Mongolie-France : la valse-hésitation d’Oulan-Bator

24 octobre 2024

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Ukhnaa Khurelsukh, President de Mongolie, et son epouse. A l occasion de la ceremonie d ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024, Friday 26 July 2024. Paris, FRANCE - 26/07/2024//04HARSIN_MACRONRECEPTIONOUVERTUREJO2024ELYSEE092/Credit:ISA HARSIN/SIPA/2407270258
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Mongolie-France : la valse-hésitation d’Oulan-Bator

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Alors que Paris cherche à diversifier tant ses alliés face à la Russie que ses approvisionnements en uranium, la Mongolie est apparue à l’Élysée comme un potentiel allié de choix dans une région ultra-dominée par le duo sino-russe. De récents développements sèment cependant le doute sur la volonté de rapprochement d’Oulan-Bator, qui envoie des gages à Moscou et Pékin.

Ce devait être le premier jalon d’une longue et, espérait-on, fructueuse coopération. En mai 2023, Emmanuel Macron s’est rendu en voyage officiel en Mongolie, une première pour un président français en exercice. Stratégique, ce déplacement avait été minutieusement préparé par la diplomatie française, le soutien d’Oulan-Bator (la capitale de la Mongolie) apparaissant, pour les chancelleries occidentales, de plus en plus comme une pièce maîtresse sur un échiquier géopolitique mondial en pleine recomposition.

Emmanuel Macron en Mongolie : une première pour un président français

Enclavée entre la Chine et la Russie, la Mongolie revêt en effet une importance croissante pour le Quai d’Orsay. Faisant partie des rares États à ne pas avoir ouvertement pris parti dans le conflit opposant la Russie et l’Ukraine, la Mongolie espère ainsi éviter de se mettre à dos son puissant et belliqueux voisin. Une prudente neutralité sur laquelle compte capitaliser Paris, l’Élysée tentant de rallier les pays « non-alignés » au camp occidental, pro-ukrainien. Raison pour laquelle la présidence française avait, l’année dernière, qualifié le voyage d’Emmanuel Macron d’« enjeu très important […] sur le plan géostratégique ».

Atout potentiel, du fait de sa position géographique, dans la main des diplomaties occidentales, la Mongolie est également courtisée pour ses trésors géologiques. Riche en minerais et terres rares (uranium, cuivre, fluor), le pays apparaît en effet, toujours selon l’Élysée, comme un élément central de la « stratégie de diversification des approvisionnements européens afin de garantir notre souveraineté énergétique ». Des intérêts qui rencontrent ceux des diplomates mongols, très attachés que semblent être ces derniers au développement de leurs relations avec ce qu’ils nomment eux-mêmes leurs « troisièmes voisins » occidentaux.

Des engagements réciproques

En d’autres termes, cultiver de bonnes relations avec les pays occidentaux permet, du point de vue mongol, d’alléger un tant soit peu la double férule de Moscou et de Pékin sur Oulan-Bator. De se ménager des options. Difficile cependant, pour l’heure, de faire sans ces deux mastodontes, face auxquels la Mongolie apparaît comme un « nain » géopolitique et économique et qui représentent les principaux débouchés pour son économie. Alors que les produits miniers représentent 89 % des exportations mongoles, la Chine demeure, de loin, le premier client de l’économie mongole, absorbant à elle seule près de 90 % des exportations du pays.

C’est dans ce contexte que quelques semaines seulement après la visite d’Emmanuel Macron en Mongolie, l’entreprise française Orano a signé un accord inédit avec l’État mongol. Un deal en vertu duquel le spécialiste du combustible nucléaire devait exploiter, en coopération avec l’entreprise publique mongole MonAtomest, la mine de Zuuvch-Ovoo, l’un des plus importants gisements d’uranium au monde. Un moyen surtout, pour Paris, de diversifier ses sources d’approvisionnements de ce minerai hautement stratégique pour l’industrie nucléaire tricolore. En retour, la France s’est engagée à investir pour aider la Mongolie à réaliser sa transition énergétique, par exemple sous la forme de coopérations dans le domaine des énergies renouvelables, le pays restant dépendant du charbon à hauteur de 90 % pour son électricité. Autre engagement, éminemment symbolique, le prêt d’une partie de la collection du Musée Gengis-Khan au Musée d’Histoire de Nantes.

Un rapprochement déjà menacé ?

Annoncé en grande pompe par les autorités des deux pays, le rapprochement franco-mongol pourrait, cependant, avoir déjà du plomb dans l’aile. Adopté à la hâte, un récent amendement à la loi sur les minéraux pourrait conduire à l’expropriation, de fait, des actifs miniers détenus en Mongolie par des entreprises étrangères. Le texte interdit en effet à toute entité de détenir plus de 34 % des actions d’une entreprise exploitant un gisement de minerais stratégiques. Par ailleurs, tout détenteur d’une licence d’exploitation serait soumis à une imposition de 30% en cas de transfert de droits. De quoi donner des sueurs froides aux acteurs privés occidentaux, et français, qui se sont engagés dans le pays et qui y voient, sinon une forme d’expropriation, une atteinte difficilement tolérable à leur liberté d’entreprendre.

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Autrement dit, les entreprises minières opérant en Mongolie seraient tenues de partager leurs bénéfices avec l’État mongol. Si l’uranium n’est – pour l’instant – pas concerné, ce projet de loi constitue un précédent de nature à inquiéter l’ensemble des intérêts miniers sur place. De même, si elles devaient être suivies d’effets, ces dispositions introduiraient de nombreuses incertitudes ainsi que des risques de complications juridiques pour les investisseurs étrangers en Mongolie. Faut-il y voir un signe de défiance d’Oulan-Bator vis-à-vis de l’Occident ? Ou l’influence, en coulisse, du Kremlin, Vladimir Poutine ayant été reçu en grande pompe par son homologue mongol en septembre dernier – et ce au mépris du mandat d’arrêt international qui pèse contre lui et que la Mongolie était supposée appliquer ? Ou celle de Pékin, un projet de gazoduc (Siberia-2) traversant le territoire mongol étant toujours d’actualité afin de relier les champs de gaz russes à la Chine ?

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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