Au Tchad, le conseil militaire de transition s’affirme comme un mal nécessaire

11 août 2021

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Burkina Faso President Roch Marc Kabore, Niger President Mahamadou Issoufou, France President Emmanuel Macron, Mauritania President Mohamed Ould Ghazouani, Chad President Idriss Deby, Mali President Ibrahim Boubacar Keita pose for a group picture during the G5 Sahel summit, Tuesday, June 30, 2020, (Ludovic Marin, Pool via AP)/zfm124/20182619976980/12345678/2006301915

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Au Tchad, le conseil militaire de transition s’affirme comme un mal nécessaire

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Après la mort d’Idriss Déby, un Conseil militaire de transition a été instauré au Tchad. Mal nécessaire, il doit permettre la stabilisation du pays et, avec lui, celle de l’ensemble de la région.

La mort violente du Président Idriss Déby le 20 avril 2021 et l’instauration d’un Conseil militaire de transition (CMT) présidé par son fils, Mahamat Déby, sont survenues à un moment où l’engagement français au Sahel connaissait une évolution notable après l’annonce par Emmanuel Macron d’un allégement du dispositif Barkhane au début du mois de juin. Le Tchad était en pointe de l’engagement contre les groupes armés terroristes (GAT) qui sévissent dans la région saharo-sahélienne. En effet, le Tchad dispose de forces armées dont l’efficacité est reconnue aussi bien par ses partenaires du G5 Sahel (la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad) que par la France. Selon le classement 2021 du Global Fire Power, le Tchad reste d’ailleurs la première puissance militaire du G5 Sahel.

Il est cohérent de s’interroger sur la légitimité du CMT, qui a instauré un couvre-feu, mis fin aux travaux du Parlement et fermé les frontières. La constitutionnalité de cette institution peut en effet interroger, et son engagement à organiser des élections dans les 18 mois suscite logiquement la méfiance de nombreux observateurs et organisations. Toutefois, la situation sécuritaire impose un état politique d’exception avec, en priorité absolue, la nécessité d’éviter une nouvelle instabilité politique dans un des États sahéliens.

Pas de lutte contre les groupes terroristes armés sans l’implication entière du Tchad

Le principal danger réside dans une déstabilisation générale de la région saharo-sahélienne alors même que la France y allège sa présence militaire. La déstabilisation génère le chaos, lui-même propice aux groupes islamiques armés et aux migrations sauvages en raison de la multiplication des exactions et des affrontements inter-communautaires. Le CMT assure une continuité politique et de facto sécuritaire dans l’engagement du Tchad dans la lutte contre la menace islamiste en empêchant une désintégration rapide du pays. Et surtout, le Conseil militaire de transition permet de maintenir l’adhésion politique de l’armée au régime en la tenant éloignée de la vie politique nationale.

D’autres pays n’ont pas bénéficié de la même situation, si on la compare avec celle du Mali qui a subi un nouveau coup d’État en mai 2021. Cet événement a suscité de vives réactions au sein de l’Union africaine (UA) ou encore en France, avec une réelle interrogation sur la poursuite des opérations conjointes avec les Forces armées maliennes, un temps suspendues. Pays au bord de l’implosion, le Mali contraste avec la stabilité que le CMT assure, pour l’instant, au Tchad. Sans stabilité intérieure, il ne peut y avoir de politique de défense cohérente, surtout si l’unité de l’armée se délite dans une guerre de factions.

Le CMT sera jugé sur sa capacité à organiser une transition démocratique

Légitime sur le plan extérieur, le CMT sera d’abord jugé au prisme de la politique intérieure du Tchad. C’est la question fondamentale pour les Tchadiens, les premiers et principaux concernés, et elle exige une réponse relevant du domaine politique et sociologique.

En effet, la légitimité du CMT interroge. Certains le considèrent comme un régime prétorien qui remplace un régime jugé autoritaire, avec une dimension familiale qui n’est pas étrangère à l’Afrique. D’autres déplorent son caractère anticonstitutionnel et les mesures appliquées dès son instauration pour assurer l’ordre dans le pays. Enfin, des observateurs assurent que les problèmes de fond du Tchad, comme la répartition des ressources, les équilibres entre communautés ou encore les aspirations de la jeunesse, ne sauraient trouver de réponse provenant d’un tel régime.

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Néanmoins, le CMT s’engage à organiser des élections démocratiques dans les 18 mois. Il bénéficie d’une légitimité internationale, la structure ayant été reconnue par ses principaux partenaires régionaux du G5 Sahel, ainsi que par la France. Conscientes de l’impératif de stabilité, la communauté internationale et l’Union africaine n’ont pas formellement condamné le CMT, tout en insistant sur la nécessité de respecter ses engagements en faveur de la transition démocratique. Cette situation fait donc de facto du CMT le régime légitime au Tchad, et de Mahamat Déby son président.

La stabilité est le préalable nécessaire à toute transition démocratique. Il est impossible d’engager un tel processus dans un contexte de guerre civile ou de troubles intérieurs graves. C’est la première étape, certes insuffisante, mais fondamentale, pour envisager toute évolution positive. On pourrait arguer que de nombreux régimes ont justement invoqué la nécessité de la stabilité pour se maintenir au pouvoir, au prix de moyens peu conformes aux droits de l’Homme. C’est vrai. Mais le CMT est encore une institution jeune, dont l’action ne peut encore être jugée. Un minimum de recul est ici nécessaire, et c’est bien en observant et appréciant s’il y a effectivement une évolution positive vers l’organisation d’élections démocratiques que l’on pourra le condamner ou le soutenir. Il conviendra dès lors d’être vigilant : quelle place est faite aux oppositions ? Une réflexion sur l’avenir de la jeunesse est-elle engagée ? Une plus juste répartition des ressources est-elle à l’agenda du CMT ?

Les partenaires du Tchad doivent accompagner la transition démocratique du pays

Le CMT pourrait en fait bien être une chance pour le Tchad. L’omniprésence d’Idriss Déby, surtout ces deux dernières décennies, pouvait être un obstacle à la transition démocratique. Cette dernière est maintenant une hypothèse crédible. Une fenêtre d’opportunité s’ouvre pour les Tchadiens, où le changement est possible. C’est la volonté politique du CMT qui sera déterminante.

L’instauration du CMT peut ainsi être vue, dans le domaine des sciences politiques, comme un mal nécessaire, une étape incontournable pour assurer la stabilité intérieure et la poursuite de l’engagement du Tchad dans la lutte contre le terrorisme islamique. Pour l’heure, il est trop tôt pour bénéficier du recul suffisant pour le condamner. Bien au contraire, ses partenaires ne peuvent que se féliciter d’une situation qui évite un chaos dommageable pour la région.

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Avec le temps, il sera possible d’évaluer la politique du CMT, en fonction de la tenue, ou non, de ses engagements. L’Union africaine et la communauté internationale, dont la France, pourraient accompagner le CMT dans cette tâche, ardue, de la préparation à la transition démocratique dans un pays qui n’en a guère l’habitude. C’est d’ailleurs l’un des souhaits de Mahamat Déby, qui demande un soutien financier pour l’organisation d’élections libres. Toutefois, évitons de condamner trop rapidement un régime encore jeune et qui n’a pas pu démontrer sa réelle bonne foi. Les actes seuls permettront de le juger.

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À propos de l’auteur
Matthieu Anquez

Matthieu Anquez

Président d’ARES Stratégie, expert en géopolitique.

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