« Nous travaillons à un couloir Asie-Europe qui passerait par l’Azerbaïdjan » Entretien avec Leyla Abdullayeva, ambassadrice d’Azerbaïdjan en France.

24 janvier 2023

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : L'Arménie et l'Azerbaïdjan (c) Wikipédia

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« Nous travaillons à un couloir Asie-Europe qui passerait par l’Azerbaïdjan » Entretien avec Leyla Abdullayeva, ambassadrice d’Azerbaïdjan en France.

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Au cœur de l’actualité ces dernières années, l’Azerbaïdjan poursuit des projets ambitieux. Guerre au Haut-Karabagh, accords énergétiques avec l’Europe, intégration de l’OTAN, Leyla Abdullayeva, ambassadrice d’Azerbaïdjan en France, répond à nos questions.

Note de la rédaction : fidèle à son Manifeste pour une géopolitique réaliste, Conflits présente à ses lecteurs les différents points de vue existants. Sur un sujet aussi sensible que le Karabagh, il est essentiel de connaître les arguments de l’Azerbaïdjan. C’est pourquoi Conflits a réalisé cet entretien afin que les arguments de chacun des parties puissent être connus et analysés.

Pour compléter l’analyse, vous pourrez lire l’entretien réalisé avec l’ambassadeur d’Arménie en France et cette analyse actualisée de la situation de l’Arménie entre Russie et Turquie.

On parle du corridor de Latchin comme la seule voie d’accès qui relie l’Arménie et Khankendi avec le reste du Karabakh. La condition pour récupérer le district de Latchin était de construire une autre route. Où en est sa construction ?

L’accord tripartite de novembre 2020 prévoyait une deuxième route, que nous avons déjà construite. Selon l’accord, la construction de cette route, qui assure la communication entre le Karabakh et l’Arménie, était planifiée sur trois ans, mais nous l’avons terminée au mois d’août 2022, donc en deux ans. Il s’agit d’une route qui contourne la ville de Latchin. Pendant sa construction, nous avons veillé au dialogue positif avec les Arméniens locaux du Karabakh concernant des questions d’itinéraires.

Pourquoi la route de Latchin n’est-elle toujours pas ouverte alors que les travaux sont terminés depuis quatre mois ?

La nouvelle route est prête, et elle est désormais fonctionnelle. Le contingent russe de maintien de la paix est relocalisé dans la nouvelle route.

On entend parler d’un blocage du corridor principal de Latchin. Qui bloque cette route ?

Une grande majorité de l’information qui circule au sujet de cette route est fausse. La route n’est pas bloquée ! Des camions y circulent, il y a aussi beaucoup de vidéos des gardiens de la paix, des véhicules de la Croix-Rouge qui circulent librement. L’Azerbaïdjan a même créé des hotlines afin de permettre à la population arménienne de téléphoner en cas d’urgences. Le gouvernement d’Azerbaïdjan communique vraiment sur le fait que nous sommes là si besoin, nous sommes là pour aider, nous sommes prêts à répondre à leurs besoins humanitaires.

Il y a en fait des manifestations organisées par les écologistes contre les activités illégales, militaires et commerciales, y compris l’utilisation de la route de Latchin, pour l’exploitation illégale des ressources naturelles avec des conséquences graves sur l’environnement.

L’accord tripartite mentionne que la route de Latchin doit être utilisée à des fins humanitaires. De plus, le paragraphe 6 mentionne que « La République d’Azerbaïdjan garantit la sécurité de la circulation des citoyens, des véhicules et des marchandises dans les deux sens le long du couloir de Latchin ». Or, nous avons pu observer ces deux dernières années que l’Arménie a utilisé cette route pour transporter des armes, des militants et des mines terrestres sur le territoire de l’Azerbaïdjan.

Nous avons découvert récemment sur le sol azerbaïdjanais plus de 2 700 mines produites en Arménie. Elles ont nécessairement été produites en 2021, après la signature de l‘accord tripartite. La route de Latchin étant la seule voie qui relie nos deux pays, il est évident qu’elle a été utilisée pour transporter ces mines sur notre sol à dessein d’empêcher le retour des populations azerbaïdjanaises déplacées de ce territoire.  Après l’occupation arménienne de 1994, des centaines de milliers d’Azerbaïdjanais avaient été déplacées de ce territoire. Nous avons l’intention de reconstruire cette région le plus tôt possible pour que les gens puissent revenir sur leur terre. Plus de 3 milliards de dollars du trésor gouvernemental ont déjà été investis. Évidemment, l’Arménie n’apprécie pas la situation post-conflit, alors pour empêcher le retour de ces personnes, elle continue d’envoyer des armes, des militants et des mines sur le territoire Azerbaïdjanais.

Vous parlez des militants écologistes. Cependant, des doutes subsistes quant à la nature véritable de ces militants. Ne sont-ce pas plutôt des militants politiques qui agissent sous couvert d’écologisme ? Ont-ils reçu l’autorisation de manifester ?

Ce n’est pas le gouvernement qui a envoyé ces écologistes, même s’il n’y a pas beaucoup d’écologistes qui vivent à Choucha. Ils viennent de partout, de Bakou comme d’autres lieux en Azerbaïdjan, avec l’autorisation de manifester. Chaque jour, il est possible de voir des vidéos de la circulation, encore une fois, il n’y a pas de blocage. Ce sont des manifestations pacifiques. Pendant le dernier mois, 644 véhicules de la Croix rouge, du contingent russe et des Arméniens locaux sont passés dans les deux sens de la route.  Mais depuis que les manifestations ont commencé, évidemment la route ne peut pas être utilisée pour des transports illégaux des mines et des armements.

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Le président azerbaïdjanais et le président arménien se rencontrent assez régulièrement, mais cela donne l’impression que les négociations n’avancent pas beaucoup. Où en sont les discussions, et quel est l’objectif de l’Azerbaïdjan ?

Après la fin des hostilités et la signature de l’accord tripartite, l’Azerbaïdjan a pris l’initiative d’une normalisation des relations avec l’Arménie. Notre pays a aussi proposé la signature d’un traité de paix, ce qui n’était pas une décision facile quand nous avons découvert la destruction massive du patrimoine avant-guerre. Je précise ce point, car il est important que tout le monde ait une idée claire que ce n’était pas évident pour l’Azerbaïdjan, le lendemain de la signature de l’accord tripartite, de parler aussi vite d’une signature de paix entre nos deux pays.

Par la suite, les dirigeants de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie se sont rencontrés quelques fois au cours des deux dernières années dont les rencontres avec la participation du président du Conseil européen Charles Michel. Les dernières rencontres des dirigeants sont organisées à Bruxelles, à Prague et à Sotchi.

L’année dernière, les deux pays étaient près d’aboutir à un traité de paix. Malheureusement, à chaque fois que nos deux pays sont proches de signer un accord, un évènement (des provocations arméniennes) empêche la signature. Par exemple, au mois de septembre, la situation s’est tendue à la frontière azerbaïdjanaise / arménienne. Des Arméniens prévoyaient de poser des mines en Azerbaïdjan, c’est pourquoi nous avons réagi à cette agression en prenant des hauteurs stratégiques à la frontière non délimitée, ces hauteurs qui ont été utilisées par les Arméniens pour cibler les civils azerbaïdjanais.

La position de l’Azerbaïdjan est celle-ci : protéger notre intégrité territoriale, et nous sommes prêt-à-signer le traité de la paix avec l’Arménie. Nous voyons les Arméniens qui habitent aujourd’hui à Khankendi comme des citoyens de l’Azerbaïdjan, et c’est la Constitution de la République d’Azerbaïdjan qui leur garantit des droits et des libertés comme à tout autre citoyen du pays.

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Vous évoquez les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Europe ainsi que le rôle médiateur de Charles Michel. Le sujet du gaz et plus généralement de l’énergie est l’un des points essentiels du rapprochement de l’Europe avec votre pays. Quel est aujourd’hui l’état des relations commerciales ?

Il y a trois gazoducs sur notre projet Southern Gas Corridor : le premier relie l’Azerbaïdjan à la Géorgie (« Southern Gas Pipeline »), le deuxième va vers la Turquie (« TANAP, Trans-Anatolian »), et le troisième, européen (« TAP »), se dirige vers la Grèce, la Bulgarie, l’Albanie et l’Italie. Les opérations du TAP ont commencé il y a deux ans. Ce gazoduc a déjà exporté 19,4 milliards de m3 en deux ans.

Au mois de juillet dernier, nous avons signé un accord stratégique avec l’Union européenne. Notre intention aujourd’hui est de doubler notre export de gaz vers l’Europe tout en gardant le même volume exporté vers la Turquie. L’objectif est de passer à 20 ou 22 milliards de m3 par an. Nous avons aussi signé un accord concernant l’énergie verte. La mer Caspienne nous offre un potentiel important dans le renouvelable qui, selon les experts, serait la deuxième zone à potentiel d’énergie verte après la mer du Nord.

Vous allez donc produire plus d’électricité renouvelable, avec la possibilité d’exporter. Le gaz économisé dans la production vous permettra donc d’en acheminer plus vers l’Europe ?

Pour l’Europe, nous avons déjà signé un accord le 17 décembre 2022 avec la Géorgie, la Roumanie et la Hongrie. Cet accord concerne l’énergie électrique, dans lequel l’Azerbaïdjan prévoit d’exporter vers l’Europe (Roumanie, Hongrie, Bulgarie, mer Noire). Même si les travaux vont durer entre trois et quatre ans, cela nous fait au moins un accord de signé, en doublant dans un même temps nos exportations de gaz. Les investissements de l’Union européenne permettent la réalisation de ces projets, et développent le potentiel renouvelable de notre pays.

Ce rapprochement avec l’Europe grâce aux accords énergétiques est significatif d’une volonté d’ouverture à notre région. Avant d’être à Paris, vous étiez en poste à l’OTAN. Selon vous, est-ce qu’une adhésion de l’Azerbaïdjan à l’OTAN est quelque chose d’envisageable ?

Effectivement, à l’époque je travaillais pour notre représentant à l’OTAN, et par la suite à Bruxelles au sein de notre mission à l’Union européenne.

L’Azerbaïdjan n’a pas l’intention d’être membre de l’OTAN. Il existe un partenariat avec l’OTAN signé en 1994. Nous sommes devenus membres du projet « Partnership for Peace » de l’OTAN. L’Azerbaïdjan mène un dialogue politique avec l’OTAN sur les questions d’intérêts communs. En tant que partenaire fiable, l’Azerbaïdjan a contribué aux opérations de paix de l’OTAN. Par exemple, l’Azerbaïdjan est un des premiers pays partenaires à être entré en Afghanistan avec des forces de l’OTAN, et un des derniers à l’avoir quitté. Mais nous sommes aussi membres des « pays non-alignés ». Ce mouvement représente 120 pays, et aujourd’hui l’Azerbaïdjan en assure la présidence. Si nous n’avons donc pas l’intention d’être membres de l’OTAN, nous voulons toutefois continuer notre partenariat solide avec l’organisation.

Vous mettez un soin particulier à entretenir de bonnes relations avec vos voisins (on ne parle pas de l’Arménie). Depuis quelques mois, la position de l’Iran vis-à-vis de l’Azerbaïdjan est complexe à lire. Les relations ont globalement été bonnes, mais Téhéran semble vouloir imposer une légère pression à la frontière depuis la guerre avec l’Arménie. Comment réagissez-vous à ces incertitudes ?

La politique étrangère de l’Azerbaïdjan est très simple : notre principale préoccupation est d’avoir de bonnes relations avec tous nos voisins. Il est vrai que récemment certaines déclarations d’officiels Iraniens n’ont pas été bien vues par l’Azerbaïdjan, et nous n’avons pas tellement compris les raisons de ces déclarations. Mais, nous avons toujours des relations coopératives avec Téhéran.

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Après la libération de la partie de notre frontière avec l’Iran qui était avant sous l’occupation de l’Arménie notre président, Ilham Aliyev, a lui-même déclaré que la frontière avec l’Iran était une « frontière d’amitié ». Cependant, nous avons vu des déclarations étranges de la part de Téhéran, des exercices militaires organisés à proximité de la frontière.  Nous posons alors la question pour quoi l’Iran n’organisait pas des manifestations militaires quand nos territoires étaient sous l’occupation ?

Vous savez l’accord tripartite définit l’objectif d’ouvrir un maximum de voies de communication dans la région, y compris relier la République autonome du Nakhtchivan et les régions occidentales de l’Azerbaïdjan. Cette ouverture est dans l’intérêt de tous les pays de la région. Sur ce point, l’Iran a eu aussi quelques déclarations un peu particulières envers l’Azerbaïdjan. Cependant, nous continuons évidemment à entretenir, dans nos relations officielles, des accords bilatéraux essentiels.

L’Azerbaïdjan mène la politique étrangère qui est fondée sur les principes fondamentaux du droit international et guidée par la coopération.  Nous profitons des bonnes relations bilatérales avec des pays voisins et nous voulons bien normaliser les relations avec Erevan, y compris la signature du traité de paix, la délimitation des frontières, et l’ouverture de toutes les voix de communications.

En règle générale, nous voulons bien normaliser la relation avec Erevan pour travailler sur des projets qui feront la prospérité de la région. Nous parlons déjà d’un couloir Asie-Europe qui passerait par l’Azerbaïdjan. Il existe un vrai potentiel pour les pays de ce couloir, car nous sommes une région de transit entre l’Asie et l’Europe. Le transport des biens à travers le Caucase est un projet gagnant-gagnant pour tous les pays de la région.

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