Méconnus en France, les maras sont pourtant les gangs les plus prolifiques d’Amérique centrale. Disposants de plusieurs milliers de membres et responsables de crimes en tous genres, mettre un terme à leurs agissements demeure le plus grand défi auquel sont confrontés les chefs d’État de la région.
Considérés comme des gangs centraméricains, les maras ont pourtant vu le jour du côté de la Californie dans un contexte bien particulier. Durant les années 1970, les effets de la guerre froide se font ressentir dans la partie nord de l’Amérique centrale : le Salvador, le Honduras et le Guatemala sont alors gouvernés par des juntes militaires qui plongent leurs nations respectives dans la guerre civile sous prétexte de lutter contre des factions marxistes (FMLN [simple_tooltip content=’Front Farabundo Martí de libération nationale, El Salvador’](1)[/simple_tooltip], URNG [simple_tooltip content=’Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque, Guatemala’](2)[/simple_tooltip] & FSLN [simple_tooltip content=’Front sandiniste de libération nationale, Nicaragua’](3)[/simple_tooltip]), provoquant ainsi l’exil d’une part importante de la population tant le conflit s’avère meurtrier. Parmi eux, bon nombre de jeunes salvadoriens espèrent, à tort, trouver leur salut aux États-Unis.
Guerre froide et dommages collatéraux
À leur arrivée les conditions de vie s’avérèrent précaires : marginalisés, menacés, résidant illégalement sur le territoire américain et disposant de peu de ressources, une partie de la communauté décide alors de se regrouper entre amis, entre maras [simple_tooltip content=’Ce terme signifiait alors « groupe d’amis » à l’époque, mais d’autres pensent que le nom de mara viendrait de marabunta, des fourmis particulièrement agressives également appelées fourmis légionnaires.’](4)[/simple_tooltip], afin de se protéger de la violence des autres diasporas, mais aussi afin de développer des activités illégales. Plusieurs groupes se constituent à l’époque, certains ont disparu, d’autres ont prospéré jusqu’à devenir les maras que nous connaissons à l’heure actuelle, à savoir la mara Salvatrucha (ou M13), résolument salvadorienne, et la mara Barrio 18 (salvadorienne à l’origine, elle est désormais beaucoup plus éclectique). Paradoxalement, le fait de partager des origines et des codes communs n’a pas suffi à les unir sur le long terme comme en témoigne la guerre fratricide à laquelle ils se livrent depuis plusieurs décennies.
Quelques années plus tard, la tension est retombée en Amérique centrale, un accord de paix a été signé à Chapultepec (Mexique) en 1992 et les émigrés ayant fui la guerre ont alors pu rentrer chez eux, important avec eux la criminalité développée aux États-Unis.
Depuis, les mareros ont largement prospéré sur leurs terres natales [simple_tooltip content=’Il n’y a pas de chiffres officiels, mais ils seraient approximativement 15-20 000 au Guatemala, 60 000 au Salvador et 10-12 000 au Honduras.’](5)[/simple_tooltip], de nombreuses villes ou quartiers sont devenus des zones de non-droit où ils règnent sans partage. Particulièrement violents, ils sont responsables de milliers d’homicides chaque année dont les victimes sont aussi bien d’autres mareros que des civils pour des motifs variables, tels qu’avoir tenté de résister ou tout simplement, car il fallait faire une victime, pour l’exemple.
À l’instar de n’importe quelle mafia ou groupe terroriste, les maras ne connaissent pas de frontières, car s’ils se sont cantonnés au triangle nord de l’Amérique centrale (Salvador, Honduras, Nicaragua) et aux États-Unis à leurs débuts, ils ont rapidement étendu leur influence sur d’autres régions du globe, telles que le Mexique où ils luttent aux côtés des cartels [simple_tooltip content=’La M13 est notamment alliée avec le cartel de Sinaloa, celui d’El Chapo.’](6)[/simple_tooltip] ou même en Europe.
Une société à part entière
Bien que ses membres soient essentiellement issus de milieux pauvres et sans éducation ni repères, le fonctionnement des maras n’en demeure pas moins extrêmement structuré. Ils disposent de leurs codes, de leurs règles, mais aussi de termes [simple_tooltip content=’Largement basé sur le caliche, un argot salvadorien.’](7)[/simple_tooltip] et d’une langue des signes qui leur sont propres. Pour s’identifier, certains arborent des tatouages se référant explicitement à la mara à laquelle ils appartiennent, mais l’image largement véhiculée selon laquelle tout marero en serait systématiquement recouvert, visage compris, est erronée. Beaucoup n’en ont aucun ou les dissimulent, au point qu’il n’est pas toujours évident de savoir si une personne quelconque est affiliée ou non à une mara.
Ceux-ci parviennent à contrôler des territoires très vastes à l’aide d’un réseau de cellules de taille relativement modeste comprenant entre 40 et 200 membres appelées clicas, qui disposent elles-mêmes de leurs propres zones, parfaitement délimitées.
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Ne devient pas marero qui veut. Pour cela, les aspirants sont mis à l’épreuve et soumis à des rites de passage extrêmement violents [simple_tooltip content=’Il peut s’agir d’être frappé par d’autres membres de la mara pendant une durée correspondant à son numéro (13 ou 18 secondes) ou d’aller tuer un marero voire un civil, afin de prouver son dévouement.’](8)[/simple_tooltip]. Les premiers mois consistent essentiellement à se charger des tâches les plus ingrates, allant du rôle de coursier à celui de guetteur, appelé poste, qui déambule à l’entrée des colonias [simple_tooltip content=’Synonyme de quartier.’](9)[/simple_tooltip] téléphone à la main et contrôle quiconque souhaitant y entrer, carte d’identité à l’appui, afin de s’assurer que la personne en question ne vient pas d’un quartier contrôlé par la mara rivale.
Il est fréquent qu’ils débutent alors qu’ils n’ont qu’une dizaine d’années et la mara qu’ils rejoignent devient leur seule famille au point qu’ils vouent leur vie, aussi courte soit-elle, à assurer sa pérennité. Peu de mareros atteignent l’âge de 30 ans tant les conflits, aussi bien avec la police qu’avec les rivaux, sont récurrents et meurtriers.
Les maras disposent également de leur propre modèle économique qui repose sur le trafic de drogue, le trafic d’armes, la prostitution, mais surtout l’extorsion des commerçants vivant dans leur zone d’influence. Plus le commerce est important, plus la redevance est élevée et les fournisseurs n’en sont pas exempts, ils doivent payer un droit de passage afin d’être autorisés à effectuer leur livraison.
Un mal incurable ?
Si les années se suivent et se ressemblent dans cette région où les taux d’homicides comptent partie des plus élevés au monde, ce n’est pas tant dû à l’inertie des chefs d’État qu’à leur incapacité à trouver une solution adaptée permettant de résoudre le fond du problème.
D’un côté, il y a les partisans de la mano dura, tels qu’Elías Saca (2004-2009) et Sanchez Cerén (2014-2019), tous deux ex-présidents du Salvador, ou encore, Juan Orlando Hernández, président du Honduras depuis 2014.
Cette méthode se résume généralement à une militarisation de la société : les interventions policières et militaires se multiplient tout comme le nombre d’arrestations ainsi que les condamnations qui sont renforcées. Si du côté du Salvador, les effets se sont avérés bénéfiques sur le court terme au début des années 2000, cela n’a pas duré bien longtemps comme en témoigne la recrudescence du nombre d’homicides par la suite : ils auraient augmenté de 70% quelques mois après la mise en place du plan « súper mano dura ».
De plus, l’augmentation de la population carcérale [simple_tooltip content=’+137% durant la période 2000-2007.’](10)[/simple_tooltip] fut telle qu’elle permit implicitement aux maras de contrôler les prisons où ses membres étaient enfermés, lesquels parvenaient alors à rester en contact avec l’extérieur aux moyens de téléphones portables, sans oublier le fait que cette politique a été perçue comme nocive du point de vue des Droits de l’Homme, dans la mesure où elle aurait encouragé les exécutions extrajudiciaires.
Ainsi, le nouveau président du Salvador, Nayib Bukele, semblerait disposé à employer d’autres méthodes à travers la mise en place du Plan de Contrôle Territorial, qui, bien que régulièrement apparenté à la mano dura, permettrait de cibler davantage le problème à la racine : « La problématique des groupes criminels portant atteinte à la Sécurité publique ne peut être exclusivement traitée dans une optique de lutte contre la délinquance, dans la mesure où il s’agit d’un problème social où le manque d’opportunités et de choix de vie provoquent un cercle vicieux de pauvreté, de crime et de violence. »
Celui-ci entend tout d’abord s’attaquer à ceux qui financent les maras, à commencer par les hommes politiques [simple_tooltip content=’L’ancien président du Parlement, Norman Quijano, leurs aurait versé d’importantes sommes en vue des élections présidentielles.’](11)[/simple_tooltip] et les entreprises qui acceptent de blanchir l’argent provenant de l’extorsion et d’autres activités illégales. Autre divergence vis-à-vis de ses prédécesseurs, Nayib Bukele souhaite favoriser le contrôle des centres historiques des grandes villes plutôt que celui des petites villes d’où, selon lui, la majorité de l’argent provient. Enfin, il désire également faire en sorte de bloquer les communications téléphoniques depuis les prisons, dans la mesure où les ordres d’assassinats ou d’extorsions proviendraient directement et majoritairement de mareros incarcérés.
Des méthodes apparemment efficaces comme en témoigne la baisse du nombre d’homicides au cours de ces derniers mois [simple_tooltip content=’291 en juillet 2018 contre 154 en juillet 2019.’](12)[/simple_tooltip] et le fait que les Salvadoriens aient pu connaître plusieurs journées sans la moindre victime, le 31 juillet ainsi que les 22 et 25 septembre. Un événement rare n’étant arrivé que huit fois en dix-neuf ans, mais dont la véracité est remise en cause, dans la mesure où depuis juin, les homicides résultant d’affrontement entre gangs et forces armées ne sont plus pris en compte dans les statistiques.
Ainsi, seul l’avenir permettra de déterminer si le nouveau président du Salvador est parvenu à trouver une solution à un problème encore considéré par bon nombre de Centraméricains comme sans issue.