Paul Pelliot, archéologue de l’extrême-Asie

21 septembre 2019

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Extrait de la carte de la mission Pelliot (c) Saint-Mandé

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Paul Pelliot, archéologue de l’extrême-Asie

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Paul Pelliot, né le 28 mai 1878 à Paris au 26 rue du Roi de Sicile, est un archéologue et aventurier hors du commun, décrit comme « un redoutable français » par ses concurrents étrangers sur la route de la soie. Jeune diplômé des langues O en 1899, il est nommé deux ans plus tard pensionnaire de la mission archéologique en Indochine. Il répertorie à Hué, ancienne capitale du royaume, les collections impériales et fait copier les meilleurs livres pour constituer la première bibliothèque de l’École française d’Extrême-Orient.

Mais Pelliot a surtout permis de redécouvrir à la suite d’Albert von Le Coq puis d’Aurel Stein, l’immense continent englouti que fut le Turkestan chinois. Ses recherches s’orientent vers les routes du bouddhisme, des premiers pèlerins jusqu’à leurs lointains descendants. Par son analyse et déchiffrement en 1908 des principaux manuscrits apocryphes, cachés dans les grottes de Mogao à Dunhuang, il remonte le cours de l’histoire, au-delà de l’islam ouïghour, pour retrouver les racines bouddhistes des Royaumes de l’Ouest. Comme une marée basse qui découvre l’origine des peuples.

Explorateur et savant intrépide. (c) Saint-Mandé

Découverte de la Chine

La Chine occidentale est reconquise dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par l’empereur Qianlong qui réussit à combattre les rudes guerriers mongols en s’alliant aux différentes tribus turcophones pour sceller sa victoire. Les historiens officiels de l’empire célèbrent cette alliance en décrétant que l’islam est pratiqué depuis la nuit des temps dans le royaume de Khotan, et que le bouddhisme ne s’est jamais développé. Cette légende diplomatique permettait la bonne entente entre les peuples, l’harmonie tant cultivée par les confucéens, par exemple dans « les trois Augustes et les cinq Empereurs ». Mais les fouilles et découvertes à partir de l’expédition Von Le Coq en 1904 vont mettre à mal ce mythe fondateur.

Sous le sable du désert, existent des traces indélébiles d’un passé préislamique. La Kashgarie (ancien nom du Xinjiang) recèle des trésors insoupçonnés et Paul Pelliot participe à l’aventure grâce à sa connaissance des langues chinoise, turque, tibétaine et mongole.

 

La mission Pelliot

La mission Pelliot de 1906 a été montée avec l’aide des sinologues de Saint-Pétersbourg, sous le sceau de l’alliance militaire franco-russe, signée en 1892. Parrainée par Sergueï Oldenburg, fondateur de l’indologie russe et secrétaire de l’Académie des Sciences, l’expédition a pour but de concurrencer l’Angleterre et l’Allemagne dont les archéologues sillonnent la Haute-Asie. Elle est soutenue en France par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, le ministère de l’Instruction publique, la Société de géographie et le comité de l’Association internationale d’exploration de l’Asie centrale. Accompagné par le photographe Charles Nouette et le médecin Louis Vaillant, Paul Pelliot retrouve à Boukhara, fin juillet 1906, l’agent secret Gustav Mannerheim, mandaté par le tsar Nicolas II pour espionner le mouvement des troupes chinoises dans le Turkestan oriental. Il ne peut refuser cet hôte encombrant, mais leur mésentente chronique jusqu’à Kashgar ne facilite pas le début de leur collaboration.

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Fin octobre 1906, la mission française se sépare de la mission russe ; Pelliot choisit de contourner le désert du Taklamakan par le nord pour retrouver Urumqi, Turfan et le but de son voyage, les grottes de Dunhuang.

Il suit à la trace Sir Aurel Stein (Budapest 1862 – Kaboul 1943), hongrois de naissance naturalisé anglais, qui connait la région depuis sa première mission au tournant du siècle et a déjà une longueur d’avance. Ce dernier réussit en mars 1907 à inspecter les grottes de Mogao. Son compatriote, le géologue Lajos Locjy l’avait incité à les visiter, localisées pendant l’expédition du comte Széchenyi en 1879. Le savant anglo-hongrois acquiert un ensemble considérable de manuscrits antérieurs au XIe siècle auprès de Wang Yuanlu, dit « l’abbé Wang », prêtre taoïste chinois qui depuis 1900 assure la garde du site et vend une partie de son contenu pour en assurer l’entretien. Ces trésors rejoindront le British Museum, comme la plus ancienne carte d’étoiles connues et la première constellation graphique de l’ensemble des constellations chinoises (VIIe siècle) ou le grand texte bouddhique, Sutra du Diamant, le plus ancien ouvrage imprimé au monde (868 apr. J.-C.).

Des découvertes de grande valeur

Le 3 mars 1908, Pelliot pénètre enfin dans la grotte, guidé par Wang. Il dispose d’un avantage unique sur Stein, sa connaissance du chinois : « Depuis huit ans qu’on puise à cette bibliothèque, je la croyais singulièrement réduite. Imaginez ma surprise en me trouvant dans une niche d’environ 2,50 m en tout sens, et garnie sur trois côtés plus qu’à hauteur d’homme, de deux et parfois trois profondeurs de rouleaux. D’énormes manuscrits tibétains, serrés entre deux planchettes par des cordes, s’empilaient dans un coin… »

Il découvre plusieurs milliers de manuscrits antérieurs au XIe siècle, et une collection de livres de plus de deux mille titres. Pelliot met l’accent sur trois critères : des textes précisément datés, des textes absents du corpus classique, ou rédigés dans des langues autres que le mandarin. C’est la raison pour laquelle ces manuscrits, moins nombreux que ceux des collections britanniques, se placent en tête au vu de leur valeur scientifique.

L’ensemble est rapatrié à la Bibliothèque nationale de France grâce au réseau commercial de son père, Charles Pelliot, industriel chimiste, membre honoraire de la Société de Géographie et de la Société d’Anthropologie de Paris. Son imposante bibliothèque, mise en vente par ses héritiers, montre son intérêt pour l’Asie en général et la Chine en particulier. Son fils Paul hérita de sa passion pour l’Orient.

À son retour en France en octobre 1909, Pelliot doit faire face aux doutes et critiques de ses pairs sur l’authenticité des manuscrits. Finalement, le Collège de France lui décerne un satisfecit général en créant pour lui une chaire de « Langues, histoire et archéologie de l’Asie centrale » et le Musée du Louvre l’honore d’une salle à son nom.

La guerre en Chine

Sa conduite héroïque lors du siège des ambassades à Pékin par les Boxers en juillet 1900 lui avait déjà permis de recevoir la Légion d’honneur à l’âge de 22 ans. Profitant d’une accalmie, il avait enjambé la barricade et rejoint les lignes ennemies, accédant à la résidence du général rebelle. Rien ne transpire de leur entretien, mais on reconnaît à Pelliot l’audace de s’être porté seul et au péril de sa vie au-devant des chefs de la révolte, avec lesquels il pouvait s’entretenir directement en chinois.

Lorsque survient la Première Guerre mondiale, Paul Pelliot est un spécialiste reconnu, professeur au Collège de France depuis 1911 et membre de la Société asiatique. Mobilisé à 36 ans au 13e régiment d’artillerie, il met son énergie et sa rigueur scientifique au service de ses convictions patriotiques. Attaché à la mission française auprès des armées britanniques comme interprète, il suit le corps expéditionnaire anglais aux Dardanelles de janvier 1915 à janvier 1916. De retour en France, il est affecté au 2e Bureau – service de renseignement – pour les théâtres d’opérations extérieurs du grand quartier général, avant de partir à Pékin où il est nommé attaché militaire adjoint en mai 1916.

Paul Pelliot et la guerre en Chine (c) Saint-Mandé

Lutte contre les bolchéviques

En février 1918, le gouvernement français, qui s’est refusé à reconnaître le gouvernement soviétique, accepte d’encourager les menées anti-bolchéviques en Sibérie de l’ataman cosaque Grigori Semenov. L’expédition est financée pour moitié par la France, pour moitié par la Grande-Bretagne et c’est Pelliot qui est désigné comme commissaire délégué (25 mars 1918) auprès de ce chef de guerre dont il a plaidé l’efficacité après l’avoir rencontré à Pékin, en compagnie des attachés militaires britannique et japonais. Il est chargé de recueillir des renseignements sur les déplacements des troupes de Semenov, qui se déplace en train blindé, le long de la ligne du transsibérien ou du chemin de fer de l’ouest chinois, et sur ses chances de constituer une force assez solide pour résister aux bolchéviques.

Singulière rencontre que celle de Pelliot avec ce seigneur de la guerre, brutal et incontrôlable, qui a la tête d’un régiment disparate de soldats mongols et bouriates, Russes blancs ou chinois, multiplie les exactions depuis son fief de Tchita, jusqu’à Harbin en Mandchourie, où il a tenté de créer un éphémère gouvernement autonome de Transbaïkalie.

Avec l’aide du légendaire capitaine franco-russe Zinovi Pechkoff, des affiches de propagande à destination des musulmans de l’Armée rouge sont imprimées pour les inciter à la désertion.

Les analyses de Pelliot sont envoyées par télégrammes au Quai d’Orsay, renseignant par exemple sur l’attitude des autorités chinoises, qui se montrent soucieuses de préserver leur neutralité dans le contexte de la guerre civile russe. Sa mission se termine en février 1919, alors qu’il gère le consulat d’Irkoutsk, poste que le Ministère des Affaires étrangères lui a confié après la débâcle des troupes de Semenov.

Élu à l’Institut de France en 1922, il devient directeur d’études à l’École pratique des hautes études, et dans le même temps, professeur de philologie, littérature et art chinois à l’Institut des hautes études chinoises à la Sorbonne. Il est aussi directeur de T’oung Pao, revue de référence de la sinologie mondiale. Lors du 18e Congrès international des orientalistes à l’université néerlandaise de Leiden, en septembre 1931, Pelliot réclame avec insistance la publication d’un nouveau dictionnaire chinois et se félicite de la création d’une commission présidée par le professeur Liu Bannong à l’Institut National Central de Pékin pour composer ce nouvel outil de traduction. Son amitié avec l’historien Feng jun Cheng (1887-1946) lui permet d’affiner ses recherches sur les voyages de Marco Polo ou l’épopée de Gengis Khan.

Indépendance des intellectuels

Nommé directeur du musée asiatique d’Ennery en 1930, il reçoit le Paris des arts, en compagnie de son épouse Marianna Skoupenska, rencontrée à Vladivostok en 1918.

Son courage malgré les années ne se démentira jamais. En 1941, sous l’Occupation, il défend l’honneur du Collège de France dont il est doyen d’élection :

« Depuis un certain temps, il se poursuit contre le Collège de France une campagne que nous n’avons plus le droit d’ignorer. Hier, on nous accusait de judéo-marxisme, aujourd’hui c’est de communisme. Ceux qui comme moi ont été écœurés il y a près de 40 ans par le scandale des Fiches, ont vu avec horreur s’ouvrir aujourd’hui, avec moins de recours encore, une ère nouvelle de délations abjectes. Qui continue d’appartenir à notre maison se doit de demeurer fidèle à l’esprit de liberté et de tolérance qui lui a permis d’y entrer. »

Le drapeau tricolore continue de flotter jusqu’à la Libération dans la cour du musée, au 59 avenue Foch.

Sa mort le 26 octobre 1945 prive la France et la Chine d’un grand savant, capable de mettre en chantier de nombreuses publications avec la collaboration de spécialistes chinois.

Paul Pelliot est enterré dans le petit cimetière de La Haye de Routot en Normandie, province de ses ancêtres, à l’ombre d’ifs plantés depuis 1600 ans, à l’époque des Seize royaumes de Chine.

La carte des expéditions Pelliot (c) Saint-Mandé

 

Liens

Exposition « Paul Pelliot », mairie de Saint-Mandé :

 

Photographies de la Mission Pelliot en Chine

Blog de la BNF

Les Sept Vies du mandarin français, Paul Pelliot ou la passion de l’orient, Philippe Flandrin, Editions du Rocher, 2008.

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Photo : Extrait de la carte de la mission Pelliot (c) Saint-Mandé

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À propos de l’auteur
Maxime Guerin

Maxime Guerin

Journaliste indépendant ayant participé à l'organisation de l'exposition Paul Pelliot à Saint-Mandé.
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