L’Amérique s’est imposée sur le marché de l’art contemporain avec ses artistes, ses réseaux et son argent. Et quel meilleur exemple de sa victoire culturelle et artistique que de faire de sa monnaie une œuvre d’art à part entière ? Symbole de puissance, de richesse et de mystère, le dollar a gagné les cœurs de la culture populaire.
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Un cow-boy, une banque à braquer, des Indiens, de la poussière et l’Ouest comme horizon. Le cadre typique du western et de son imaginaire mental. Mais les décors sont à Almeria, en Espagne, et la réalisation et la musique sont italiennes. Avec ses westerns spaghettis, Sergio Leone a inscrit Clint Eastwood dans l’imaginaire collectif et la musique d’Ennio Morricone a magnifié La Trilogie du dollar. La monnaie US devient titre et acteur de la trilogie, elle est elle-même œuvre d’art. Pour une poignée de dollars (1964), Et pour quelques dollars de plus (1965), Le Bon, la Brute et le Truand (1966). Trois films pour inventer un style et pour placer le billet vert comme roi des monnaies. En 1998, Gene Quintano poursuivit le mythe du western italien avec Un dollar pour un mort qui, s’il n’est pas resté dans les mémoires, a toujours le dollar pour titre. Comme les meilleures chansons, le billet vert est immortel. En 1964, Henri Verneuil avait signé Cent mille dollars au soleil, tiré du roman de Claude Veillot, Nous n’irons pas en Nigeria. Dialogues de Michel Audiard, avec Belmondo, Ventura et Blier. Une course folle dans les déserts de sables et de rocailles pour conduire à bon port un camion Berliet rouge dont on ignore tout de la cargaison. C’était l’époque de la gloire, des honneurs et des rêves. Changement de décor dans les années 2000. Le dollar est toujours là, mais la flamme s’éteint. En 2000, Wim Wenders sort The Million Dollar Hotel. Pas de quoi faire rêver. Un palace délabré de Los Angeles, une faune de marginaux abandonnés, un attardé mental qui se suicide en se jetant du toit de l’établissement. Milla Jovovich et Mel Gibson dans les rôles principaux, U2 à la musique et une Amérique certes toujours puissante, mais qui doute d’elle-même. Western d’un autre style, Clint Eastwood sort en 2004 Million dollar baby, l’histoire d’une jeune femme qui devient championne de boxe sous la férule du vieil entraîneur joué par Eastwood. La promesse de la gloire et des dollars. Mais dans le combat final, c’est elle qui est K.-O., à cause d’un coup illégal. Désormais, le Bon ne gagne plus. Le dollar ne serait-il plus la promesse de la gloire et du bonheur ?
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Disco dollar
En 1976, le groupe Abba sort « Money, Money, Money » où les dollars s’affichent dans le clip à côté des couronnes suédoises. Richesse, tenues excentriques et grosses voitures vont de pair avec l’idée que le dollar permet d’acquérir une certaine idée du bonheur. Que ce soit pour le cinéma ou la musique, ce sont des non-Américains qui mettent le dollar en avant, preuve de l’imprégnation culturelle des États-Unis. Carton plein sur la scène occidentale, Abba rayonne dans les années 1970, au moment de la crise des pétrodollars et de la fin de Bretton Woods. Gilles et Julien avaient ouvert le bal en 1932 avec leur succès « Dollar ». Une chanson qui leur fit connaître la gloire et le succès.
« De l’autre côté de l’Atlantique / Dans la fabuleuse Amérique / Brillait d’un éclat fantastique / Le dollar / Il f’sait rêver les gueux en loques / Les marchands d’soupe et les loufoques / Dont le cerveau bat la breloque / Le dollar / […] On met l’cap sur la terre promise / Pour voir le dieu dans son église / Le dieu Dollar ! / Et les hommes à la ronde L’adorent sans retard. » Nous étions alors sous Roosevelt, quoique en crise, et l’Amérique attirait les va-nu-pieds de toute l’Europe. Quatre-vingts ans plus tard, Aloe Blacc connaît le succès avec « I Need a Dollar », l’un des tubes de l’année qui met la soul à l’honneur.
Pop dollar
Il fallait la fraîcheur et le génie commercial d’un Andy Warhol pour faire du signe dollar une œuvre d’art. En 1962, il lance la première série de ses sérigraphies avec Marilyn Monroe, Elvis Presley et le symbole du dollar. De la couleur, des reproductions quasiment infinies, voilà l’œuvre d’art devenue billet de banque et l’artiste prenant le rôle des banques centrales. La création est financière, les galeries et les critiques adorent, la peinture est complètement monétisée Warhol peint-il un billet de banque ou bien est-ce sa toile qui devient elle-même billet ? Toujours est-il que la financiarisation de l’art ne fait que débuter. Nombre d’artistes actuels ont repris la thématique du dollar pour créer des œuvres plastiques. En résine, en hologramme, en sérigraphie, en copié-collé, le dollar est devenu matière à exploration graphique et à innovation technique. Quand le billet vert se fait objet culturel et qu’il entre dans la vie quotidienne de peuples qui ne l’emploient jamais pour leurs échanges, c’est que la légende a dépassé la réalité. Et les Américains ne se privent pas de la publier.
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