Nigéria : élections et enjeux énergétiques

21 février 2023

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Photo : Le président sortant Buhari à Washington avec le secrétaire d'État américain John Kerry. Crédit : U.S. Department of State, Wikimedia commons

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Nigéria : élections et enjeux énergétiques

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Les élections présidentielles au Nigeria sont un enjeu pour l’avenir énergétique de l’Afrique, mais aussi des chrétiens qui y sont massacrés dans l’indifférence générale. 

Le 25 février se dérouleront les élections présidentielles au Nigeria. Muhammadu Buhari, l’actuel président du Nigeria, qui ne peut se représenter, n’a pas réussi à ramener la sécurité dans le pays ni à le redresser économiquement. Les deux principaux candidats en lice pour diriger le pays le plus peuplé d’Afrique, Atiku Abubakar et Bola Tinubu, font partie du système nigérian depuis des décennies et comptent parmi les plus riches du pays, ce qui n’augure rien de bon pour inverser la situation économique et sécuritaire désastreuse du pays. À moins qu’un troisième candidat — Pierre Obi — soutenu par la jeunesse ne crée la surprise.

Cela serait hautement souhaitable, car les 219 millions d’habitants — le pays le plus peuplé d’Afrique — se trouvent dans une situation peu enviable, mais surtout incompréhensible en regard des ressources naturelles du pays. Avec des réserves d’hydrocarbures très importantes, on est choqué de voir l’état dans lequel est plongée la population. Dans le domaine de l’énergie, on appelle cela la malédiction de l’excrément du diable. Ce terme technique a été inventé par un ancien ministre du pétrole vénézuélien qui regrettait que, malgré les revenus pétroliers, la population restât pauvre. En effet, la corruption et la pauvreté liées au pétrole sont courantes. Tous les pays n’ont pas une éthique norvégienne !

Un grand des hydrocarbures

Le Nigeria dispose d’importantes réserves de pétrole et de gaz. Ses réserves de pétrole s’élèvent à 37 milliards de barils, soit 2,1 % des réserves mondiales (à titre de comparaison, l’Asie-Pacifique n’en possède qu’un peu plus, 2,6 %). Avec 5500 milliards de mètres cubes de gaz naturel, le Nigeria détient 2,9 % des réserves mondiales (la Norvège n’en possède que 08 %). Ces comparaisons soulignent l’importance stratégique du pays. Au rythme actuel de production de gaz, le pays pourrait produire et surtout vendre du gaz pendant 110 ans. Son potentiel de croissance en fait un acteur majeur sur lequel les pays de l’OCDE peuvent compter si les sanctions contre la Russie devaient se prolonger. 

En octobre 2001, j’ai accompagné la vice-présidente de la Commission européenne, Loyola de Palacio, au 18e congrès à Buenos Aires, en Argentine. À cette occasion, nous avons rencontré le ministre algérien de l’Énergie, Chakib Khelil, qui nous a présenté l’idée originale et, à première vue, intéressante, de transporter le gaz du Nigeria à travers le Sahara jusqu’en Algérie pour qu’il puisse ensuite être acheminé vers l’UE. Étant donné le terrorisme de l’État islamique et le danger de la route à travers les zones désertiques difficiles à contrôler du Niger et de l’Algérie, qui allait investir une somme énorme ? Le projet a été abandonné, et à juste titre. 

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Mais l’Afrique, qui a compris qu’elle avait un besoin urgent d’énergies fossiles, s’organise et a décidé de produire son propre gaz et de le distribuer à sa propre population. En juillet 2022, les ministres de l’Énergie de l’Algérie, du Niger et du Nigeria ont signé un accord pour préparer la construction d’un gazoduc le long de l’océan Atlantique, long de plus de 6 000 km, pour transporter le gaz nigérien vers 13 pays d’Afrique de l’Ouest, dont les États enclavés du Niger, du Burkina Faso et du Mali. Il devrait apporter plus de cinq mille milliards de mètres cubes de gaz naturel à 440 millions de personnes. Pour le Maroc, ce projet est particulièrement important compte tenu des difficultés rencontrées avec son fournisseur historique, l’Algérie. 

L’indifférence face aux massacres des chrétiens 

Vous souvenez-vous qu’en 2014, l’organisation terroriste islamiste Boko Haram avait enlevé près de 300 écolières à Chibok, au Nigeria ? L’émotion était totale, personne n’est resté indifférent au sort de ces filles… pendant quelques mois. Au fil du temps, on n’a plus parlé d’elles, si bien qu’à part quelques-unes qui ont réussi à s’échapper, la majorité d’entre elles sont toujours dans les griffes des extrémistes musulmans qui règnent sur le nord du Nigeria. Entre-temps, elles sont très probablement devenues mères. 

Depuis lors, les massacres de chrétiens se poursuivent. Le Nigeria est le pays au monde où le plus de chrétiens sont tués à cause de leur foi. Un chrétien y est tué pour sa foi toutes les deux heures, soit près de 13 chrétiens par jour et 372 chrétiens par mois. Depuis juillet 2009, 43 000 chrétiens ont été assassinés et 18 500 ont été enlevés pour ne plus jamais être revus. Au cours de la même période, environ 17 500 églises et 2 000 écoles chrétiennes ont été brûlées et détruites. Les musulmans chiites et les témoins de Jéhovah sont également persécutés. L’organisation internationale « Portes ouvertes »  continue de dénoncer cette situation épouvantable et annonce que 5014 chrétiens ont été tués en 2022 au Nigeria et que des milliers ont fui !

L’indifférence aussi de Joe Biden 

Le site américain Gatestone vient de publier un article qui donne des détails effrayants sur le nombre de chrétiens massacrés. L’article dénonce l’attitude incompréhensible de l’administration Biden qui revient sur une décision de l’administration Trump. En décembre 2020, le secrétaire d’État américain de l’époque, Mike Pompeo, avait désigné le Nigeria comme un « pays particulièrement préoccupant ». Il s’agit d’une « liste noire » de pays qui commettent ou tolèrent des violations de la liberté religieuse particulièrement préoccupantes. Le 17 novembre 2021, l’administration Biden a retiré le pays de la liste sans donner d’explication. La Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF), une entité indépendante et bipartisane du gouvernement fédéral créée par le Congrès américain pour surveiller, analyser et rendre compte de la liberté religieuse à l’étranger, s’est insurgée contre cette décision. Il convient de noter que l’administration Obama — avec Joe Biden comme vice-président — n’avait pas non plus placé le pays d’Afrique occidentale sur la liste. Alors qu’Hilary Clinton a même refusé de désigner Boko Haram comme une organisation terroriste, l’administration Biden n’a pas osé le retirer de la liste établie par Mike Pompeo. 

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Serait-ce aussi pour des raisons inavouables liées à la production de pétrole et de gaz ? Pour plaire à la gauche de son électorat, l’administration Biden ne cesse de critiquer le pétrole au point de saboter sa propre production. Mais en même temps, elle cache la vérité : il n’est pas possible de se passer de pétrole. C’est un secret d’État de faire croire que grâce aux éoliennes et aux panneaux solaires, le monde n’a plus besoin de pétrole, de gaz et de charbon. Le pétrole doit donc être produit ailleurs, et il y en a beaucoup ailleurs. Y compris au Nigeria.

L’Arabie saoudite, qui n’entretient pas de bonnes relations avec Joe Biden, n’a pas voulu augmenter sa production de pétrole brut et a préféré trouver un accord avec la Russie, ce qui a profondément agacé l’Américain. En novembre dernier, lors de la COP27 à Sharm-el-Sheikh, le président Emmanuel Macron a été surpris en train de parler avec Nicolas Maduro, le président du Venezuela ; il lui a dit que « le continent [européen] est en train de se recomposer » et que nous avons besoin de parler. Quelques jours plus tard, Joe Biden a permis à Chevron de reprendre la production dans le pays qui était auparavant sous sanctions américaines.

Pourtant, il existe des moyens d’inverser cette inacceptable réalité 

Quelle que soit l’issue des élections présidentielles du 25 février, le Nigeria restera un producteur de pétrole et de gaz essentiel au fonctionnement de l’économie mondiale. Espérons que les bénéfices futurs et plus importants que par le passé seront partagés avec l’ensemble de la population, d’autant plus qu’ils en ont cruellement besoin. Malheureusement, dans un pays où la corruption est endémique, il est difficile de voir comment assurer cette répartition équitable et ainsi mettre fin à la « malédiction du pétrole ». Les grands dirigeants de ce monde devraient intervenir fermement auprès du nouveau président pour qu’il mette fin au massacre des chrétiens.

Si l’Union européenne avait eu une politique énergétique intelligente de production indigène d’hydrocarbures, elle aurait pu proposer des sanctions sur les exportations de pétrole et de gaz du Nigeria tant qu’il y aurait des massacres. Mais maintenant, en essayant de faire croire que les hydrocarbures ne seront plus nécessaires, elle se prive de cet argument diplomatique. Après tout, tout semble indiquer que pour Bruxelles-Strasbourg, sauver la planète est plus important que de mettre fin au massacre des chrétiens.

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À propos de l’auteur
Samuele Furfari

Samuele Furfari

Samuel Furfari est professeur en politique et géopolitique de l’énergie à l’école Supérieure de Commerce de Paris (campus de Londres), il a enseigné cette matière à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) durant 18 années. Ingénieur et docteur en Sciences appliquées (ULB), il a été haut fonctionnaire à la Direction générale énergie de la Commission européenne durant 36 années.

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