En visite à Paris, le Premier ministre néo-zélandais aurait suggéré à Emmanuel Macron de traiter la Nouvelle-Calédonie comme les îles Cook. Pourtant, les deux dossiers sont bien différents.
Nous nous étions demandé, lors de notre récente venue à Nouméa, pourquoi divers interlocuteurs calédoniens se mettaient à nous parler des îles Cook, dont nous n’aurions pas cru qu’elles soient davantage connues en Nouvelle-Calédonie qu’en métropole. Il semblerait que la raison soit la suivante : en visite il y a peu à Paris, le Premier ministre néo-zélandais aurait déposé une note sur le bureau du Président de la République les recommandant comme modèle de « solution » pour le « problème » calédonien (M. Macron, selon les mêmes sources, se serait dit intéressé).
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Les îles Cook : un État associé
Pour rappel, les îles Cook sont un archipel d’une quinzaine d’îles situé à environ 3 500 km au nord-est de la Nouvelle-Zélande. Peuplées de quelque 15 000 habitants (chiffre en chute libre), à plus de 80% polynésiens, elles furent formellement annexées par les Britanniques en 1900 puis confiées à la responsabilité d’une colonie plus grande, la Nouvelle-Zélande. Depuis 1965, les îles Cook sont ce qu’on appelle généralement un « État associé » à cette dernière : souveraines, elles délèguent de manière révocable à tout moment l’exercice de leurs compétences régaliennes à leur ancienne puissance coloniale[1].
Comme la Nouvelle-Calédonie aujourd’hui, elles ont un modicum de compétences, plus apparentes que réelles, en matière de relations internationales. Elles siègent par exemple, elles aussi, au Forum des îles Pacifiques.
La Nouvelle-Calédonie n’est pas un État associé
On désespère de devoir rappeler des évidences, mais l’État associé n’est pas, n’a jamais été et ne pourra jamais être une forme institutionnelle viable pour la Nouvelle-Calédonie. Elle n’est qu’un moyen, assez peu sophistiqué, il faut le dire, d’essayer de contenter tout le monde (l’indépendance pour les indépendantistes, l’association avec la France pour les non-indépendantistes). Nous l’avons dit et redit, mais non seulement un « État associé de Nouvelle-Calédonie » n’a aucun intérêt pour la France, puisque cela consiste pour elle à payer pour se faire mettre dehors, mais il n’est absolument pas envisageable dans les faits. Il n’est pas possible pour l’administration d’un État d’appliquer la volonté d’un autre État.
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Même aux îles Cook, cela ne fonctionne pas
But look at the Cook Islands, répondrait M. Luxon. It works ! En réalité, ça ne marche absolument pas – ou pour le dire différemment, si ça « marche » c’est uniquement parce qu’il ne se passe rien ou presque sur ces îles. Le rôle de l’administration néo-zélandaise se réduit, pour l’essentiel, à distribuer des certificats de naissance en utilisant un autre tampon. C’est parce que rien d’important ne se passe qu’aucune des questions insolubles propres à l’État associé n’a à être résolue, et que donc ces îles peuvent cheminer cahin-caha à l’ombre de leur protecteur.
Absolument aucune des problématiques de la Nouvelle-Calédonie ne se pose là-bas, à commencer par l’existence d’une très large population d’origine européenne (ou, plus largement, non autochtone) ; un mouvement indépendantiste puissant et violent ; la si spécifique culture mélanésienne ; le nickel ; les Chinois lorgnant sur une situation géostratégique exceptionnelle (comme d’ailleurs les Australiens), etc. Si on devait comparer la relation des îles Cook à la Nouvelle-Zélande, ce serait plutôt avec celle entre les îles Loyauté et le reste de la Nouvelle-Calédonie (on l’oublie souvent, mais ces îles ont elles-mêmes une singularité très importante comparée à la Grande Terre, y compris la Province Nord).
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La Nouvelle-Zélande a renoncé à toute puissance
On comprend évidemment pourquoi M. Luxon pousserait pour cette solution. D’abord, bien sûr, cela lui permet de prendre une petite revanche sur la France : en comparant les îles Cook à la Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Zélande à la France, il parvient à humilier d’un coup les deux, comparant un État de cinq millions d’habitants quasi sans armée à un pays d’envergure mondiale, et de micro-îles dont la seule « industrie » connue est l’évasion fiscale grâce à des trusts offshore, à une terre contenant un quart des réserves mondiales de nickel.
Revanche sur quoi ? Le Rainbow Warrior bien sûr, mais peut-être surtout le fait que la France n’ait pas renoncé à une certaine volonté de puissance, chose insupportable pour des gens qui ont tout abdiqué. C’est bien sûr de là que vient leur agressivité envers les essais nucléaires français à presque 5 000km de leurs côtes, eux qui n’ont jamais objecté aux essais de leurs maîtres coloniaux britanniques à Maralinga, à 4 000km d’Auckland. Hypocrisie, quand tu nous tiens.
Ensuite et peut-être surtout, une Nouvelle-Calédonie associée à la France est un rêve éveillé (a wet dream) pour la Nouvelle-Zélande, comme d’ailleurs pour son tuteur australien. Pourquoi ? Parce que cela veut dire deux choses. En un sens, la France reste – en tout cas à moyen terme. Les FANC restent sur place, toute l’administration française aussi. Le pays ne s’effondrera pas comme le Vanuatu après l’indépendance des Nouvelles-Hébrides, et la Chine restera à l’écart pour un temps. La France, pourtant mise dehors en termes de présence souveraine, continue à défendre la région et sa stabilité contre l’ogre chinois qui fait si peur à nos gouvernants.
Mais en même temps, la France ayant perdu le pouvoir de décision, la Nouvelle-Zélande (comme l’Australie ou les autres) pourra négocier directement avec le nouveau gouvernement « kanakien » (indépendant, donc indépendantiste, donc issu du FLNKS…). On n’imagine que trop aisément ce gouvernement, convaincu semble-t-il qu’il pourrait « négocier ses interdépendances » – en réalité, vendre à la découpe à des intérêts étrangers ce qu’il aura hérité de la présence française – se faire avaler tout cru.
À l’Australie, il concèdera une présence militaire, d’abord temporaire puis permanente ; à la Nouvelle-Zélande divers intérêts économiques à la portée de ce pays, etc. Même si en théorie les termes de l’association entre la France et la Kanaky–Nouvelle-Calédonie pourraient exclure ces possibilités, il ne sera en pratique pas possible pour une France ayant perdu sa souveraineté de s’y opposer : le représentant de la République exprimera son mécontentement, et se verra raccompagné à la porte après une poignée de main. Et c’est ainsi que la France continuera à sombrer.
On peine à croire que M. Luxon puisse réellement croire que la Nouvelle-Calédonie soit « comme les îles Cook » : il teste, en réalité, la naïveté française (de fait, vu l’historique de notre pays dans la région, il aurait tort de se priver). On peine également à concevoir que M. Macron puisse réellement être « intéressé » par cette prétendue solution : espérons qu’il ne s’agissait que d’une formule de courtoisie avant de mettre la note à la poubelle. Pour le reste, il appartient aux Calédoniens de refuser cette idée et de demander à la Nouvelle-Zélande de cesser ses ingérences dans la politique d’un État qui demeure, que cela lui fasse plaisir ou non, souverain.
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[1] Juridiquement, l’acte fondateur de cette « indépendance-association » est la Constitution des îles Cook, entrée en vigueur le 4 août 1965. Formellement, il s’agit d’une loi du Parlement de Nouvelle-Zélande. Mais dans son article 41, il est indiqué que cette constitution peut être amendée par (et, implicitement, uniquement par) l’Assemblée législative des îles Cook, y compris dans ses dispositions fondamentales : à condition d’avoir été préalablement soumises à référendum, victorieux aux 2/3, les dispositions liant les îles Cook à la Nouvelle-Zélande peuvent être modifiées unilatéralement, y compris pour se déclarer indépendantes. Par ailleurs (art. 46), aucune loi néo-zélandaise postérieure à 1965 ne peut s’appliquer aux îles Cook sans l’accord express du gouvernement local.
Le juriste pourrait répondre qu’une loi de déclaration unilatérale d’indépendance des îles Cook devrait encore recevoir l’assentiment du haut-commissaire représentant le gouvernement de la Nouvelle-Zélande : certes, mais un principe méta-constitutionnel du droit néo-zélandais, comme d’ailleurs britannique, veut que le royal assent n’est jamais refusé simplement parce que le souverain n’aime pas le texte en question. Enfin, on pourrait arguer pour dire que les îles Cook ne sont pas réellement indépendantes du fait que tout le dispositif juridique du Cook Islands Constitution Act 1964 pourrait être abrogé unilatéralement par la Nouvelle-Zélande. C’est vrai sur le papier, mais ça n’a pas plus de réalité politique que de dire que la France pourrait revenir sur l’indépendance qu’elle a octroyée autrefois à ses anciennes colonies : c’est vrai… en théorie !