Néandertal à la plage

6 mai 2024

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Néandertal à la plage

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Une mise à jour des découvertes récentes sur l’homme de Néandertal pour comprendre les origines de l’homme et son développement sur la planète.

Sylvana Gondoni et Jean François Mondot, Néandertal à la plage. Nos frères disparus dans un transat, Dunod éditions, 2024, 15,90€.

Derrière un titre plutôt accrocheur, qui conduit d’ailleurs à visualiser une famille de néandertaliens installée sur la plage de Valras, on trouve un ouvrage de « vulgarisation » d’excellente facture et surtout remarquablement plaisant à lire.

Pour être clair, je suis toujours fasciné par le travail des paléo-anthropologues, que l’on appelait aussi plus simplement les préhistoriens, et par leur capacité à nous projeter vers un passé lointain, celui de nos ancêtres, tout en nous les rendant particulièrement proches.

Les techniques scientifiques modernes ont contribué à remettre en cause la vision que l’on pouvait avoir de cet homme de Néandertal, frustre, poilu, avec un menton prognathe, bref un sauvage. L’Homo sapiens est venu mettre de l’ordre dans tout cela, en faisant disparaître cette espèce de primitif ! Néandertal est en réalité un proche parent, un écologiste avant l’heure, une sorte de hippie qui nous a fait oublier le yéti du passé.

Découvertes scientifiques

Comme souvent, les effets de mode conduisent à l’exagération, et si cet homme de Néandertal à de nombreux traits communs avec les Européens d’aujourd’hui, il semble bien différent, comme le révèle la science.

La première découverte de ces vestiges date de 1856, dans la vallée allemande du Néander. Thal fit vallée, ce qui explique la dénomination qui en est issue. Cette découverte a suscité des interprétations très variables, le vestige originel a été considéré très sérieusement comme « un malade », « un celte dégénéré », tandis que les jambes arquées de premier squelette étaient sans doute liées à sa pratique de l’équitation. Le professeur Herman Shaffhausen a été le premier à défendre la thèse de l’homme archaïque, ce qui lui a suscité bien des critiques.

Néandertal doit être vu aujourd’hui comme un allié contre les obscurantismes qui rejettent la théorie de l’évolution. Charles Darwin est intervenu deux ans après cette première découverte, et encore aujourd’hui il peut susciter l’opprobre de certains fondamentalistes chrétiens tout comme certaines catégories d’islamistes qui restent attachés au dessein créationniste. C’est dire si aujourd’hui cet ouvrage relèverait quasiment de l’utilité publique. Car pour rendre cette découverte du milieu du XIXe siècle intelligible, il faut se défaire de cette version biblique de l’histoire du vivant pour adopter une grille de lecture donnant le premier rôle à l’évolution et à la transformation des êtres. Les travaux publics qui accompagnent la révolution industrielle favorisent, avec des extractions de carrières, la multiplication de découvertes. Honneur aux anciens mais Cro-Magnon, premier ancêtre d’Homo sapiens est découvert plus tardivement, en Dordogne, en 1868.

Pour autant, il existe un préjugé qui perdure, celui de la brute épaisse, tout comme son arcade sourcilière, en raison de la proximité que l’on croit pouvoir observer, notamment dans les travaux de Marcelin Boule, qui étudie le premier néandertalien français trouvé en Corrèze, en 1908. Cet homme était pourtant enterré, mais les préjugés que l’on qualifierait aujourd’hui de racistes, cherchent à hiérarchiser les espèces entre elles. Le Néandertal se situe donc entre l’homme de Java et l’Homo sapiens, on n’oserait pas dire aujourd’hui de type européen, d’autant que sapiens sapiens vient d’Afrique. Paradoxalement Néandertal est assimilé aux « races africaines », alors que la génétique nous a appris que ces soi-disant singes n’étaient pas si éloignés que cela de nos amis scandinaves, tels que l’on peut se les représenter.

Différents détails anatomiques, notamment au niveau du crâne, entretiennent la thèse de l’animalité de notre cousin. Pour autant les différences existent même si d’après les auteurs, leur petite taille, leur développement musculaire, aurait pu leur donner toute leur place dans la mêlée au rugby.

Un homme venu du froid

L’homme venait du froid et a su, entre -400 000 et -40 000 s’y adapter. Néandertal a connu trois cycles interglaciaires. La petite taille de Néandertal correspond sans doute, tout au long d’une longue période, à une adaptation au froid, ce que l’on retrouve dans d’autres espèces animales. Les besoins énergétiques sont très largement supérieurs à ceux de sapiens, notamment en matière de protéines animales et de lipides. L’examen du bol alimentaire montre que Néandertal consommait entre 5 000 à 6 000 calories par jour, ce qui relèverait du régime des Inuits. Les chercheurs ont également confirmé la pratique du cannibalisme, même si l’on ne sait pas vraiment si cela été lié à un rite de type religieux ou à une exigence alimentaire. Cette pratique a pu se retrouver également chez l’Homo sapiens, y compris au paléolithique.

Comme toutes les espèces humaines l’origine de Néandertal est africaine mais sa civilisation s’est développée en Europe. Les premières vagues venues d’Afrique d’hominidés que l’on a pu retrouver en Géorgie datent de 2 millions d’années. D’autres espèces sont également mentionnées, notamment l’homme de Heidelberg, considéré comme le véritable ancêtre de Néandertal. On trouve donc sur la carte du monde, de façon quasiment simultanée, il y a 100 000 ans, sapiens en Afrique, Néandertal en Europe jusqu’aux steppes d’Asie centrale et les dénisoviens sur l’ensemble sud et est asiatique.

La culture de l’outil

Néandertal c’est évidemment une culture de l’outil, beaucoup plus abouti que ce que l’on imagine. La recherche scientifique et l’expérimentation pratique ont permis de reconstituer précisément le processus de fabrication. Néandertal travaillait également le bois, tissait des cordes bien entendu maîtrisait le feu et ses différents usages. Allumer le feu était un processus complexe, qui associait sans doute l’usage de la pyrite ou du bioxyde de manganèse comme accélérateur.

Néandertal produisait des outils, chassait et cueillait, mais semble-t-il parlait aussi. Des fossiles néandertaliens découverts en Israël en 1983 ont permis de lever le doute sur la possibilité d’acquisition de la parole par Néandertal. Plus on avance dans la recherche, plus Néandertal finit par nous ressembler. Et cela se retrouve dans des objets non utilitaires que les fouilles archéologiques mettent progressivement à jour.

Les stéréotypes de genre semblent avoir été remis en cause par l’anthropologie comparative avec les sociétés que l’on qualifie de primitive. Si l’on peut considérer comme acquis que la chasse du gros gibier était une affaire d’hommes, les femmes devaient y être associées pour le petit gibier, mais également pour rabattre les proies.

Pourquoi ont-ils disparu ?

On limitera cette recension à la question qui nous interpelle toujours, à savoir l’énigme de la disparition des hommes de Néandertal. Il n’existe pas véritablement de consensus, même si l’on est d’accord pour dire que sapiens a cohabité avec son cousin. Y aurait-il eu un génocide lors de la rencontre entre les deux espèces ? Néandertal aurait-il subi un choc microbien lié à un virus importé d’Afrique ? La consanguinité a-t-elle pu jouer un rôle ? Plusieurs hypothèses sont avancées, mais il semblerait que la vitalité démographique de sapiens ait été supérieure, mais encore une fois il semble difficile de parler de « grand remplacement ».

En réalité, plutôt qu’un grand remplacement, les chercheurs ont observé un métissage progressif, sur une période assez courte. Il reste en nous, en moyenne, 2 % de gènes de néandertalien, ce qui n’est pas beaucoup, mais reste tout de même significatif.

C’est un formidable voyage que nous invitent les deux auteurs de ce livre que l’on pourra lire, comme le titre nous y invite, sur un transat à la plage. Mais au-delà, on dispose également d’une mise au point scientifique parfaitement accessible qui nous conduit finalement à une réflexion sur notre rapport au temps et à notre place sur notre planète.

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À propos de l’auteur
Bruno Modica

Bruno Modica

Bruno Modica est professeur agrégé d'Histoire. Il est chargé du cours d'histoire des relations internationales Prépa École militaire interarmes (EMIA). Entre 2001 et 2006, il a été chargé du cours de relations internationales à la section préparatoire de l'ENA. Depuis 2019, il est officier d'instruction préparation des concours - 11e BP. Il a été président des Clionautes de 2013 à 2019.

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