<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Missiles balistiques et défense anti-aérienne

25 octobre 2020

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Un RS-24 Yars, missile balistique intercontinental russe, lors du défilé du Jour de la Victoire à Moscou, le 24 juin 2020 (c) Sergei Bobylev/TASS/Sipa USA/30120307/YD/2006241721

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Missiles balistiques et défense anti-aérienne

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Le 8 septembre 1944, le IIIe Reich effectuait les premiers tirs opérationnels contre Paris et Londres avec des fusées V2 dont le développement avait débuté à partir de 1941. Le V2 devenait ainsi le prototype réussi de ce qui allait devenir le missile balistique. Tiré à la verticale, ce type d’engin dispose d’un moteur fusée lui permettant d’atteindre des hautes altitudes selon une courbe lui permettant d’atteindre des objectifs lointains avec une vitesse très élevée. Même si l’effet militaire recherché par les nazis a été finalement très faible, le V2 a ouvert la voie aux missiles balistiques et à la conquête spatiale, en démontrant toutes les potentialités de ce type d’engin révolutionnaire.

Aujourd’hui, les missiles balistiques sont une réalité et se divisent en plusieurs catégories répondant à des besoins opérationnels différents. Ils constituent dès lors une menace et sont donc des cibles potentielles, mais difficilement atteignables pour les défenses antiaériennes en raison de leur vitesse et de leur parcours. Ces dernières – longtemps appelées Défense Contre l’Aviation (DCA) dans la presse – ont dû évoluer pour traiter un spectre très large allant du drone au missile balistique en passant par l’avion espion volant à très haute altitude. En quelque sorte, la question classique du bouclier et de l’épée dans la troisième dimension.

Le missile balistique, une technologie éprouvée

Les Soviétiques et les Américains tirèrent profit de la capture d’ingénieurs allemands et d’équipements pour développer leurs missiles dans le cadre de la compétition initiée par la guerre froide. Pour l’URSS, la conception de ces engins devait permettre de lancer une bombe nucléaire à grande distance et plusieurs familles technologiques furent mises au point avec en 1957, le lancement d’un premier satellite dans l’espace, Spoutnik 1 avec un lanceur, le R 7, mis au point par Sergeï Korolev et qui est devenu la fusée Soyouz toujours utilisée aujourd’hui.

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Parallèlement à Soyouz, les Soviétiques ont développé toute une série d’engins à vocation militaire et répondant à des missions de nature différente, allant du missile tactique avec une charge classique au missile balistique porteur d’une arme nucléaire. Le foisonnement des engins avec de multiples versions a rendu complexe le travail d’identification et de classification, en particulier au regard des différents traités visant à réduire ou ralentir la course aux armements.

On peut ici distinguer quatre grands types d’engins en fonction de leur portée et de leur charge utile :

  • Les missiles à courte portée, celle-ci étant inférieure à 1 000 km et ces systèmes visent des cibles tactiques. Les Scud de conception soviétique et largement exportés notamment en Irak et en Syrie appartiennent à cette catégorie.
  • Les missiles à moyenne portée, comprise entre 1 000 et 3 000 km, que l’on retrouve aujourd’hui avec les Shahab de l’Iran, les Nodong nord-coréens ou encore les Jericho d’Israël. Les Shahb et Nodong ont bénéficié de transfert de technologies soviétique puis russe et sont des versions très améliorées des Scud.
  • Les missiles à portée intermédiaire, entre 3 000 et 5 000 km. Le SS 20 déployé durant les années 1980 par Moscou en faisait partie et a alors modifié l’équilibre des forces, obligeant l’OTAN à se doter de missiles Pershing et de Cruise missiles américains.
  • Les missiles intercontinentaux, avec une portée supérieure à 5 500 km et mis en œuvre généralement à partir de silos enterrés ou de SNLE.

L’autre distinction tient à la charge utile, nucléaire ou non. Ainsi, la France dispose-t-elle de missiles balistiques du type M 51-2 tirés exclusivement à partir des SNLE et contribuant à la dissuasion. En revanche, elle ne met plus en œuvre de missiles balistiques depuis le sol après le démantèlement du plateau d’Albion et du système préstratégique Hadès. La différenciation est ici essentielle entre les armements mis en œuvre dans le cadre de la dissuasion avec le principe de non-emploi en premier et des armes conventionnelles pouvant utiliser une trajectoire balistique. De fait, la plupart des pays occidentaux ne mettent plus en œuvre des engins balistiques à charge classique, ceux-ci étant vulnérables et désormais beaucoup moins précis que les missiles de croisière type MdCN ou Scalp EG mis en œuvre par la France par exemple.

Pourtant, la prolifération de missiles balistiques est une réalité principalement au Moyen-Orient et en Asie. À partir de la base conceptuelle des Scud, des pays comme la Corée du Nord et le Pakistan ont su améliorer les engins avec des performances toujours en augmentation. Ils ont vendu ces systèmes à plusieurs États comme la Syrie, permettant à ceux-ci de se doter de moyens d’attaque performants et capables de déstabiliser leur environnement immédiat. L’Iran a fait de même tout en jouant sur la dualité des techniques employées en affirmant se doter de lanceurs spatiaux pour mettre en orbite des satellites. Cette ambiguïté a été démontrée récemment par Téhéran avec le succès de la mise en orbite d’un satellite militaire, Nour 1, le 22 avril 2020 par les Gardiens de la révolution au moyen du lanceur Qased. Téhéran a également « exporté » ses missiles balistiques aux rebelles Outhis au Yémen, ceux-ci les ayant utilisés à plusieurs reprises contre l’Arabie saoudite. Ces systèmes mobiles, faciles à camoufler dans des hangars et à déployer rapidement, introduisent une déstabilisation stratégique dans des zones déjà fragiles. La Corée du Nord pratique la même politique, exportant ses savoir-faire et pouvant ainsi récupérer des dollars pour ses propres programmes clandestins.

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La prolifération balistique pourrait ainsi préfigurer la prolifération nucléaire, car le missile est un porteur efficace pour une bombe atomique, d’où l’inquiétude au sujet des programmes iraniens combinant le développement de ces lanceurs et l’enrichissement d’uranium à des fins non civiles. La remise en cause par les États-Unis de l’accord JCPOA signé avec l’Iran le 14 juillet 2015 s’inscrit dans cette tension croissante où Téhéran s’efforce de poursuivre ses projets en mettant la communauté internationale devant le fait accompli.

La défense antimissiles : un vieux rêve coûteux

Parallèlement au développement des missiles balistiques, les États-Unis et l’URSS, en son temps, s’efforcèrent de trouver des parades technologiques pour intercepter ces engins. Cela signifie de disposer d’un réseau d’alerte à base de radars et/ou de satellites et d’intercepteurs rapides capables d’atteindre une cible elle-même en déplacement à très grande vitesse. Ainsi, dans les années 1970, le système Galosh avec un réseau de missiles sol-air SAM était censé protéger Moscou. À la fin des années 1980, Ronald Reagan lance le programme de « guerre des étoiles » qui a épuisé l’URSS dans une course technologique impossible à suivre pour les Soviétiques. Les briques techniques développées à cette époque et participant à l’essor de la Silicon Valley ont permis peu à peu de concevoir des systèmes plus performants censés contrer la menace que représentent les missiles du type Scud. Ainsi, les batteries Patriot déployées durant la première guerre du Golfe ont démontré un certain intérêt même si la probabilité d’interception est restée relativement faible.

Les progrès récents dans la détection associés à des capacités de calcul augmentées par l’intelligence artificielle (IA) a remis à l’honneur l’intérêt pour les systèmes antimissiles. Ainsi, Israël, régulièrement ciblé par le Hezbollah utilisant des missiles du type SRBM, a développé le programme « Dôme de fer » visant à protéger le territoire et la population, sachant que la difficulté tient aux délais très brefs entre la détection et l’interception en raison de distances courtes.

Les États-Unis, outre les Patriot constamment modernisés, ont également mis en place le projet Aegis équipant des frégates en leur conférant la possibilité de créer des bulles quasi étanches protégeant un groupe naval. La France, avec le missile Aster utilisé par le système SAMP/T, développe ses propres capacités de défense de théâtre, en particulier pour la marine.

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Une autre ambition fortement poussée par Washington vise à déployer une défense antimissile de niveau stratégique censée protéger contre des attaques balistiques pouvant venir d’Iran ou d’autres pays. C’est la National Missile Defense lancée au début des années 2000. Cela pourrait remettre en cause l’équilibre avec la Russie, qui voit d’un mauvais œil l’installation de sites radar notamment en Pologne et en Roumanie.

Les récents conflits ont démontré le besoin de supériorité aérienne. À ce jour, les capacités occidentales ne semblaient pas remises en cause depuis l’effondrement du bloc soviétique. Or, la guerre en Syrie a souligné la complexité de partager un espace aérien avec des acteurs multiples et pas forcément coopératifs. La désescalade avec la Russie, partie prenante, a exigé la mise en place de procédures visant à éviter des incidents aériens. La destruction le 17 juillet 2014 par un missile Buk de fabrication russe du vol Malaysian Airlines au-dessus de l’Ukraine avec 298 morts et celle intervenue le 8 janvier 2020 d’un Boeing 737 ukrainien au décollage de Téhéran avec 176 victimes ont démontré les risques réels de systèmes mal contrôlés. Ces accidents aux conséquences politiques majeures rappellent la complexité du Control and Command dans le domaine de la défense antiaérienne avec le risque de bavures. L’identification des cibles mobiles (missiles balistiques ou autres engins volants) exige des moyens redondants et capables d’assurer une discrimination dans des délais très courts.

Un nouveau défi va commencer à se poser avec le développement des engins hypersoniques à trajectoire aléatoire. Ce type de missile ayant une vélocité élevée va poser un nouveau défi et renforcer le besoin de systèmes agiles. La décennie à venir verra l’accroissement de capacités de pénétration avec des programmes déjà avancés en Russie et en Chine, sans parler des Skunks Works américains. Les investissements nécessaires en R&D exigent que les Européens s’unissent pour se protéger, bénéficiant des briques actuelles comme les missiles Aster et les radars à panneaux plats désormais industrialisés.

Depuis le V2 du IIIe Reich, les systèmes balistiques se sont développés avec des performances intéressantes. La dualité des programmes est une réalité permettant à des pays comme l’Iran ou la Corée du Nord de poursuivre des projets militaires sous couvert de conquête spatiale. Parallèlement, le besoin en protection oblige à accroître les moyens antimissiles. Les investissements sont cependant importants et exigent d’utiliser de nouvelles technologies utilisant l’IA. Pourtant, si l’on regarde avec un peu de recul historique, c’est le prolongement du duel épée-bouclier avec des périodes où ce dernier est plus efficace en attendant de se faire déborder par le glaive et inversement. Plus que jamais, il convient pour la France et l’Europe de ne pas se laisser surprendre et de ne pas abandonner notre souveraineté dans un domaine stratégique en plein essor.

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Un RS-24 Yars, missile balistique intercontinental russe, lors du défilé du Jour de la Victoire à Moscou, le 24 juin 2020 (c) Sergei Bobylev/TASS/Sipa USA/30120307/YD/2006241721

À propos de l’auteur
Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale.
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