Sauvetages, restructurations et fusions. Où va le système bancaire espagnol ?

15 septembre 2020

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Sauvetages, restructurations et fusions. Où va le système bancaire espagnol ?

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            En 2008, le déclenchement de la crise économique révèle une grande fragilité du système bancaire mondial. La faillite de l’entreprise américaine Lehman Brothers le 15 septembre 2008 en est l’un des signes. Plusieurs États s’empressent de « sauver » les banques les plus touchées en leur injectant de l’argent public, que ce soit en France, en Italie, au Royaume-Uni ou en Allemagne. L’Espagne n’échappe pas au phénomène en raison de l’exposition de ses caisses d’épargne régionales (cajas de ahorros) à des prêts immobiliers (hipotecas) que les foyers ont de plus en plus de mal à rembourser. Nombre de citoyens perdent en effet leur emploi, ce qui multiplie le taux d’impayés (morosidad).

 

Crise et intervention de l’État

 

Extrêmement politisés[1], ces établissements peuvent opérer à partir de 1988 sur l’ensemble du territoire espagnol (et non plus seulement dans la communauté autonome où ils sont basés)[2]. Ils commercialisent par ailleurs des produits financiers douteux qui génèrent bien des polémiques. C’est le cas des actions de priorité (preferentes), qui s’avèrent être une fraude[3].

Ce mélange de corruption et de mauvaise gestion[4] ruine la confiance que les Espagnols ont dans leur système bancaire[5], d’autant qu’en 2010, les cajas de ahorros de notre voisin ibérique représentent environ 40 % du bilan de ses institutions financières et monétaires[6]. Elles accompagnent ainsi l’expansion du marché immobilier et de la consommation intérieure[7].

 

À partir de 2009, le gouvernement de José Luis Rodríguez Zapatero puis celui de Mariano Rajoy doivent donc affronter un scénario catastrophe qui impose une vaste restructuration du système bancaire (banca) espagnol. Le bal commence le 28 mars de cette année-là avec le rachat par l’État de Caja Castilla-La Mancha[8]. Il se poursuit jusqu’à aujourd’hui, fondamentalement à travers trois outils : les nationalisations, les fusions[9] et le placement des entités les plus fragiles sous le régime du SIP (« Systeme institutionnel de Protection »)[10].

Dans ce cadre, le pays peut compter sur la Banque d’Espagne et le FROB (Fonds de Restructuration ordonnée du Système bancaire), créé en juin 2009 afin de gérer les opérations d’assainissement. Une structure de défaisance (banco malo) dénommée SAREB (Société de Gestion des Actifs procédant de la Restructuration bancaire) apparaît de son côté en septembre 2012[11]. En juillet, l’UE crée le Mécanisme européen de stabilité (MES), dont l’objectif est de mieux coordonner la gestion des crises financières en son sein[12].

La concentration du marché bancaire

Dix ans plus tard, la Banque d’Espagne estime que le « sauvetage » de la banca nationale a coûté au contribuable 42,5 milliards d’euros. Elle ajoute que seuls 18 % de ces dépenses publiques pourront être récupérées à terme[13]. Certains établissements ont surpris par le coût exorbitant de leur restructuration, à l’instar de Bankia[14] et Catalunya Caixa[15].

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L’un des effets les plus frappants de cette refonte totale du système bancaire est la concentration (et, par conséquent, la réduction de la concurrence) qui s’ensuit. Les banques subsistantes tentent de gagner en rentabilité en dépit de la baisse des taux d’intérêt et d’un faible capital propre. La crise économique liée à la pandémie de coronavirus aggrave encore ces soucis. En août 2020, il ne reste outre-Pyrénées que onze banques ou caisses d’épargne d’importance : Santander[16], BBVA, CaixaBank, Bankia, Sabadell, Bankinter, Unicaja, Liberbank, Kutxabank, IberCaja et Abanca. Ce panorama contraste avec celui des années 2000, où l’on comptait plus de 60 établissements de ce type.

Et ça continue !

Dès 2019, pourtant, la Banque d’Espagne[17] incite à poursuivre lesdites fusions. Les soubresauts de l’année en cours aboutissent à un premier mouvement avec les discussions devant conduire à l’absorption de Bankia par CaixaBank[18]. Ces pourparlers pourraient déboucher sur un géant (plus de 20 millions de clients et 650 milliards d’euros d’actifs)[19]. L’entité ainsi fondée contrôlerait un tiers des plans de retraite d’Espagne[20]. De dix-huit compagnies à l’origine, l’on passerait à une seule grande banque qui serait la première sur le territoire national[21].

Quant à l’argent public investi, il risque de n’être que partiellement récupéré par les Espagnols[22]. De quoi créer un nouveau désaccord au sein de la coalition gouvernementale, les ministres d’Unidas Podemos n’ayant même pas été consultés à ce sujet par le chef de l’exécutif, Pedro Sánchez (PSOE)[23].

L’Europe en ligne de mire

Cette opération a des chances de précipiter d’autres fusions au sein de la banca espagnole – pourquoi pas entre BBVA et Sabadell ou entre Unicaja et Liberbank[24]. Mais l’idée pourrait aussi germer ailleurs en Europe, comme en Italie[25]. D’autres pays n’y couperont peut-être pas. Songeons à l’Allemagne, dont les grandes banques[26] et les caisses d’épargne[27] présentent des bilans préoccupants et dont l’aventurisme financier ne paye pas vraiment ces dernières années[28]

Notes

[1] La Torre, Francisco de, « La quiebra de las cajas politizadas y su coste », El Español, 31 décembre 2018.

[2] Morante, Pedro, « ¿Por qué quebraron las Cajas de Ahorro? », Estrategias de Inversión, 16 avril 2015.

[3] « El engaño masivo de las preferentes », El País, 13 septembre 2012.

[4] « La quiebra sistémica y delictiva de las cajas de ahorro », ADICAE, mars 2016

[5] « Un 70% de españoles califica al sector bancario de «pésimo o malo» por su pérdida de confianza, según LLYC », Europa Press, 23 mai 2019.

[6] Chastagneret, Gérard, « Banques, caisses d’épargne et politiques publiques – Une lecture historienne de la crise financière espagnole – L’Espagne toujours différente ? » in Revue d’économie financière, Paris : Association d’Économie financière, 2013, n° 110, pages 207-244 ; et Castillo, Jesús, « Le système bancaire espagnol : du mirage au désastre » in Revue d’économie financière, Paris : Association d’Économie financière, 2013, n° 111, page 141.

[7] Anzemberger, Claire et Poux, Carole, Précis de civilisation espagnole et ibéro-américaine – Du xxe siècle à nos jours, Paris : Ellipses, 2018, pages 129-132 ; et Klein, Nicolas, Comprendre l’Espagne d’aujourd’hui – Manuel de civilisation, Paris : Ellipses, 2020, pages 185-188.

[8] « El Banco de España interviene Caja Castilla-La Mancha », El Mundo, 29 mars 2009.

[9] C’est le cas, par exemple, de Caja España et Caja Duero, qui intègrent le nouveau groupe Caja España-Duero le 1er octobre 2010. Voir « Caja Duero y Caja España aprueban su fusión », Expansión, 5 juin 2010.

[10] C’est l’option choisie, par exemple, par Cajastur, Caja Castilla-La Mancha, Caja de Extremadura et Caja Cantabria, qui forment aujourd’hui Liberbank. Voir « Nace Liberbank con los activos de Caja de Asturias Extremadura y Cantabria », La Razón, 11 août 2011.

[11] « Sareb, solo con mayúscula en la inicial », Fundéu BBVA, 24 octobre 2012.

[12] Sayagh, Jacques, « C’est quoi, le Mécanisme européen de Stabilité ? », Ouest France, 9 avril 2020.

[13] Veloso, Moncho, « El Banco de España cifra en 42.561 millones el coste del rescate a la banca para las arcas públicas », ABC, 21 novembre 2019.

[14] Zuloaga, Jorge, « El Frob asume pérdidas de 45.000 millones en el rescate a la banca », El Confidencial, 20 décembre 2019.

[15] Álvarez, Rosa, « Catalunya Caixa, un rescate récord », El Periódico, 16 janvier 2017.

[16] Laquelle rachète Banco Popular en 2018. Voir « Banco Santander completa la absorción de Popular y el Pastor desaparece como entidad jurídica », 28 septembre 2018.

[17] Giménez, Óscar, « El Banco de España insta a la banca a más fusiones y a reforzar capital », El Confidencial, 2 avril 2019.

[18] García-Abadillo, Casimiro, « CaixaBank/Bankia: Fainé cumple su sueño », El Independiente, 5 septembre 2020.

[19] « La posible unión, en cifras: más de 20 millones de clientes en España y 650.000 millones en activos », Cinco Días, 5 septembre 2020.

[20] Moreno Mendieta, Miguel, « Bankia y CaixaBank controlarían el 33% del negocio de planes de pensiones », Cinco Días, 6 septembre 2020.

[21] Gonzalo, Ángeles, « De una pequeña firma local al mayor banco de España formado por 18 cajas », Cinco Días, 8 septembre 2020.

[22] Maqueda, Antonio, « Fusión Bankia-Caixabank: la recuperación del dinero público se antoja complicada », El País, 4 septembre 2020.

[23] Tadeo, Fernando, « CaixaBank-Bankia abre otra brecha en el Gobierno al tumbar el sueño de Iglesias de una banca pública », El Economista, 4 septembre 2020.

[24] Zuloaga, Jorge, « Banco Sabadell activa el plan B tras perder el tren de Bankia y Caixabank », El Confidencial, 7 septembre 2020.

[25] « Italia quiere replicar con MPS y antes de fin de año la fusión de Caixabank y Bankia », Cinco Días, 6 septembre 2020.

[26] Hauteville, Jean-Michel, « En Allemagne, triste anniversaire pour Deutsche Bank et Commerzbank », Le Monde, 9 mars 2020.

[27] Gries, Lothar, « IKB sauvée de la faillite grâce à une aide de l’État allemand », AGEFI, 14 février 2008.

[28] Thépot, Mathias, « Scandale Wirecard : la nouvelle preuve que la finance allemande n’est pas sérieuse », Marianne, 24 juin 2020.

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).
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