<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Mexique, vers la fin de l’ultraviolence ?

25 novembre 2019

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Monument édifié en hommage aux 43 étudiants d’Ayozinapa massacrés en 2014 par la mafia pour avoir dénoncé la corruption du maire de la ville. Les responsables courent toujours. (c) SIPA

Abonnement Conflits

Mexique, vers la fin de l’ultraviolence ?

par

Battu aux deux présidentielles précédentes, Andrés Manuel Lopéz Obrador, ancien maire de Mexico, a été élu triomphalement en 2018 sur un programme d’éradication de la corruption et de la transformation « profonde et radicale » du pays [simple_tooltip content=’Lopéz Obrador est membre du Mouvement de régénération nationale, issu d’une scission du Parti de la révolution démocratique (PRD) lui-même issu d’une scission avec le PRI, qui a dirigé le Mexique pendant près de cent cinquante ans.’](1)[/simple_tooltip] . Il se trouve aujourd’hui fragilisé par des difficultés à stopper les violences liées au narcotrafic dans le pays.

 

Comme l’expose Thierry Noël dans son ouvrage La Guerre des cartels [simple_tooltip content=’Thierry Noël, La Guerre des cartels, Trente ans de trafic de drogue au Mexique, Vendémiaire, 2019. Voir la recension parue sur le site de Conflits.’](2)[/simple_tooltip], le Mexique était autrefois cantonné au transit de la drogue. Passé l’explosion de la consommation de la marijuana à la fin de la décennie 1960, le pays se mue en plateforme de production et de consommation de la cocaïne. La violence va alors crescendo avec la montée en puissance des cartels. Ses derniers détrônent leurs collègues colombiens qui jusque-là se servaient des réseaux de contrebande mexicains pour exporter leurs drogues (cocaïne, héroïne…).

Une guerre qui ne dit pas son nom

Les narcotrafiquants essaiment dans plusieurs États de la fédération ; ils se livrent à une guerre sans merci, ponctuée d’enlèvements, de tortures et de décapitations. Mais depuis treize ans, le gouvernement mexicain mène une guerre impitoyable contre les cartels de la drogue. Passé sous silence par les médias internationaux, le bilan meurtrier de la guerre déclarée par le président Felipe Calderón, fin 2006, s’est soldé par 275 000 victimes et 40 000 disparus. En 2018, dernière année de la présidence d’Enrique Peña Nieto, le Mexique a vécu la pire vague de violence de son histoire récente, enregistrant un nouveau record de 33 202 homicides.

En apparence, les résultats sont éloquents : deux ans après le déclenchement de cette vaste offensive, les forces de sécurité ont pu mettre la main sur 60 000 narcos, 25 des 37 chefs de gangs mexicains les plus recherchés ; mais aussi 4 000 tonnes de cannabis, 80 tonnes de cocaïne, 30 000 armes légères… mais sans pour autant briser les reins des organisations criminelles. Au lieu de mettre un terme à la violence, la stratégie adoptée par les deux derniers présidents mexicains a favorisé une hyper fragmentation du paysage du crime organisé, tant les factions rivales ont pullulé après l’incarcération des chefs de cartels.

A lire aussi : Mister Nobody se fait parrain du crime

Là encore, les raisons de cet échec sont à trouver du côté de la corruption qui gangrène le Mexique. En 2000, le pays occupait la 53e place du classement international de la transparence établi par la Banque mondiale pour dégringoler à la 134e place en 2018… La corruption de toutes les autorités (polices des États, police fédérale, services secrets, politiciens, hommes d’affaires…) a laissé aux cartels le champ libre pour se constituer de véritables armées après avoir infiltré l’appareil de l’État, la police, l’administration, jusqu’aux renseignements.
Privilégiant une réponse sécuritaire, le Parlement mexicain a voté en décembre 2017 une loi très controversée. Si cette dernière donne un cadre légal à la présence de l’armée dans les rues pour lutter contre les cartels de drogue, celle-ci se fait au prix d’une militarisation caractérisée par des violations accrues des droits de l’homme.

À cela s’ajoute une défiance croissante envers la classe politique. La collusion entre forces de l’ordre et narcotrafiquants, illustrée par le scandale de la découverte d’un charnier de 43 étudiants à Iguala en 2014, ainsi que l’utilisation d’un logiciel de surveillance pour espionner journalistes et opposants durant les six années du mandat de Peña Nieto ont eu raison du ras-le-bol de la société civile.

Les chantiers de Lopéz Obrador

C’est donc portés par cette vague d’exaspération envers l’impunité et l’insécurité qu’Andrés Manuel Lopéz Obrador (AMLO) et son mouvement Morena ont remporté la majorité absolue aux présidentielles et aux législatives de 2018. AMLO a hérité d’un pays exsangue, la guerre ayant englouti les finances de l’État. L’ancien maire de Mexico veut s’en prendre aux racines du mal : le sous-développement. Un Mexicain sur cinq souffre de la faim. Pour pouvoir remettre le contrôle de l’industrie pétrolière aux mains des multinationales qui en avaient été écartées en 1938 par le père du Mexique moderne, le président Lázaro Cárdenas, Peña Nieto avait dû engager une réforme de la Constitution. Jusque-là Pemex agissait comme un simple sous-traitant du ministère de l’Énergie. De son côté, Lopéz Obrador a fait savoir qu’il entendait remettre la main sur la rente pétrolière qui lui permettra de financer son programme de relance de l’économie, ses ambitieuses réformes sociales et d’aménagement du territoire (nouvelle raffinerie, couloir interocéanique de l’isthme de Tehuantepec…). Mais il lui faudra aussi réduire l’impunité, réformer l’appareil sécuritaire miné par des rivalités. Cela passe notamment par le rétablissement de la confiance auprès des milieux d’affaires échaudés par sa décision d’annuler la construction d’un nouvel aéroport à Mexico au coût estimé à 13 milliards de dollars.

À propos de l’auteur
Tigrane Yégavian

Tigrane Yégavian

Chercheur au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), il est titulaire d’un master en politique comparée spécialité Monde Musulman de l’IEP de Paris et d’une licence d’arabe à l’INALCO. Après avoir étudié la question turkmène en Irak et la question des minorités en Syrie et au Liban, il s’est tourné vers le journalisme spécialisé. Il a notamment publié "Arménie à l’ombre de la montagne sacrée", Névicata, 2015, "Missio"n, (coécrit avec Bernard Kinvi), éd. du Cerf, 2019, "Minorités d'Orient les oubliés de l'Histoire", (Le Rocher, 2019) et "Géopolitique de l'Arménie" (Bibliomonde, 2019).

Voir aussi