<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’uranium, la réserve kazakhe

8 décembre 2022

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : This April 2012, photo provided by North Caspian Operating Company NCOC shows Kashagan offshore oilfield is in western Kazakhstan. The supergiant field, which is believed around 13 billion tons of recoverable oil, is expected to begin producing its first crude in 2013 after many years of delays. (AP Photo/North Caspian Operating Company)/MOSB131/852141726043/AN APRIL, 2012 PHOTO; AP PROVIDES ACCESS TO THIS PUBLICLY DISTRIBUTED HANDOUT PHOTO PROVIDED BY NORTH CASPIAN OPERATING COMPANY, NCOC, FOR EDITORIAL PURPOSES ONLY./1210180858

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L’uranium, la réserve kazakhe

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L’uranium devient de plus en plus une ressource stratégique. Projets nucléaires en Russie, Arabie saoudite, Émirats arabes unis… Loin des débats qui agitent aujourd’hui l’Europe, les capacités de production augmentent fortement afin de satisfaire la demande. C’est un enjeu que le Kazakhstan a compris assez tôt. Le pays possède 11 % des réserves et produit 39 % de l’uranium mondial.

Antoine Mestrallet, ingénieur géologue spécialisé en forage pétrolier chez Schlumberger, économiste. 

Si le Kazakhstan se place derrière l’Australie en termes de gisements, il doit l’exploitation précoce de ses réserves à l’industrie militaire soviétique puis à des partenariats stratégiques conclus avec des firmes nationales, en particulier le français Orano (ex-Areva). Le Kazakhstan a donc toujours eu une longueur d’avance et a servi de laboratoire d’expérimentation des nouvelles techniques d’exploitation. Très vite, l’extraction de minerai radioactif fait partie de son identité et façonne sa place en Asie centrale. La compréhension des gisements et les diverses méthodes d’extraction ont contribué à l’industrialisation du pays. L’augmentation de la demande met le pays dans une position confortable, mais accentue aussi la concurrence. Le Kazakhstan saura-t-il prendre le virage du thorium ? La découverte des grands espaces décharnés que l’on observe depuis l’avion qui descend vers Chymkent nous permettra sans doute de répondre à ces questions.

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L’intérêt pour l’uranium commence en 1943 sur les bords de la mer Caspienne. La première mine, à proximité de la ville d’Aktaou, sert à soutenir l’industrie nucléaire militaire de l’URSS. Près de 75 000 tonnes sont produites jusqu’à l’effondrement du bloc de l’Est. L’accident de Tchernobyl, la détente ainsi que les mesures anti-dumping des États-Unis font plonger la production, d’autant plus qu’elle n’est pas soutenue par une demande intérieure. On assiste à un tournant majeur à l’orée des années 2000. L’intérêt stratégique des puissances qui veulent sécuriser leur approvisionnement pour le nucléaire civil permet l’ouverture de grandes zones d’extraction dans le sud du pays. Les gros investisseurs trouvent une oreille attentive auprès du président Nazerbaïev, personnage visionnaire, gage d’une stabilité bienvenue et peu commune dans cette région du globe. Les accords sont signés par l’intermédiaire de l’entreprise Kazatomprom fondée en 1997.

La situation géographique du Kazakhstan influe grandement sur l’équilibre politique de la région. L’éclatement des républiques soviétiques a laissé des frontières nationales parfois mal comprises. Les récents affrontements entre le Kirghizistan et le Tadjikistan le montrent. L’installation au pouvoir des talibans complique énormément les échanges commerciaux par voie terrestre. La frontière que le Kazakhstan partage avec Pékin est de ce point de vue en train de devenir vitale. La Chine, à travers son entreprise CGN, importe en effet plus de 50 % de la production nationale. Et cela alors que c’est un partenaire nouveau qui n’a lancé son programme de transition énergétique que très récemment. L’empire du Milieu a, on ne le sait que trop bien, les moyens de ses ambitions. Ses investissements massifs et rapides s’accompagnent de la création d’infrastructures qui semblent profiter aux deux pays. Les lignes de chemin de fer qui filent depuis Chymkent vers Pékin en sont la démonstration. Cette prise d’intérêt s’accompagne d’une rigueur exigeante. À cet égard, la flambée de violence à Almaty en janvier 2022 a été vue d’un très mauvais œil et si ce sont les soldats russes qui sont intervenus, la présence chinoise dans les nœuds de Khorgos et Kotky est restée attentive.

Le reste des exportations se fait auprès de partenaires historiques tels que la Russie, le Japon, la Chine, le Canada, l’Inde et la France. Cette dernière, par l’intermédiaire de la joint-venture Katco, importe 15 % de la production kazakhe. Cela représente 4 000 tonnes d’uranium, sur les 6 000 fournies par Orano à EDF. Les contrats d’approvisionnement sont assurés pour une trentaine d’années, à prix fixe, point extrêmement important lorsqu’on étudie l’évolution du prix spot de l’uranium ces derniers mois. Cette stabilité est de bon augure alors que la situation au Niger, troisième source d’approvisionnement française, est explosive. Le Canada est quant à lui assez stable. Il reste néanmoins important de suivre l’évolution du conflit en Ukraine. En effet, le Kazakhstan tient à son indépendance, mais l’influence de l’OSC reste forte et ses voisins sont puissants.

Un pays aux ressources géologiques formidables

L’uranium est un métal lourd radioactif présent dans le sous-sol. On estime qu’en moyenne il faut un cube de roche de 5,5 mètres de côté pour obtenir 1 kilogramme d’uranium. L’extraction n’est évidemment pas rentable à ce stade-là. Il est nécessaire que la concentration soit supérieure à 0,1 %. Cela est rendu possible grâce à un processus d’enrichissement naturel.

Ce processus géologique est très simple et assez répandu pour la formation des différents minerais (or, aluminium…). À la suite de conditions climatiques particulières, une saumure s’infiltre dans le sol. C’est une eau très chargée en sels minéraux. Cette solution a la propriété de pouvoir dissoudre une grande quantité de métaux et composés présents dans le sol. La saumure se charge ainsi en uranium au fur et à mesure de son trajet. Un changement des conditions physico-chimiques ou une faille entraîne la précipitation de la solution et le dépôt des minéraux d’intérêt au même endroit. Il suffit alors de trouver le gisement puis de l’excaver et de le traiter. Aujourd’hui encore, la quantité mondiale de ressources prouvées est minorée par rapport à ce que l’on pourra réellement trouver dans le sous-sol. Il y a donc fort à parier qu’il y a bien plus que les 6 millions de tonnes annoncées et que les équilibres géopolitiques vont évoluer.

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Avec l’évolution des technologies et celle de notre connaissance sur l’uranium, les techniques d’extraction ont aussi bien changé. On peut actuellement les définir en deux grandes catégories.

La plus ancienne et la plus simple des méthodes consiste à excaver les roches d’intérêt puis à les traiter. On ouvre ainsi de grandes mines à ciel ouvert à l’emplacement du filon. Des quantités d’explosifs phénoménales permettent alors de faire tomber les parois. Les roches sont transportées par un incessant va-et-vient de camions vers l’usine toute proche où elles sont concassées puis traitées. L’adjonction de produits chimiques bien choisis permet de fixer les composés cibles. Ceux-ci sont alors séparés des roches par flottation : les roches tombent au fond de grandes cuves tandis que l’uranium reste à la surface : il flotte. Il est alors séparé du produit chimique qui lui donnait ses propriétés particulières puis mises sous forme de yellow cake, matière solide prête pour l’exportation. Cette méthode, très simple à mettre en place, est cependant très coûteuse, car les quantités de roche transportées sont importantes et que les investissements sont lourds. De plus, le sous-produit de l’exploitation est contaminé par les produits chimiques. Même si les procédures HSE ont beaucoup évolué, le stockage des milliers de mètres cubes excavés représente un risque non négligeable qui ne diminue pas dans le temps.

La deuxième technique d’extraction offre une emprise au sol beaucoup moins importante. Ce procédé consiste à reproduire le phénomène naturel responsable de l’enrichissement. Mis en place à partir des années 1990, la lixiviation in situ consiste à injecter une solution chimique dans le sous-sol. Celle-ci dissout progressivement les composés d’intérêt et donc se charge en uranium. Le pompage, quelques mois plus tard, permet la séparation du fluide. Celui-ci est prêt pour l’exportation. Là aussi, les considérations environnementales sont à prendre en compte : si l’impact est moins visible de la surface, la contamination du sol n’en reste pas moins bien réelle. Ce sont ainsi plusieurs milliers de kilomètres carrés qui sont souillés jusqu’à des profondeurs importantes. Les conséquences sur la qualité des eaux souterraines ainsi que sur l’agriculture peuvent être dommageables.

Un dumping écologique ?

Les problématiques environnementales sont donc bien présentes. La géographie et le climat façonnent l’histoire et nous donnent là encore des éléments de réponse. La superficie du Kazakhstan couvre les deux tiers de l’Europe, pour une population de 20 millions d’habitants. Cela nous donne une densité de 6,5 habitants par kilomètre carré. Dans les régions du sud du pays, autour de la ville de Chymkent, les villages sont rares et la terre peu généreuse. Pour ces populations pauvres jusqu’à la découverte de ces matières premières énergétiques, leur exploitation, qui représente un tiers du PIB, est donc vue comme une bénédiction. Si des voix se lèvent à partir de 2008, l’implantation de grosses usines de production permet à certains d’accéder au mode de vie européen et de profiter de salaires extrêmement compétitifs. Des métiers qui doivent s’exercer avec prudence et dans le respect de normes de protection pour éviter que les manipulations des produits chimiques n’aient des impacts négatifs sur la santé des personnels.

Ce qui suscite le plus d’opposition est plutôt le développement de la filière nucléaire. Le nouveau président cherche en effet à diversifier la production d’électricité et a annoncé la construction de deux réacteurs, ce qui a soulevé quelques oppositions.

La solution du thorium

L’intérêt pourrait néanmoins venir du thorium, autre métal radioactif aux propriétés un peu différentes de l’uranium. Si ce composé chimique ne peut pas le suppléer, il permet en revanche d’entretenir la réaction et de fournir beaucoup d’énergie. L’Inde s’intéresse beaucoup à cette technologie, car elle possède d’importantes réserves de thorium. La Chine a déjà mis une centrale en action dans le désert de Gobi. Du côté de l’Europe et des États-Unis, des équipes de recherche planchent encore sur des projets ambitieux, notamment les réacteurs à sels fondus ou à neutrons rapides. Les réserves du Kazakhstan étant importantes et les technologies d’extraction opérationnelles, cela pourrait être une voie d’avenir pour le pays.

Conclusion

Sans avoir le poids du pétrole et du gaz, l’uranium a cependant façonné le Kazakhstan depuis les années 1950. De l’opportunité fabuleuse du nucléaire russe jusqu’aux industries civiles françaises puis chinoises, le pays a su, avec vision et indépendance, valoriser son sous-sol. Premier producteur mondial, il est ainsi protégé de l’instabilité de la région par des parrains très dépendants. Les récentes découvertes d’uranium chinoises en juin 2022 ainsi que le développement des capacités de production australiennes tendent à rassurer sur l’offre d’uranium dans les prochaines années. La pression continue cependant de monter, comme en témoigne le prix spot de la tonne d’uranium, soutenue par les récentes annonces sur les SMR (petits réacteurs nucléaires modulables). Le Kazakhstan pourrait ainsi continuer à se développer et devenir un carrefour stable à l’heure où la région s’échauffe.

Le début des années 1980 marque un tournant dans l’équilibre des forces en Asie centrale. Ressources énergétiques, révolution iranienne, marché potentiel de 20 millions d’habitants, situation géographique stratégique entre la Chine et l’Europe, le Kazakhstan est présenté comme le nouveau Koweït et aiguise les appétits. Quarante ans plus tard, que peut-on observer ? Les ressources de pétrole se sont avérées moins importantes que prévu, le pays tient son rôle de carrefour des nouvelles routes de la soie, mais c’est l’uranium qui le place au centre des enjeux énergétiques. La production de ce métal radioactif impacte la géopolitique régionale et confère au Kazakhstan une prééminence mondiale du fait de sa position de premier producteur.

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Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.

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