À l’issu d’une nouvelle crise politique en Italie, c’est Mario Draghi, ancien gouverneur de la BCE, qui a été chargé de former et de diriger le nouveau gouvernement italien. La tâche de l’homme de Bruxelles n’est pas simple : l’économie italienne est laminée et la situation sociale du pays est des plus instables.
Article de Nick Andrews, analyste financier. Parution originale : Gavekal. Traduction de Conflits.
Dites ce que vous voulez sur Mario Draghi, mais il n’est pas du genre à fuir ses responsabilités en cas de crise. Près de dix ans après avoir pris la tête de la Banque centrale européenne pour guider la zone euro dans sa crise de la dette, Draghi répond à nouveau à l’appel du devoir dans un moment difficile. Le président italien Sergio Mattarella lui a demandé de former un gouvernement et de prendre la relève en tant que Premier ministre après l’effondrement de la coalition précédente et la démission de Giuseppe Conte.
La formation d’une nouvelle coalition des partis de la résistance au sein du parlement italien sera un défi, même pour un technocrate très respecté et ostensiblement neutre sur le plan politique comme Draghi. S’il réussit, Draghi devra alors prendre en charge la réponse de l’État italien à une pandémie qui a jusqu’à présent coûté la vie à 89 000 citoyens. Dans le même temps, il doit maintenir la cohésion de son gouvernement pendant au moins les douze prochains mois afin d’éviter des élections anticipées. Ce ne sera pas une tâche facile, étant donné qu’il doit donner l’impression de poursuivre un programme de réformes structurelles pour obtenir des fonds de relance de Bruxelles, tout en évitant de parler de réformes controversées qui pourraient diviser sa fragile coalition.
Gouverner sans les grands partis
Mais s’il y a quelqu’un qui peut réunir une coalition efficace, c’est bien Draghi. Ses pouvoirs de persuasion sont formidables ; c’est lui, après tout, qui a convaincu la Bundesbank d’adopter l’assouplissement quantitatif. Sa difficulté à former un gouvernement sera que toute coalition qui n’inclue pas à la fois le mouvement 5 étoiles et la Lega dépend nécessairement du soutien d’une sélection disparate de petits partis et aura au mieux une mince majorité au Parlement.
Il est concevable que 5 étoiles et le Lega acceptent de collaborer ; ils ont formé une coalition sous Conte de juin 2018 à septembre 2019. Mais depuis lors, 5 étoiles a perdu de sa popularité, tandis que la Lega et ses alliés de droite des Fratelli d’Italia ont gagné ensemble. Aujourd’hui, malgré la pandémie, le leader de la Lega, Matteo Salvini, déclare qu’il préférerait une élection à la participation à une large coalition des partis.
L’avantage de Draghi, s’il tente de former une coalition sans la Lega, est que les partis du centre et de gauche – essentiellement ceux qui composaient la coalition Conte qui s’est effondrée en janvier – sont soucieux d’éviter une élection qui pourrait renforcer le pouvoir parlementaire de la Lega et de ses alliés. C’est en partie parce que dans 12 mois, le Parlement élira un nouveau président, et la dernière chose que la gauche et le centre veulent, c’est qu’un poste constitutionnel aussi important soit occupé par le choix de populistes eurosceptiques de droite.
La voie la plus probable de Draghi sera donc d’essayer de reconstituer la coalition qui a échoué le mois dernier. Ce sera délicat, étant donné que l’argument qui a divisé le groupement était centré sur la manière dont l’Italie devrait dépenser la somme de 209 milliards d’euros qu’elle est en droit de recevoir au cours des prochaines années du fonds de relance Covid de l’Union européenne. En bref, la coalition s’est effondrée lorsque l’ancien Premier ministre et ardent réformateur Matteo Renzi s’est retiré. M. Renzi avait demandé plus de transparence et de contrôle des dépenses, ainsi que plus d’argent pour l’éducation, conformément aux directives de Bruxelles. Conte et ses ministres ont résisté à l’appel à la surveillance, tandis que le groupe 5 étoiles, aux tendances eurosceptiques, a rejeté ce qu’il considère comme un respect servile de la conditionnalité de Bruxelles.
S’il veut ressusciter et maintenir la coalition en vie tout en obtenant des fonds de l’UE, Draghi doit marcher sur une corde raide. Rome doit présenter son plan de « relance et de résilience » à Bruxelles d’ici avril afin d’obtenir son premier versement de 21 milliards d’euros. Ensuite, le gouvernement italien est censé respecter une série de « jalons » afin de garantir le versement des tranches suivantes. La nature exacte de ces étapes n’est pas claire, mais Bruxelles a laissé entendre qu’elles devraient être conformes aux objectifs de réforme convenus précédemment dans le cadre du budget 2014-20 de l’UE.
L’Italie sous la tutelle de l’argent européen
Pour le gouvernement italien, cela signifierait le dépôt de réformes controversées, notamment en ce qui concerne les systèmes fiscaux et de retraite. Ces réformes seraient plus que susceptibles de faire tomber la coalition, tout comme le gouvernement technocratique de Mario Monti a finalement été renversé en 2013.
Draghi a certains avantages sur Monti, qui a tenté de faire passer des réformes structurelles douloureuses alors même qu’il était contraint d’imposer l’austérité imposée par Bruxelles. Cette fois-ci, il n’y a aucune perspective d’austérité à court terme. Néanmoins, la probabilité que Draghi ou tout autre premier ministre puisse faire avancer des réformes structurelles significatives sans diviser sa coalition gouvernementale semble mince.
La solution la plus probable pour Draghi serait alors de présenter un certain nombre de réformes symboliques et sans division dans son pays, tout en déployant ses pouvoirs de persuasion considérables à Bruxelles pour convaincre l’UE de n’exiger que la conditionnalité la plus légère possible pour le versement des fonds de relance, c’est-à-dire de ne demander que des déclarations d’intention de réforme à long terme.
Même dans ce cas, M. Draghi aura la lourde tâche de reconstruire l’économie italienne touchée par la pandémie. Le PIB italien s’est contracté de 2% au quatrième trimestre 2020, une performance plus faible que celle de la France (-1,7 %), mais bien pire que la contraction de 0,7 % de l’économie de la zone euro dans son ensemble. L’Italie, dont le ratio dette/PIB avoisine désormais les 160 %, a donc grandement besoin des fonds européens promis, qui pourraient représenter 12% du PIB de 2019 sur cinq ans. Si M. Draghi parvient à mettre en place une coalition durable et à obtenir des fonds non grevés par une conditionnalité qui sème la discorde, il méritera le titre de maestro.