagone un parfum rétro, typique des années 1980. Accords de Matignon présidés par Michel Rocard, assassinat du militant indépendantiste Éloi Machoro le 12 janvier 1985 ou prise d’otages dans la grotte d’Ouvéa entre les deux tours de la présidentielle de 1988, les « événements » comme on dit là-bas appartiennent davantage à l’histoire contemporaine qu’à l’actualité. Un musée retrace d’ailleurs l’épopée du mouvement kanak au centre culturel Jean-Marie Tjibaou de Nouméa. Un peu comme si, dans une forme de répétition de la guerre d’Algérie, la France avait défendu ses colons face à un mouvement indigène, à cela près que ces derniers sont devenus minoritaires et que Paris a tenu bon, en échange, il est vrai, d’une très large autonomie. Entretemps, les discrets soutiens à l’indépendance venus des voisins australiens ou néo-zélandais ont disparu. La Libye du colonel Kadhafi n’est plus là pour alimenter les caisses du FNKS. Les Nouvelles-Hébrides, aujourd’hui Vanuatu, devenues indépendantes en 1980, ont fait déchanter les espoirs indépendantistes. L’archipel voisin, anciennement sous condominium franco-britannique, a vu sa situation économique se détériorer rapidement et la population a commencé à émigrer, parfois jusqu’en Nouvelle-Calédonie. De quoi refroidir les ardeurs kanakes.

Plus de trente ans après les accords de Matignon et plus de vingt ans après ceux de Nouméa parrainés par Lionel Jospin, la Nouvelle-Calédonie est retombée dans l’oubli et l’indifférence de la Métropole. Oubli dont elle sort quelque peu à l’occasion de ses référendums couperets. Une période de vingt ans maximum avait été prévue pour régler la question de l’indépendance entre Calédoniens, ou sinon Paris prendrait les choses en main. C’est ce qui arrive en 2017. Le constat est sans appel : sans la Métropole, les communautés calédoniennes ne peuvent pas s’entendre entre elles. Matignon décide malgré tout de respecter les accords et d’imposer une série de référendums. La population locale voit alors poindre, avec soulagement, mais aussi appréhension, la fin d’un débat souvent violent entre loyalistes et indépendantistes.

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Transformations démographiques

S’il est probable que le résultat du 6 septembre 2020 soit semblable à celui du 4 novembre 2018 quand une nette majorité des suffrages s’étaient exprimés en faveur du maintien dans la France (56,67 %), il reste à espérer que le résultat final soit accepté par l’ensemble de la population en 2022, date du probable troisième et dernier référendum. Le soir de leur défaite de novembre 2018, les indépendantistes ont fêté dans la rue leur « victoire », ce qui augure mal de la suite. Qu’arrivera-t-il quand la question de l’indépendance sera officiellement clôturée ? Le mouvement « kanaki » va-t-il gentiment s’autodissoudre et se reconvertir dans le tourisme ? On peut en douter.

Depuis les années 1950, la population calédonienne a été multipliée par quatre et approche aujourd’hui des 300 000 personnes. Les Kanaks y sont minoritaires (39 %) et les Européens, aussi appelés Caldoches, sont quasiment à égalité avec les populations d’origines asiatique et océanienne (Walisiens, Javanais, Vietnamiens, autres Mélanésiens…) avec près de 30 % chacun. Or ces populations, venues initialement pour exploiter les mines, sont globalement regroupées au sud-ouest de la Grande Terre et sont très défavorables à l’indépendance, redoutant une mainmise des tribus kanakes sur les intérêts de l’archipel.

Le président Macron reçoit des chefs de tribus pour la plantation d’un arbre de bienvenue. Le short tee-shirt a remplacé le costume traditionnel.

Ces dernières ont habilement manœuvré pour circonscrire le corps électoral le plus possible, empêchant les populations récemment immigrées de pouvoir participer au référendum. Ainsi, 17 % du corps électoral a été évincé du scrutin référendaire (en majorité des Européens arrivés après 1994). Dans certaines tribus du nord, le vote pour l’indépendance avoisine les 100 % des inscrits… Philippe Gomès, député et président du principal parti de l’archipel, Calédonie Ensemble, estimait cependant au micro de la chaîne parlementaire LCP en mars 2018 que l’indépendance est « strictement impossible. Tous les scrutins ces vingt dernières années donnent les listes non indépendantistes majoritaires avec près de 60 % des voix et les listes indépendantistes avec 40 % des voix. Sur les 169 000 électeurs, on a 92 000 électeurs non kanaks et 77 000 électeurs kanaks. Le rapport de force est défavorable à ceux qui portent la revendication de l’indépendance. »

Le scrutin de 2018 lui a donné raison, mais l’écart n’a pas été aussi net qu’annoncé. Surtout, la consultation a confirmé la traditionnelle rupture entre les rives ouest et est de la Grande Terre. Moins peuplée, plus humide, la rive orientale a gardé ses structures tribales kanakes tandis que la rive ouest, plus sèche et plus agricole, est davantage peuplée d’Européens, d’Asiatiques et d’Océaniens. Quant à la capitale, située côté ouest, elle a voté en masse pour le maintien dans la République française. Paris n’assure plus que des pouvoirs régaliens et joue les arbitres. Le reste de l’administration et des leviers économiques a presque été entièrement délégué aux collectivités locales (provinces nord, sud et des îles ainsi qu’au gouvernement central de l’archipel). Mais cette autonomie est en trompe-l’œil : Paris est le créancier de la Nouvelle-Calédonie, car l’État-providence est bien resté avec ses juteuses dépenses sociales.

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L’indépendance ou la bourse

Attention cependant à l’excès de confiance. Bien que toujours improbable, il est évident qu’un résultat favorable à l’indépendance aurait des conséquences géopolitiques très négatives pour la France.

Cet archipel de 18 575 km2 (plus de deux fois la Corse) n’est pas seulement prisé pour ses réserves minières, en particulier de nickel (25 % des ressources mondiales, mais seulement 10 % des réserves). Dans le sud, l’exploitation de divers métaux et en particulier du cobalt nourrit de nombreux espoirs, car son cours est plus élevé. La Société Le Nickel (SLN), filiale du géant minier Eramet, est aussi le premier employeur de l’archipel. Mais ce n’est pas tout, la beauté des paysages calédoniens et la douceur de son climat, les fonds marins, le tourisme de croisière et les hôtels de luxe attirent une riche clientèle australienne ou japonaise. Mais surtout sa ZEE (zone économique exclusive) s’étendant sur 1,74 million de km2 est l’équivalente de cinq fois celle de la Métropole. Cette position, renforcée par ses possessions à Wallis-et-Futuna et en Polynésie, fait de la France une grande puissance du Pacifique. Certes, cette puissance n’est pas exercée, mais le potentiel demeure. Il contribue à faire de la France une puissance mondiale pour un coût relativement acceptable. L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont désormais des alliés inclus avec la France dans une grande stratégie indopacifique, dirigée par les États-Unis, dans le but de contenir la Chine sur le continent asiatique. Les puissances occidentales du Pacifique se souviennent qu’en 1942, la Nouvelle-Calédonie a été une tête de pont importante pour la reconquête par l’armée américaine des îles occupées par le Japon. Or dans les micro-nations ou territoires océaniens, l’influence chinoise se fait de plus en plus envahissante. La Chine est la première consommatrice de nickel au monde et il ne se passe pas un mois sans que la presse calédonienne se fasse l’écho d’un scandale économique au cours duquel des chefs d’entreprise ou des fonctionnaires sont mis en cause. Pour la France, comme pour les États-Unis, la décolonisation du Pacifique n’est plus une option. Après 2022, le réveil chinois sera quoi qu’il arrive le principal défi stratégique de la Nouvelle-Calédonie.

À propos de l’auteur
Hadrien Desuin

Hadrien Desuin

Ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, Hadrien Desuin est membre du comité de rédaction de Conflits.

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