Qualifier Mao Zedong de populiste et le placer dans une galerie disparate où l’on trouverait hier Peron et Pierre Poujade, Hugo Chavez et Bepe Grillo aujourd’hui, peut surprendre. Il existe néanmoins une littérature déjà ancienne sur le populisme maoïste (1) et, récemment, plusieurs universitaires américains et asiatiques n’ont pas hésité à faire de Donald Trump… l’héritier de Mao (2).
À priori, il n’y a rien de commun entre le populisme, compris dans son sens le plus consensuel comme la croyance que la vertu réside dans les gens simples et leurs traditions collectives, et la tradition chinoise. Dans cette dernière, le culte impérial et les élites confucéennes occultaient à peu près complètement, même en tenant compte de l’influence du taoïsme, un peuple chinois la plupart du temps réduit à un troupeau misérable ne sortant périodiquement de sa torpeur que dans des rébellions sporadiques contre le système féodal (3).
Avec les communistes chinois et la « pensée Mao Zedong » arrive sur le devant de la scène un peuple surtout composé de paysans pauvres, ce qui apparente le populisme chinois aux populismes américain et russe du tournant des xixe et xxe siècles tout en le différenciant du prolétariat ouvrier. Avec Mao, cette masse paysanne devient officiellement le modèle du régime, non sans que les communistes en aient purgé tout ce qui relevait de la religion populaire et des instincts « petits-bourgeois » comme le désir de posséder sa terre…
« Tout part du peuple et y retourne. » (Mao)
On doit à Mao (1893-1976) d’avoir été le principal concepteur de la théorie de la « ligne de masse ». Pour lui, « le peuple seul est la force motrice, le créateur de l’histoire universelle. Les masses en sont l’émanation et le seul héros. Douées d’une force créatrice illimitée, elles sont capables de s’organiser et de diriger leurs efforts vers tous les domaines et toutes les branches dans lesquels elles peuvent déployer leur énergie ». C’est donc, selon le Petit Livre rouge, « le rôle premier du PCC de l’écouter, de recueillir ses idées, de les synthétiser avant de les expliquer, puis de les retransmettre pour que les masses seulement y adhèrent et les traduisent en action… ce processus est continu et porteur d’idées toujours plus justes, plus vivantes et plus riches ».
Loin de n’être que rhétorique, ce processus a été appliqué après 1949 à la plupart des grandes campagnes des années 1950 qui ont conduit à la réforme agraire, à celles de la famille, au nouveau statut de la femme, à la collectivisation de l’agriculture et de l’industrie, à la lutte contre l’éradication des insectes et des maladies… et aussi à la critique et à la répression des adversaires politiques.
À chaque fois, l’objectif était annoncé par tous les moyens de la propagande avant que ne soient organisés des rassemblements de masse et des manifestations décentralisées. Ces grands brassages collectifs et populaires, même si l’on écarte les plus spectaculaires et les plus connus comme les Cent Fleurs (1957), le Grand Bond en avant (1958-1960) et surtout la Révolution culturelle après 1966, ont donné lieu à des troubles désastreux que les dirigeants du Parti et les administrations ont, à plusieurs reprises, cherché à restreindre. Mao a pourtant toujours défendu ces mouvements en soutenant que l’actif dépassait de loin le passif.
C’est aussi parce que ce cadre favorisait les initiatives locales et l’autosuffisance que Mao a, en grande partie, conservé un système politico-administratif relativement décentralisé donnant aux autorités locales une marge de manœuvre importante dans l’exécution des directives centrales.
De même, Mao a largement contribué à mettre en place en Chine des relations sociales égalitaires (4) à travers l’uniformisation de l’habillement, le resserrement de l’éventail des revenus, la quasi-disparition des titres, des grades et des symboles sociaux… Dans cet esprit, la propagande a cherché à promouvoir des modèles de gens simples, des paysans, des ouvriers, des soldats, partageant des qualités comme le courage, la conscience révolutionnaire, la discipline. Cet égalitarisme l’a conduit aussi à mettre en œuvre des politiques de redistribution favorables aux campagnes et à y promouvoir la scolarisation élémentaire ou encore la formation des « médecins aux pieds nus », de simples paysans.
Ces conceptions sont un vrai fil rouge dans la pensée de Mao qui soutenait, la Révolution culturelle en fera la démonstration, que les élites du régime, qui n’avaient pas vocation à se reproduire, devaient être confrontées au travail manuel par des stages réguliers dans les champs et les usines.
A lire aussi : La Chine se positionne comme protectrice des patrimoines civilisationnels du monde
Le retour des élites
On pourrait penser que le populisme de Mao est mort avant lui puisque, dès 1973, en raison même des excès et des dégâts causés par la Révolution culturelle, les « experts » reviennent au pouvoir avec Deng Xiaoping qui l’emporte sur les derniers maoïstes en 1979.
Tout va ensuite très vite et le maoïsme semble balayé par la grande transformation de la Chine qui passe par une relative recentralisation du pouvoir et l’adoption d’une économie socialiste de marché. L’invitation de Deng à s’enrichir, la croissance exponentielle des Trente Glorieuses chinoises ont fait de la Chine « l’Empire du fric » et des privilèges exhibés. S’en est suivie une gigantesque fracture sociale avec un écart aujourd’hui de 1 à 23 entre les 10 % de la population la plus riche et les 10 % les plus pauvres.
Pour autant, les pensées Mao Zedong et Deng Xiaoping restent toujours des lignes rouges à ne pas franchir en Chine. Xi Jiping lui-même, le nouvel homme fort du régime, un « jeune instruit » envoyé en 1969 quelques années en province pour « apprendre des paysans », ne se contente pas de rendosser le costume Mao. Il cherche l’appui de classes populaires nostalgiques d’une époque mythifiée où elles étaient à l’honneur et qui, depuis quelques années, non seulement entonnent les chansons rouges de leur jeunesse et se pressent pour écouter de faux Mao de karaoké comme il existe de faux Elvis aux États-Unis ; il se fait le héraut de la lutte contre la corruption et menace à son tour les intellectuels dissidents de les envoyer à la campagne pour apprendre auprès du peuple. On lui prête aussi d’avoir éliminé Bo Xilai non seulement en raison de la corruption de ce dernier mais surtout parce que son populisme flamboyant, mis en œuvre à Chongqing (5) entre 2007 et 2012, faisait de l’ombre au Président. Il n’en reste pas moins que Xi Jinping évite soigneusement tout appel à la mobilisation populaire, y compris à caractère nationaliste. Pas plus que ses prédécesseurs, il ne veut être débordé par la base.
Le populisme fournit une grille de lecture cohérente de la théorie comme de l’action politique de Mao. Il a été certes un populiste particulier en raison de sa filiation marxiste-léniniste, de l’exception qu’il représente dans l’histoire de son pays, des spécificités de la société chinoise. Il reste néanmoins un populiste que l’on a pu comparer au président américain Andrew Jackson (1829-1837) hier, et au président Trump aujourd’hui, en raison de leur appel constant à l’opinion publique pour les soutenir contre leurs élites. Malgré toutes les critiques qu’il subit, on peut penser que le président américain se révélera moins nocif que ne le fut le Grand Timonier.
- James R. Townshend, Chinese populism and the legacy of Mao Tse-Tung, University of California Press, 1977.
- Minnie Chan, Disruptive, intolerant and populist icon: why Trump is seen as an American Mao, South China Morning Post, 20/01/2017.
- Dont la dernière fut la révolte des Taiping entre 1851 et 1864.
- Une égalité que Mao ne respectait pas vraiment en ce qui concerne son mode de vie.
- Le « modèle de Chongqing » (lutte contre la criminalité, amélioration de l’environnement, programmes sociaux) faisait ouvertement référence à la révolution culturelle, de façon folklorique (« chants rouges »), ou non (rééducation des cadres du parti local, répression des opposants).