Unies depuis 1804 par une « Entente cordiale », la France et la Grande-Bretagne ont combattu ensemble l’Allemagne à deux reprises. Elles se sont néanmoins affrontées dans une guerre sans merci pour le contrôle du Moyen-Orient. L’historien britannique James Barr revient sur cette rivalité sourde et venimeuse, faite d’intrigues et de coups bas entre deux puissances mandataires traumatisées par la crise de Fachoda de 1898.
À l’évidence, Français et Britanniques ont contribué à façonner le Moyen-Orient. À l’origine deux fonctionnaires effacés, le Britannique Mark Sykes et le Français François Picot tracent en 1916 sur la carte du Moyen-Orient une ligne droite. Elle va du A de Acre, sur la côte méditerranéenne entre Beyrouth et Haïfa, jusqu’au K de Kirkouk, à la frontière persane. Les territoires au nord de cette ligne iront à la France ; ceux au sud, à la Grande-Bretagne. Le 28 avril 1920, la France est officiellement investie d’un « mandat pour la Syrie et le Liban », tandis que la Grande-Bretagne s’attribue la Palestine, la Transjordanie et l’Irak. Tenus secrets, ces accords de Sykes Picot, marqueront un moment fondateur dans l’histoire du Moyen-Orient. Peu d’observateurs en ont conscience au moment où ils sont conclus, à l’exception d’un Laurence d’Arabie farouchement hostile à la présence française dans le Levant.
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La principale pierre d’achoppement se trouve en Palestine. Son territoire jouxte la zone du canal de Suez sur la route des Indes ; doit-elle devenir indépendante ou rester une zone internationale ? L’insatisfaction des Britanniques conduit Londres à prendre une décision fatidique : soutenir ouvertement les ambitions sionistes en proclamant la déclaration Balfour, un an plus tard, donnant ainsi le droit aux Juifs à se créer une nation. Ce qui s’apparente au résultat des efforts du lobby sioniste en Grande-Bretagne aura été surtout une manœuvre pour damer le pion aux Français.
Lorsque les Français se rendent compte de la profondeur de l’hostilité des Syriens, ils se replient sur le Liban, fabriquant un pays de toute pièce officiellement à la demande des chrétiens. Ce qui conduit l’auteur à affirmer que le soutien des Anglais aux Juifs de Palestine et le favoritisme français à l’égard des chrétiens du Liban étaient des politiques conçues pour renforcer leurs positions respectives dans la région en s’attirant la gratitude de ces deux minorités, quitte à se porter à faux la majorité arabe musulmane. De sorte qu’à mesure que le Royaume-Uni et la France deviennent de plus en plus impopulaires, ils sont contraints de conclure des alliances pendulaires qui ne font que polariser davantage Arabes et Juifs, chrétiens et musulmans.
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Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les Anglais ont accepté à contrecœur la présence française, mais la nouvelle guerre avec l’Allemagne change la donne. Face à l’effondrement de la France, les dirigeants britanniques poussent la Syrie et le Liban à proclamer leur indépendance ce qu’ils refusent toujours aux Palestiniens. Londres joue la « carte des Hachémites » pour favoriser une grande Syrie sous la sphère d’influence britannique. À leur tour, les Anglais découvrent que la France fournit des armes à des terroristes juifs de l’Irgoun et du Groupe Stern pour qu’ils tuent ses fonctionnaires en Palestine. La situation perdure en 1945, au moment même où les Anglais combattent pour libérer la France occupée.
Manœuvres de division, jeux d’apprenti sorcier portent brièvement leurs fruits, mais en fin de compte leurs effets se retournent contre leurs auteurs, vus que les Britanniques sont chassés de Palestine peu de temps après dans des circonstances dramatiques. Nourri d’archives récemment déclassifiées, ce livre dresse un portrait au vitriol des nombreux protagonistes; il pose surtout un examen critique sur l’accablante responsabilité franco-britannique dans le prolongement des crises au Moyen-Orient.