La guerre au Donbass dure depuis 2014 et a déjà fait des dizaines de milliers de victimes. Comme en Yougoslavie, l’Union européenne se révèle incapable de rétablir la paix sur son continent, dans des villes qui ont pourtant accueilli l’Euro de football en 2012. Washington et Moscou se partagent le leadership de l’Ukraine, reléguant les Européens au second plan, alors même qu’ils sont signataires des accords de Minsk II. Point d’étape sur la situation actuelle au Donbass où la paix semble bien loin d’advenir.
Nikola Mirkovic, président de l’association Ouest-Est, qui vient en aide aux victimes de la guerre du Donbass. Propos recueillis par Conflits
Votre association vient en aide aux victimes de la guerre du Donbass, conflit que vous suivez depuis le début. Aujourd’hui, quel bilan humain peut-on tirer de ce conflit qui a débuté en 2014 ?
Le bilan humain donne le vertige. On compte depuis 2014 plus de 13 000 morts, 30 000 blessés et un million de réfugiés. Des villages et des quartiers de villes entiers ont été dévastés. L’approvisionnement en eau et en électricité ou l’accès à des biens de première nécessité alimentaires, pharmaceutiques, etc. sont un problème majeur également. C’est une zone noire en pleine Europe du XXIe siècle.
Quelle est la situation militaire au Donbass ? La ligne de front est-elle stabilisée ? Les principales villes de la région sont-elles touchées par les bombardements et les affrontements ?
Nous sommes passés d’une guerre de mouvement à une guerre de position et on peut dire que la ligne de front est globalement stabilisée même s’il y a des incursions dans la zone grise des deux côtés de temps en temps. Certaines zones peuvent encore basculer d’un camp à l’autre, mais c’est rare. En revanche les combats continuent quotidiennement le long des quelque 400 kilomètres de ligne de front. Les quartiers Nord ou les premières villes périphériques des grandes villes comme Lougansk et Donetsk sont touchés, car ils sont sur la ligne de front. Mais si vous visitez les deux centres-villes, il vous est parfois difficile de deviner qu’il y a une guerre à quelques kilomètres.
Comment vit le Donbass par rapport à l’Ukraine ? Les relations sont-elles complètement coupées avec Kiev ou bien y a-t-il encore des liens politiques ou économiques ?
Le Donbass indépendantiste est organisé en deux républiques la République populaire de Donetsk (RPD) et la République populaire de Lougansk (RPL). Ces deux républiques ont proclamé leur indépendance suite aux événements du Maïdan et au coup d’État qui a renversé le président Ianoukovicth. Les habitants du Donbass ont voté leur autonomie par référendum et c’est à partir de ce moment-là que Kiev leur a déclaré la guerre. Dans le cadre des accords de Minsk II signés en 2015, il y a des négociations officielles entre les deux républiques et Kiev, mais elles n’avancent pas. Les liens économiques ont été stoppés suite à l’imposition d’un blocus par Kiev sur le commerce avec le Donbass. Les deux républiques se sont organisées en Etat et ont leur propre constitution, leurs propres administrations et même leurs propres armées. Elles ont tous les attributs d’un État régalien, mais ne sont pas reconnues par la communauté internationale.
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Qu’en est-il de la place de la Russie dans ce conflit ? Est-ce que Moscou intervient directement ou indirectement ?
Le Donbass est une région majoritairement russophone et qui a historiquement appartenu plus longtemps à la Russie qu’à l’Ukraine. Les relations avec la Russie sont donc importantes et les liens profonds. Moscou est d’autant plus concernée que la guerre se déroule sur sa propre frontière. Le Kremlin n’a pas pour autant envoyé son armée sur place contrairement à ce que certains médias ont laissé croire, ce sont des volontaires locaux qui se sont eux-mêmes organisés en armée. Moscou doit certainement apporter du conseil militaire et un soutien logistique, mais ça ne va pas plus loin que cela. Les États-Unis en revanche fournissent les militaires ukrainiens en armes, conseillent l’armée ukrainienne et envoient des soldats sur place officiellement pour assurer de la formation. Aussi Moscou a apporté énormément d’aide humanitaire et développe les relations commerciales avec les deux républiques.
Les républiques ont abandonné la hryvnia ukrainienne pour utiliser le rouble russe. Récemment Poutine a octroyé aux habitants du Donbass la possibilité d’obtenir la nationalité russe.
Le Donbass a-t-il la volonté d’être indépendant ou bien de rejoindre la Fédération de Russie ? Compte tenu de la dureté de ce conflit, est-il possible que le Donbass rejoigne l’Ukraine ?
J’y suis allé une petite dizaine de fois depuis cinq ans et je sens vraiment que les habitants veulent rejoindre la Russie. Cinq ans après l’Euromaïdan, la situation de l’Ukraine est catastrophique. Porochenko a ruiné le pays et n’a répondu à aucune des aspirations des Ukrainiens. Quand les habitants du Donbass voient cela, ils n’ont pas du tout envie de redevenir ukrainiens. C’est d’ailleurs la promesse du président de la RPD Pouchiline qui parle « d’intégration » avec la Russie. Le problème est que le Donbass est presque une épine dans le pied de Moscou. Si Moscou accepte une intégration de ces régions, elle sera accusée d’impérialisme comme pour la Crimée même si c’est la volonté réelle des habitants du Donbass. Comme ce sujet est justement très sensible il est possible aussi que le Donbass réintègre un jour l’Ukraine dans un modèle fédéral ou avec une large autonomie, Kiev garderait la tête haute et la Russie ne serait plus accusée de belligérance tout en gardant des amis proches au sein des institutions ukrainiennes capables de freiner un Kiev trop atlantiste. La dernière possibilité est le statu quo comme en Ossétie du Sud, en Transnistrie, en Chypre du Nord ou le Haut-Karabakh. En tout état de cause il est inenvisageable de concevoir l’avenir comme avant. Trop de sang a coulé pour imaginer une réintégration complète des régions indépendantes du Donbass dans le giron kiévien.
La guerre se déroule depuis cinq années, dans une grande indifférence des Européens. Peut-on espérer une fin prochaine du conflit et la reconstruction de la région ?
C’était un des thèmes principaux de la campagne du nouveau président ukrainien Volodymyr Zelensky, il faut voir maintenant comment il s’y prend et s’il arrive à dominer l’aile radicale de son armée soutenue par le Pentagone. Moscou a besoin de la paix sur sa frontière, mais elle ne peut pas laisser l’OTAN s’implanter sur son pas-de-porte. L’Europe est indifférente, car elle a laissé la manette à Washington qui est trop content de mettre la pression sur la Russie sur sa frontière occidentale. C’est dommage que l’Europe et notamment la France et l’Allemagne, signataires des accords de Minsk II, ne joue pas un rôle plus important. Les Européens n’ont pas besoin de nouvelles guerres sur leur continent ni que d’autres nations négocient en leur nom. Tant que Washington jouera la carte de la tension sur le grand échiquier cher à Brezinski il n’y aura pas de paix au Donbass ni en Ukraine.
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