Manifeste pour une géopolitique critique

26 mars 2014

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Manifeste pour une géopolitique critique

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Il ne faudrait pas que, en devenant populaire, la géopolitique se banalise, noyée dans l’océan inépuisable des bons sentiments et en même temps instrumentalisée par les intérêts.

Premier numéro, grandes ambitions. En lançant Conflits, nous entendons bien sûr exposer les faits et les réflexions qui permettent à nos lecteurs de comprendre le monde où ils vivent. La géopolitique ne s’est-elle pas imposée comme la culture générale du monde moderne ? Aussi est-elle à la mode et, d’une certaine façon, nous ne pouvons que nous en féliciter.
Il ne faudrait pas que, en devenant populaire, la géopolitique se banalise. Entre les mains des hommes politiques et des faiseurs d’opinion, entre café du commerce et bureaux d’études, la voilà noyée dans l’océan inépuisable des bons sentiments et en même temps instrumentalisée par les intérêts.
C’est pourquoi nous nous mettons au service d’une géopolitique critique. En voici les fondements.

Une géopolitique du temps long. Là où les médias et les intérêts privilégient l’émotion et le rendement immédiats, nous nous efforcerons d’analyser l’actualité dans la longue durée dont nous ne sous-estimons pas les héritages.

Une géopolitique des horizons lointains. Nous rejetons toutes les géopolitiques de l’instant et de la mode qui proclament un jour, par exemple, l’inéluctable déclin des États-Unis avant de célébrer leur toute-puissance le lendemain. Les fondements de la puissance ne se modifient pas aussi vite, au gré de l’événement. Même les défaites les plus désastreuses n’y arrivent pas toujours. Après deux guerres mondiales où l’Allemagne fut écrasée et deux paix imposées où elle fut muselée, qui domine aujourd’hui l’Union européenne ?

En même temps, une géopolitique de l’imprévu. Le temps long trace des lignes de force, il ne permet pas de prédire ce qui se produira précisément en un moment donné. Les individus, le hasard, l’inattendu sont à l’oeuvre dans le temps court. Nous nous garderons des prévisions catégoriques démenties sitôt que proférées.

Une géopolitique du terrain. La popularité de la géopolitique s’accompagne paradoxalement de son déracinement et l’arrache au terreau géographique où elle a pris naissance. Beaucoup de géographes vont jusqu’à rejeter leur enfant comme un bâtard. À nous de rétablir les liens de filiation et de rappeler qu’il n’est pas de géopolitique sans géographie. N’est-ce pas elle qui donne son sens au temps long des historiens ?

Une géopolitique globale. Il s’agit d’intégrer l’ensemble des forces à l’œuvre (politiques, mais aussi économiques, sociales, culturelles…) et d’étudier toutes leurs interactions.

Une géopolitique des réalités ou, si l’on préfère, une Realpolitik. Ce n’est pas que nous ne croyions ni au bien ni au mal, mais il n’est pas sain de mélanger les ordres et de confondre les bons sentiments et le politique. Sans doute le politique se doit d’avoir des règles et des principes d’action ; mais il ne doit pas être hypnotisé par ceux qui passent leur temps à lui « faire la morale », souvent pour mieux le subjuguer.

Une géopolitique du soupçon. Enthousiasme, émotions et compassion sont autant de leviers que manipulent les intérêts. Les dévoiler est une œuvre de salubrité publique.

Une géopolitique des identités. La géopolitique étudie le rapport de forces dans l’espace, mais ces forces n’existent que si elles ont conscience d’elles-mêmes. Alors elles sont légitimes, alors elles créent des solidarités profondes, alors elles peuvent mobiliser leurs membres et les amener à se sacrifier. De la profondeur du sentiment d’identité dépend leur capacité à agir et donc leur puissance.

Une géopolitique du conflit. Le véritable sujet d’étude de la géopolitique, c’est l’antagonisme sous toutes ses formes, les plus innocentes, les plus sournoises mais aussi les plus brutales, ainsi que les équilibres que ces rivalités finissent par générer et qui restent toujours fragiles. Nos compatriotes ont tendance à oublier cette réalité. Nous sommes là pour la rappeler. Sans aimer l’affrontement en tant que tel, mais parce que ceux qui veulent vraiment la paix et la stabilité se doivent de connaître toutes les menaces.

Ce n’est pas par hasard que nous avons choisi le titre Conflits.

 

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Pascal Gauchon

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