<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Metz défend l’État

14 juin 2022

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : A gauche, l'ancien Magasin aux vivres (1552-60) transformé en hôtel de luxe, à droite, l'ancien Arsenal (1860-1964), transformé par Ricardo Bofill en salle de concert. (c) JM Holz

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Metz défend l’État

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Fait unique, Metz a conservé au fil des siècles une valeur stratégique dans la politique de défense nationale, liée à sa position géographique à la croisée des grandes puissances dont la rivalité a façonné l’Europe.

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Ville du Saint Empire depuis des siècles, jalouse de son indépendance, la riche cité commerçante voit son destin basculer en 1552 quand elle intègre le royaume de France. Le duc de Guise ayant soutenu victorieusement le siège de Charles Quint – qui déclarait « s’évertuer de prendre Metz par laquelle les Français ont le chemin ouvert […] jusqu’au Rhin » –, la ville se voit assigner une mission par la monarchie : défendre la frontière vulnérable du nord-est. « Metz ne vit plus pour elle, mais pour la France » observe S. Wagner.

L’État « protège » Metz, qui se fortifie (citadelle en 1556-1564). Les visites royales s’y succèdent (Charles IX en 1569, Henri IV en 1603, Louis XIII en 1631) témoignant de l’intérêt du roi pour ce pôle avancé des marches de l’est. Avec les guerres de Louis XIV, les choses s’accélèrent et la ville « devenue très importante à notre Couronne » vit au rythme de sa politique hégémonique. Le Roi-Soleil se rend six fois à Metz ; lors de sa troisième visite en juillet 1673, il déplore, comme Condé six mois plus tôt, le délabrement des fortifications. Vauban, qui a suggéré à Louvois la théorie du pré carré, est chargé d’y remédier ; les premiers travaux commencent en septembre 1674. Il écrit au roi (10 juillet 1675) : « C’est la plus heureuse situation qui soit au monde et à très peu de frais, j’espère en faire la meilleure place forte du royaume. » Il confirme ces propos dans une lettre à Louvois (1677). Turenne avait déjà fait les mêmes observations au roi.

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En 1678, Vauban rédige son « projet général de fortifications » pour Metz, mais ces énormes travaux sont différés, faute de crédits et jugés non prioritaires depuis l’annexion de la Franche-Comté et de Phalsbourg qui protègent le flanc sud-est. Le temps passe, Metz reste toujours en première ligne. Selon François-Yves Le Moigne[1], c’est sans doute en 1696, au moment des négociations de la paix de Ryswick, que Vauban, conscient des risques (il a le souvenir de Vienne, résistant victorieusement au Turc grâce à sa triple enceinte, en 1683, alors que Paris reste ouvert), écrit son célèbre propos : « Les places que l’on a fortifiées ailleurs sont pour couvrir des provinces, mais il faut fortifier Metz pour couvrir l’État[2]. » En 1739, le comte de Belle-Isle, gouverneur de Metz, le confirmera : « Ce sont ses propres termes[3]. » Le propos, non daté, souligne Le Moigne, est pieusement répété tout au long du xviiie siècle, puis infléchi – « les place fortes du royaume défendent leur province, Metz défend l’État » –, enfin popularisé en 1930 par l’ouvrage du général de Lardemelle qui le ramasse sous sa formule choc : « Metz défend l’État. » La paix de Ryswick (1697) confirme les craintes de Vauban : pour la première fois depuis Richelieu, la France recule ses frontières par la signature d’un traité, exposant dangereusement la cité mosellane : le pays messin est alors quasi enclavé en terre étrangère (Pays-Bas espagnol, Empire, duché de Lorraine) simplement rattaché au royaume par l’étroit corridor stratégique reliant Verdun à l’Alsace : la France a perdu l’essentiel de ses gains territoriaux du traité de Nimègue.

Vauban rédige alors un second mémoire (septembre 1698) sur le renforcement urgent des fortifications de Metz. Mais à l’aube du xviiie siècle, la guerre de succession d’Espagne use le pays : « La France n’est plus qu’un grand hôpital », déplore Fénelon. En 1710, Louis XIV, affaibli, privé de ressources financières, de grands généraux et de Vauban mort en 1707, songe même à céder les Trois-Évêchés, arrachés au Saint Empire cent cinquante ans plus tôt ! Metz reste exposée, et avec elle, la route vers Paris. Mais Belle-Isle a lu Vauban ! Assisté de l’ingénieur militaire Louis de Cormontaigne, il exécute, à partir de 1728 (sous Louis XV), le plan de 1698, et métamorphose la cité mosellane de place forte en ville militaire (3 000 soldats pour 20 000 habitants), dont l’espace est marqué non seulement par les bastions et les demi-lunes, mais aussi les casernes, école d’artillerie, hôpital, fonderie, poudrerie… en tout, près de 150 édifices militaires. Metz, clé de voûte du pré carré de l’est, verrouille désormais le « vide » existant entre les réseaux de fortifications des Flandres au nord, et d’Alsace-Franche-Comté à l’est, et reste inviolée jusqu’en 1870.

La « belle et noble cité » chantée par Bossuet, à nouveau « exposée en proie » à l’ennemi, est  victime de l’antagonisme franco-allemand après 1815. Face à la montée en puissance de la Prusse, de nouvelles fortifications sont construites en 1868 pour s’adapter aux progrès de l’artillerie (canon rayé). Inachevées, elles tombent aux mains de l’ennemi après la capitulation de Bazaine (1870) : cette fois, Metz n’a pu défendre l’État… L’état-major allemand est conscient de la valeur stratégique de Metz ; lors de sa visite, Guillaume II déclare : « Metz […] pierre angulaire dans la puissance militaire de l’Allemagne, destinée à protéger la paix de l’Allemagne, voire de toute l’Europe, paix que j’ai la ferme volonté de sauvegarder. » Il achève les quatre forts de Séré de Rivières, puis entoure la ville d’une double ceinture de 16 bastions et groupes fortifiés (Festen), faisant de Metz un immense camp retranché, la « première forteresse du monde », avec 70 km de ceinture fortifiée et 25 000 soldats. Cette fois, Metz couvre le Reich !

Libérée en 1918, décorée de la Légion d’honneur pour sa « fidélité obstinée à la France » pendant un demi-siècle d’occupation, elle reprend sa mission première, en sens inverse, au cœur du système défensif préconisé par Pétain en 1927, à une trentaine de kilomètres en retrait de la ligne Maginot. Face au IIIe Reich menaçant, elle redevient la « sentinelle de la muraille de France » ; d’illustres chefs militaires la visitent : de Lattre de Tassigny, Giraud, de Gaulle. La puissance des installations se vérifie encore lors de sa deuxième libération : le siège de la ville dure quatre mois. Patton entre à Metz le 22 novembre 1944, mais le dernier fort de la Moselstellung (fort Jeanne d’Arc) résiste jusqu’au 13 décembre.

En 1946, Metz devient le siège de la VIe région militaire. Près de 8 200 militaires y vivent, lorsque le plan de restructuration des armées, lancé par Nicolas Sarkozy (2008) vient clore sa glorieuse histoire militaire : plus de 5 000 emplois civils et militaires sont supprimés, 12 000 habitants quittent l’agglomération, les compensations restent minces. Cette fois, l’État n’a pas défendu Metz…

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[1] François-Yves Le Moigne : « Trois mille ans d’histoire sous les casernes », Metz, écologie urbaine et convivialité, Autrement, octobre1991, p.16-31.

[2] Il ajoutait : «  Pour accélérer la fortification entière de cette place, il faudrait que tout Français y apportât une hotte de pierre et de terre. »

[3] Archives départementales de Moselle, J 6400, pièce n13 du catalogue, cité par François-Yves Le Moigne.

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : A gauche, l'ancien Magasin aux vivres (1552-60) transformé en hôtel de luxe, à droite, l'ancien Arsenal (1860-1964), transformé par Ricardo Bofill en salle de concert. (c) JM Holz

À propos de l’auteur
Jean-Marc Holz

Jean-Marc Holz

Jean-Marc Holz est agrégé de géographie, docteur ès sciences économiques, docteur d'Etat ès lettres. Il a enseigné aux universités de Franche-Comté (Besançon) et de Perpignan, comme professeur des universités.

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